Le retour de la question du Sahara Occidental : vers la reprise du dialogue entre Marocains et Saharaouis ?
Photo ci-dessus : une vue du camp de réfugiés sahraouis de Tindouf, au sud-ouest de l’Algérie. © DR
La discussion sur l’avenir du Sahara Occidental vient de s’inviter sur la scène politique française à l’occasion de la réunion qui s’est tenue le 2 février au Sénat, à l’initiative des « Amis de la RASD ». Cette réunion inhabituellement critique à l’égard du Maroc s’est conclue par un appel à l’organisation d’un référendum sur l’autodétermination. La presse française a été discrète sur l’évènement ; mais il sera désormais difficile de faire comme si rien ne s’était passé, d’autant que la sénatrice Laïla Aïchi qui est à l’origine de la rencontre semble bien décidée à ne pas laisser le dossier s’enterrer.
Paris a toujours fait preuve de compréhension pour la position marocaine quitte à afficher un décalage par rapport à la tendance dominante dans la communauté internationale qui est favorable à la tenue d’un referendum sur l’indépendance. La Cour Internationale de Justice a depuis longtemps reconnu la légitimité de la demande des Saharaouis, tandis que le référendum est l’objectif de la MINURSO et la mission de l’envoyé spécial des Nations-Unies M. Ross s’inscrit dans cette perspective.
Le soutien de la proposition marocaine d’autonomie reste la position officielle française comme l’a rappelé le Premier ministre à la fin 2012. M. Hollande a jusqu’à présent évité de se prononcer clairement ; mais le dossier figurera sans nul doute au programme de son déplacement à Rabat qui devrait avoir lieu avant la fin de l’hiver.
La ligne politique est la même à Washington. Lors de sa visite à Rabat à la fin de l’année dernière Mme Clinton a dit le bien qu’elle pensait du plan d’autonomie marocain, tout en exprimant aussi son appui à la mission de M. Ross, donc à la perspective du referendum. Londres ne s’exprime pas différemment.
L’Assemblée générale de l’ONU s’est saisie du dossier
Rabat a longtemps compté sur le temps pour calmer le jeu ; or manifestement le temps ne joue plus en faveur du maintien du statu quo. Si Christopher Ross a pu reprendre son bâton de pèlerin c’est bien que le Maroc a été poussé à lui renouveler sa confiance, après la lui avoir retirée. Le médiateur des Nations Unies prépare un nouveau round de négociation et il est déterminé à faire avancer les choses. La reprise du dialogue entre Marocains et Saharaouis est donc programmée ; avant de l’engager M. Ross a entrepris une tournée des capitales, tant occidentales que maghrébines pour s’assurer qu’il dispose des conditions indispensables pour mener à bien sa mission.
Le Conseil de Sécurité est l’enceinte où doit théoriquement se prendre la décision ; mais le Conseil est resté frileux sur le sujet, se contentant de proroger régulièrement la mission de la MINURSO sans véritablement demander des comptes. Aussi l’Assemblée Générale a-t-elle décidé à l’automne dernier de se saisir du dossier, et un rapport sur le progrès de la question du referendum a été demandé à sa IVe commission.
Du côté des Africains, le sentiment est également qu’il faut progresser. Le sommet de l’Union Africaine qui vient de se réunir à Addis-Abeba a ainsi chargé la Commission africaine de prendre les « mesures nécessaires » pour l’organisation d’un « référendum d’autodétermination ». Le Maroc peut certes arguer du fait que n’étant pas membre de cette organisation il n’est pas lié par ses recommandations ; mais il est manifeste qu’il n’a pas le soutien de ses partenaires arabes et sahéliens au sein de l’Union Africaine.
