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L’Ambassadeur Didier Le Bret, préfigurateur de l’Académie diplomatique française : « Au-delà du travail diplomatique classique, il s’agit de mobiliser autour de nous davantage d’engagement citoyen »

15 avril 2024
L'Ambassadeur Didier Le Bret, préfigurateur de l'Académie diplomatique française : « Au-delà du travail diplomatique classique, il s'agit de mobiliser autour de nous davantage d'engagement citoyen »
L’Ambassadeur Didier Le Bret, préfigurateur et futur directeur de l’Académie diplomatique et consulaire française, dont la création sera officialisée très prochainement par le MEAE. © AM/APP
Portée par le MEAE, l’Académie diplomatique et consulaire française est une création qui arrive à point, tant il paraît nécessaire de clarifier les principes de l’action diplomatique de la France, à l’adresse de l’Afrique mais aussi au-delà. Tour d’horizon des nombreux points forts et novateurs de l’Académie.

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Un entretien exclusif d’Alfred MIGNOT pour AfricaPresse.Paris (APP)
@africa_presse
avec l’Ambassadeur Didier LE BRET,
préfigurateur de l’Académie diplomatique française

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AfricaPresse.Paris (APP) – Monsieur l’Ambassadeur, quelle est la genèse, et quel est le projet porté par la création de l’Académie diplomatique française, dont vous êtes le préfigurateur et dont vous serez sous peu le Directeur ?

Didier Le Bret – La création de l’Académie diplomatique et consulaire française s’inscrit dans le sillage des États généraux de la diplomatie. Ce moment de réflexion collective a permis de questionner notre métier, de tenter d’en dégager la spécificité. C’était aussi une réponse à l’ouverture de la diplomatie, déjà largement entamée, aux compétences extérieures pour faire face aux évolutions rapides du monde.
Parmi les nombreuses recommandations issues du rapport Bonnafont, l’idée de doter le Quai d’Orsay d’un outil – l’Académie diplomatique – qui permette à la fois de former, de préparer les mobilités et de s’ouvrir à tous les champs du savoir, s’est assez vite imposée.

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Les futures missions
de l’Académie

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À côté de la formation et de la préparation aux futures mobilités, entrantes et sortantes, trois autres missions seront confiées à l’Académie : se rapprocher du monde de la recherche, accueillir des diplomates étrangers, renouer le lien citoyen.

Le Quai d’Orsay doit se rapprocher des structures académiques, des think tanks, du monde associatif et participer ainsi pleinement au débat d’idées.

Nous aurons également pour mission de mieux accueillir nos collègues étrangers, à commencer par ceux qui sont présents à Paris. Autrefois, l’Académie diplomatique internationale, née de la société des Nations en 1920 et basée à Paris, faisait en partie ce travail, elle animait des débats, organisait des rencontres des personnels diplomatiques, mais elle a cessé d’exister depuis plusieurs années. Notre Académie reprendra cette activité de convivialité à son compte pour faire vivre une relation aussi riche et diversifiée que possible avec toutes les représentations actives à Paris.

Toujours en lien avec les diplomaties étrangères, l’Académie veillera à mieux structurer nos échanges. Approfondir, bien sûr, les liens directs avec nos voisins : les pays du Bénélux, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, le Royaume-Uni. Il nous faudra également renforcer nos liens avec les pays d’Europe de l’Est, et notamment ceux qui sont sur la ligne de front, voisins de l’Ukraine, qui ont aujourd’hui besoin de notre solidarité et avec lesquels nous avons besoin de mieux nous comprendre. Enfin, histoire et géographie obligent, les liens avec les diplomates des pays riverains du sud de la Méditerranée, du Maghreb, du Levant, et bien sûr avec l’Afrique sub-saharienne, devront être intensifiés.

La dernière mission, enfin, confiée à l’Académie sera tournée davantage vers les Français. Il s’agira pour l’essentiel de mobiliser, de renforcer l’engagement citoyen autour des priorités diplomatiques de la France, en étant davantage présent dans nos territoires. Cela correspond à différents moments et différents publics : par exemple en direction des jeunes, à travers des rencontres, des journées citoyennes. Le succès rencontré par la jeune académie diplomatique d’été confirme bien ce besoin.

