Un entretien exclusif avec Michèle Gendreau-Massaloux
Coopération universitaire, formation, OMJ* :
la belle moisson des avancées de l’UPM !
Michèle Gendreau-Massaloux, ancien Recteur de l’Agence universitaire de la Francophonie, est en charge depuis deux ans du Pôle enseignement supérieur, recherche, formation et santé, au sein de la Mission interministérielle de l’Union pour la Méditerranée (UPM) que préside Henri Guaino.
Après un premier point d’étape dressé en janvier dernier (1), elle nous fait part ici des dernières avancées des nombreux projets, aboutis ou en cours de développement. Une entrevue exclusive qui permet de constater que deux ans après le Sommet fondateur de l’UPM (2), le monde universitaire méditerranéen s’implique toujours plus, et très concrètement…
Photo ci-dessus : Mme le Recteur Michèle Gendreau-Massaloux. © Alfred Mignot - juillet 2010
Entretien exclusif
Alfred Mignot - Madame le Recteur, vous avez pour mission d’accueillir les porteurs de projets et de choisir ceux qui seront ensuite présentés aux conférences ministérielles pour validation éventuelle. Comment se déroule ce processus ? Quels projets avez-vous en quelque sorte présélectionnés ?
Michèle Gendreau-Massaloux - Nous recevons un nombre important de projets, venant de presque tous les pays de l’UPM – en matière de formation professionnelle, de nouveaux mastères ou d’échanges de jeunes… – et nous les mettons en forme pour en permettre le développement.
Pour la Recherche et l’Enseignement supérieur, ces projets seront proposés à la réunion ministérielle qui se tiendra en octobre en Slovénie. La Slovénie accueille d’ailleurs la première université euro-méditerranéenne, un formidable acquis.
Le Secrétariat de l’Union pour la Méditerranée devra ensuite donner un label aux projets, les évaluer, en assurer le suivi et veiller à leur mise en œuvre. Ce sera la mission du Secrétaire Général adjoint israélien, M. Illan Chet, en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Certains projets sont déjà bien placés et ont été présentés lors du For’UM qui réunissait les bailleurs et les porteurs de projet, à Marseille le 27 mai dernier, en présence du Secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée. Différents ministres ont déjà pris connaissance des projets majeurs. Il s’agit par exemple du projet de Mme Catherine Vesperini d’un Institut Euro-méditerranéen en Sciences du Risque et du futur Centre méditerranéen de la Recherche scientifique, présenté à Marseille par Michel Laurent, Président de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD). Ce dernier projet est également fortement porté par le Liban, qui souhaite créer une fondation de droit libanais. La France s’associera pleinement à ce projet.
Autre projet encore, appelé Mistrals, portant sur l’observation des changements climatiques et des mouvements de la mer et de l’air. Fortement soutenu par le CNRS français, ce projet est très abouti et implique déjà un nombre très important de pays méditerranéens. Son centre administratif devrait se situer à Malte, où se tiendra d’ailleurs un colloque international relatif à ces questions du 25 au 27 novembre prochain.
Des projets comparables, nous en avons beaucoup ! Ici, à la mission, nous assurons leur réception, et nous contribuons à les développer, en trouvant, pour certains, des partenaires de plusieurs pays, en œuvrant à la recherche de financements, et en les présentant aux représentants des États.
Vers des modules inter-méditerranéens
de la Formation professionnelle
Alfred Mignot - Où en êtes-vous sur cet autre volet de votre mission, concernant la construction d’un pilier social euro-méditerranéen, et que vous évoquiez lors de notre précédente entrevue ?
Michèle Gendreau-Massaloux - Une réunion ministérielle sur le travail, l’emploi et la formation se tiendra à Bruxelles en novembre prochain. Sur ces sujets, le Forum social de l’Union pour la Méditerranée, qui associe les syndicats, le patronat et les représentants des États, n’a jamais cessé de fonctionner et devient une enceinte de dialogue permanent.
Nous voulons faire avancer le principe d’une participation à la gestion de la formation des syndicats et du patronat dans l’espace UPM. Sur ce point, il y a une vraie avancée qui devrait figurer dans la Déclaration des ministres du Travail et de l’Emploi, à Bruxelles, en novembre.