Les gouvernements européens ont préféré s’en remettre prudemment à la formule qui veut que la question est traitée aux Nations Unies, quitte à se contenter du statu quo. Mais le Parlement de Strasbourg qui est plus allant que les gouvernements a adopté en septembre dernier une recommandation demandant l’organisation du referendum d’autodétermination. Et il est vraisemblable que la question s’invitera à nouveau à Strasbourg, lorsque le Parlement Européen devra examiner le nouvel accord de pêche UE-Maroc, actuellement en cours de négociation.
La dimension économique prend en effet de plus en plus d’importance. Avec les phosphates, la pêche et bientôt les hydrocarbures, la question de la légitimité de l’exploitation des ressources du territoire n’est plus une simple question théorique. Pour les grandes ONG qui se sont saisies du dossier, la réponse est claire : l’exploitation des richesses du Sahara Occidental se fait au détriment de l’intérêt des Saharaouis. Ces positions trouvent aujourd’hui un écho certain auprès de parlementaires.
Le Maroc soumis à une forte pression
Dans les pays scandinaves une campagne de boycott des produits provenant du Sahara Occidental s’est développée. En Suède, il y a deux ans, le parlement s’est prononcé en faveur de la reconnaissance de la RASD. Le geste est resté sans lendemain, mais il est significatif d’un état d’esprit.
Le Maroc est soumis à une forte pression sur la situation des droits de l’Homme et sur ce dossier il n’a pas d’alliés. Les rapports critiques se multiplient aux Nations Unies et le partenaire américain qui évite soigneusement de se mettre en avant sur la question du statut du territoire, ne ménage pas lui non plus les critiques.
C’est dans ce contexte difficile pour Rabat, que le procès des 24 Saharaouis arrêtés à la suite de heurts violents dans le camp de Gdeim Izik, près de Layoun en 2010 va se dérouler. Il s’agit d’un procès fortement médiatisé et Amnesty International fait activement campagne pour s’opposer à ce que les accusés ne soient jugés devant un tribunal militaire. Visiblement embarrassé et placé sur la défensive Rabat a d’ailleurs fait différer le début des audiences.
La crise au Mali devrait également donner une nouvelle dimension au problème du Sahara Occidental, car l’avenir du territoire ne peut être abordé sans tenir compte du contexte régional. Depuis des années il est de notoriété publique que le Polisario tolère et probablement profite, des nombreux trafics maffieux ; et ses relations avec AQMI sont avérées. Dans un passé récent des enlèvements ont été réalisés par des éléments opérant au voisinage de Tindouf. Mais surtout des commandos partis du Sahara Occidental, mais aussi de Tindouf, seraient venus épauler les djihadistes opérant dans l’Azawad. Fuyant devant l’offensive française certains auraient cherché refuge dans le sud algérien ou au Sahara Occidental.
Aucun pays du Maghreb n’a intérêt à voir la situation dériver. L’Algérie qui n’a pas montré une grande clairvoyance en tolérant les déviances du Polisario, vient de se voir rappeler cruellement à In Amenas la réalité du risque terroriste ; de son côté, le Maroc ne pourra probablement pas supporter indéfiniment le coût politique et économique d’une situation qui ne serait gelée qu’en apparence.
Alger qui a manifestement instrumentalisé les Saharaouis a encore du chemin à faire, mais c’est pour Rabat qu’il sera le plus difficile d’évoluer : le statut du Sahara occidental constitue une question qui touche au prestige national et relève du seul palais. Plus que jamais la région a besoin d’un réchauffement des relations entre les deux capitales. Le pouvoir algérien aura-t-il la hauteur de vue qui lui permettrait de tendre la main au Maroc, alors que celui-ci qui risque de se trouver au pied du mur ?
Du côté des Saharaouis une évolution sera également nécessaire. Si la cause de la RASD inspire plus que de la sympathie, il est évident aussi que l’attitude récente du Polisario ne suscite pas d’enthousiasme auprès des défenseurs des droits de l’Homme. C’est à Alger et Rabat que se trouvent les clés qui permettront de débloquer la situation.
Michel ROCHE
Consultant indépendant
Associé au groupe d’analyse
de JFC Conseil