Il nous faudra également davantage tirer parti des réseaux existants, qu’il s’agisse des personnels et experts, qu’on appelait autrefois les coopérants, qui sont nombreux, des étudiants étrangers qui viennent en France, de toutes celles et ceux qui fréquentent nos lycées français….

Et au-delà, il y a également les binationaux, qui représentent une ressource précieuse, sur laquelle on s’appuie sans doute insuffisamment. Dans tous les cas, il s’agira de s’appuyer sur des savoirs, des liens, des pratiques, qui peuvent déployer notre politique étrangère, la rendre davantage compréhensible, voire soutenue

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Un site universitaire en pleine
nature… et historique

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APP – Avez-vous choisi un lieu pour accueillir l’Académie ?

Didier Le Bret – C’est une question clé. Le lieu dit souvent beaucoup d’un projet, de son niveau d’ambition et dans le même temps il l’incarne. À ce stade, nous avons jeté notre dévolu sur un site que j’ai recommandé à nos autorités, il leur appartiendra de trancher. Ce site a une histoire riche, chargée également, puisque ce fut à la fois un lieu de recherche, d’expérimentation scientifique, mais aussi un lieu faisant la promotion de nos anciennes colonies à travers les fameuses expositions coloniales. Vous l’aurez reconnu, il s’agit du Jardin d’agronomie tropicale René Dumont [7 hectares] situé à l’est du bois de Vincennes. Dans un premier temps, il nous appartiendra de faire vivre le lieu en y organisant des formations, des séminaires, des retraites… Et dans un second temps, nous pourrions envisager une implantation durable de l’Académie.

Le pavillon de Tunisie, au cœur du du Jardin d’agronomie tropicale René Dumont. © DR

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APP – Avez-vous choisi une date de démarrage des activités ?

Didier Le Bret – Nous avons déjà commencé ! Récemment nous avons organisé un séminaire d’une journée pour nos équipes. Nous prévoyons aussi d’accueillir d’autres événements, le site s’y prête : des bâtiments ont déjà été rénovés, il y a un petit amphithéâtre, des lieux de convivialité…

APP – Comment accède-t-on à cet endroit ?

Didier Le Bret – C’est dans le bois de Vincennes, administrativement donc à Paris mais à la limite de Nogent-sur-Marne. On y accède par le RER A, à trois arrêts de Nation, en quelques minutes. Les jardins abritent de nombreux lieux de mémoire, une place d’armes en hommage à tous ceux qui sont morts pour la France, un stupa cambodgien, des pagodes, une stèle sur l’ancien emplacement de ce qui fut la première mosquée de France !

Le Jardin d’agronomie tropicale René Dumont, où se trouvent les locaux de l’Académie diplomatique, est facilement accessible depuis la station RER A de Nogent-sur-Marne, à trois stations de Nation. © DR

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APP – Les associations peuvent-elles vous solliciter pour organiser des événements dans vos locaux ?

Didier Le Bret – Le site est aujourd’hui occupé et son gestionnaire actuel est le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), qui est un opérateur du Ministère. Sur place, il y a également des organisations de la société civile, des ONG, comme le GRET ou AVSF, avec lesquelles j’ai souvent travaillé, des universités également, près de 400 étudiants au total, dont une cinquantaine de doctorants, et parmi ces universités et centres de recherche : on peut citer Paris 1, le CIRED (Centre international de recherche sur l’environnement et le développement) – l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales), l’École du Breuil, qui est l’école d’horticulture de la ville de Paris… Bref, c’est un lieu très occupé et vivant ! Donc, pour répondre à votre question, oui, on peut y organiser des événements, mais il faut les programmer !

APP – Avez-vous déposé les statuts de l’Académie ?

Didier Le Bret – Nous travaillons sur un projet d’arrêté qui modifiera la structure de l’école actuelle pour la transformer en Académie. Le ministre devrait en faire l’annonce officielle, notre acte de naissance en quelque sorte, fin avril, et tout devrait être bouclé avant l’été, y compris la nomination du futur directeur.

APP – Alors… Félicitations, Monsieur le Directeur !… Lors de votre participation à notre XIIe Conférence des Ambassadeurs Africains du 23 janvier, vous avez annoncé que vous aviez présenté plus de 160 propositions au MEAE. Parmi celles qui ont été adoptées, lesquelles vous font particulièrement plaisir ?

Didier Le Bret – La mise en place progressive d’une sorte d’« Erasmus des jeunes diplomates », qui encourage les mobilités dans les deux sens avant une prise de fonctions officielles en ambassade. Aller dans des structures académiques étrangères, y passer du temps, c’est une façon de marquer son intérêt, une forme de respect également pour des cultures, des pratiques, des visions du monde qui nous enrichissent. Ce sera également l’occasion de parfaire l’apprentissage des langues étrangères, de se faire un réseau de contacts, d’amis, permettant de mieux apprendre la réalité du pays d’accueil, avec davantage de liberté qu’une fois nommé en poste.

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Valoriser et transmettre
l’expérience des seniors

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Un autre sujet me tient à cœur, c’est la valorisation des parcours professionnels, des expériences de nos collègues nouvellement retraités. Beaucoup ont eu des parcours extraordinairement riches, une expérience qu’ils ne demandent qu’à partager, des compétences acquises au fil des postes qui peuvent être transmises. Certains d’entre eux, spontanément, se portent candidats pour des missions : ils font passer des concours, président des jurys, viennent de temps en temps faire des formations. Mais même avant la retraite, on peut imaginer que l’activité de formateur soit davantage valorisée au ministère, à mi-parcours, ou encore dans les dernières années d’activité, où la transmission trouve tout son sens et son utilité…

APP – Quand votre projet d’accueillir des diplomates étrangers sera-t-il opérationnel ?

SEM Didier Le Bret – Le programme devrait être établi à la rentrée.

APP – Quelles thématiques sont les plus demandées par les diplomates étrangers ?

Didier Le Bret – – Nous recevons fréquemment des demandes. Notre expertise diplomatique, qu’il s’agisse des questions liées au protocole, ou encore l’organisation de Sommets, l’activité du conseil de Sécurité, les questions multilatérales en général, est reconnue et intéresse beaucoup de pays. Souvent, lors des visites bilatérales, la question d’échanges de diplomates ou de formations est évoquée, des conventions ou des mémorandums sont signés, où l’on s’engage pour des programmes pluriannuels. Certains de nos partenaires expriment des besoins précis, comme des visites d’infrastructures, la présentation de politiques publiques, notre savoir-faire en matière d’attractivité, qu’il s’agisse du tourisme ou des investissements étrangers.

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Le beau projet du programme
« Redécouverte de la France »

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APP – Vous portez aussi ce beau projet de programme de « Redécouverte de la France »…

Didier Le Bret – – Oui… chaque année, l’idée est d’inviter pendant une semaine une cinquantaine de personnalités qui ont connu la France à un certain moment de leur vie, ont eu une activité en lien avec notre pays, voire ont peut-être travaillé pour nous ou avec nous. Entre temps, les liens se sont distendus, il peut être intéressant de réactualiser leurs contacts, leurs connaissances du pays avec non pas de la formation, mais une redécouverte de la France et des Français, en insistant sur la dimension territoriale et avec un très large spectre d’activités, économiques, citoyennes, culturelles, sportives…

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Des conférences inspirées
du modèle « Wilton Park »

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APP – Quand vous parlez de réseaux, à quoi faites-vous précisément allusion ?

Didier Le Bret – – La future académie aura vocation à soutenir toute initiative permettant de faire vivre et d’animer nos réseaux d’alumni. C’est une ambition qu’il faut se donner, même si ça n’est pas simple, tant les acteurs sont nombreux, à commencer par la douzaine d’opérateurs français qui travaillent dans le champ de la coopération internationale.

À côté de cette politique d’animation des réseaux, il nous faut également apprendre à inventer des formats d’échanges et de dialogues originaux, qui brassent bien au-delà des cercles diplomatiques, en s’inspirant de ce que font nos amis britanniques. L’Académie se dotera ainsi d’un outil inspiré des « Conférences de Wilton Park » du Foreign Office britannique.

Nous réunirons autour de sujets sensibles une vingtaine de personnes avec des profils très différents, venant du privé, du monde associatif, de la politique, des médias et bien sûr de la diplomatie. Dans un format interdisciplinaire et transverse, il s’agira moins de bâtir des solutions ou des plans, mais plutôt de tester des options, d’esquisser des scénarii souhaitables, d’identifier les points de blocage, de prendre la mesure des rapports de forces.

Enfin, nous lancerons également des séminaires thématiques, mixant là encore chercheurs et diplomates.

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L’Afrique, une priorité

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APP – Lors de cette même XIIe Conférence des Ambassadeurs Africains du 23 janvier, vous avez déclaré : « Nous allons accueillir prioritairement nos amis et partenaires d’Afrique, y compris du Maghreb (…) La réalité des échanges entre la France et l’Afrique est d’abord une réalité physique, humaine et de connaissance qu’il faut nourrir. »
 Donc là, on est vraiment dans la logique de l’Académie. Et puis : « Oui. Il y a une fausse symétrie de connaissance. On croit connaître l’Afrique, mais ils nous connaissent bien mieux. Donc il faut rétablir une forme d’équilibre… » Voulez-vous développer ce thème ?

Didier Le Bret – – Nous avons aujourd’hui une bonne couverture médiatique en France du continent africain. RFI par exemple à travers ses longs formats permet de développer, d’aller au-delà des gros titres de l’info continue. France 24 donne également la parole à ceux qui écrivent au quotidien l’histoire du continent en train de se faire : ses entrepreneurs, ses responsables politiques, ses intellectuels, ses artistes…
Ce qui à mon avis fait obstacle aujourd’hui à une connaissance plus fine de l’Afrique, au plus près de ses évolutions, tient à deux choses : d’abord une espèce de paresse, côté français, qui consiste à se dire que l’Afrique, on connaît. Nous nous fréquentons, nous nous visitons, nous vivons ensemble. La réalité est autre : les printemps arabes, puis les vagues terroristes qui ont frappé l’Europe, le Maghreb et l’Afrique sub-saharienne ont réduit les échanges, nous ont éloignés. Les zones rouges sont progressivement devenues la norme dans tous ces pays, à quelques exceptions près comme le Maroc, le Sénégal, la Côte d’Ivoire.

À l’inverse, nos amis africains qui ont également accès à certaines de nos chaînes continuent de suivre de près notre actualité, nos débats. Ils ont dans le même temps largement diversifié leurs sources d’information, et les voix critiques occupent de plus en plus d’espace, ce qui contribue également à creuser l’espace de compréhension et de dialogue entre nous.

Nous vivons également avec l’idée que du fait de l’importance de nos diasporas, les liens sont naturels et permanents. Les choses ne sont pas aussi simples ! Une grande majorité des Français de ces diasporas appartiennent à la deuxième ou troisième génération, et en réalité leur lien avec le continent est assez distendu, voire déjà un peu fantasmé.

Donc, il nous faut sans tarder revenir aux fondamentaux. Et les fondamentaux, ce sont les voyages, la connaissance, l’étude, l’ouverture, l’échange… Comme dans toute relation, il faut demeurer alerte, éveillé, curieux. Une relation entre pays – aussi proches soient-ils, comme dans les histoires d’amour – a besoin de s’alimenter à la source, elle a besoin d’être nourrie.

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CONTACT pour plus d’informations :
Mme Maëlle Partouche <maelle.partouche@diplomatie.gouv.fr>

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REPLAY / Grand succès de la XIIe Conférence des Ambassadeurs Africains de Paris, dédiée au partenariat renouvelé du Groupe AFD avec l’Afrique

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