Cette réunion traitera aussi du découpage des formations en modules, sur le modèle du système européen de crédits, ECTS, European Credits Transfer System. Ce dispositif donne de très bons résultats dans le cadre des universités ayant adopté le système de Bologne. Un étudiant qui commence une licence ou un mastère peut ainsi accumuler des crédits qui seront transférés et reconnus dans une autre université de la région.
Notre souci est d’inciter tous les pays de la Méditerranée à s’accorder sur des modules communs, afin qu’un jeune qui entre dans un métier et auquel il manquerait des crédits pour valider une compétence quelconque – d’ouvrier, de cadre, d’ingénieur… – puisse se rendre dans un autre pays pour acquérir les modules manquants et valider ainsi son parcours une fois de retour chez lui. Il pourra donc à la fois prétendre à un niveau professionnel plus élevé et à la rémunération correspondante.
Un autre projet sur lequel nous travaillons, c’est la création, en Méditerranée, de lieux d’excellence en matière de formation professionnelle.
Ces lieux devraient être des centres de formation, dépendant des ministères ou des entreprises. En France, nous ne manquons pas d’expériences innovantes pour des jeunes qui n’ont pas forcément un bagage universitaire très consistant mais qui définissent avec un stage en entreprise un projet d’insertion professionnelle – avec un cahier des charges, que l’on découpe en autant de modules qu’il y a de crédits à acquérir. Ce jeune est suivi de façon individuelle par un tuteur qui l’accompagne et vérifie qu’il progresse en acquérant un ensemble de compétences liées à la capacité d’utiliser des machines identiques à celles qu’il trouvera dans l’entreprise où il sera embauché.
C’est un système que l’on voudrait voir se déployer aussi au Sud. Certes, pour le moment, tous les pays ne sont pas équipés de machines modernes, pas plus que de tuteurs compétents et disponibles. Nous pensons cependant qu’une première expérience de ce type pourrait être développée au Maroc avec l’Institut des Métiers de l’Aéronautique de Casablanca, qui sera opérationnel en décembre 2010.
Là encore, le Secrétariat Général de l’UPM aura les moyens de prendre le relais. Ce sera une des missions de Mme Cecilia Attard-Pirotta, Secrétaire Général adjoint en charge des affaires sociales.
Office méditerranéen de la jeunesse
et Erasmus-Med : l’enthousiasme !
Alfred Mignot - Il est connu que vous avez pris une grande part à l’émergence du projet de l’Office méditerranéen de la jeunesse, dont le ministre Éric Besson a annoncé la création le 14 décembre dernier. Où en sommes-nous ?
Michèle Gendreau-Massaloux - L’avancée de l’Office méditerranéen de la jeunesse (OMJ) est impressionnante. Deux grandes conférences se sont déjà tenues, la première à Tanger avec les représentants des ministères de l’immigration et des ministères de l’Enseignement supérieur et de la Recherche des dix-sept pays concernés**. Au début, nos partenaires étaient assez intrigués devant la volonté française d’aller très vite. Le ministre Éric Besson souhaite en effet que la méthodologie concernant le système de bourses et de visas soit fixée dès la rentrée 2010, afin que le projet soit opérationnel en 2011.
La seconde conférence s’est tenue au Monténégro, à la fin juin. Là, nous avons pu observer une réelle capacité de plusieurs pays à avancer. Nous espérons que cet Office sera présenté au prochain sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’UPM.
Alfred Mignot - Et en ce qui concerne la coopération universitaire en Méditerranée ?
Michèle Gendreau-Massaloux - J’avais évoqué, avec vous en janvier dernier, la perspective de création au sud de la Méditerranée d’un établissement de même ambition que celui de Piran-Portorož (en Slovénie), la première université euro-méditerranéenne, citée dans les conclusions du premier Sommet. Depuis, nous avons appris que SM Mohammed VI porte un intérêt personnel à cette idée, et les autorités marocaines travaillent actuellement sur un projet qui pourrait se concrétiser à Fès.
Un autre axe d’action important est celui des réseaux d’universités. Ils sont actifs et nous les incitons vivement à travailler ensemble. Trois réseaux apparaissent dès aujourd’hui prometteurs.
Le premier a été mis en place par l’université euro-méditerranéenne de Piran-Portorož, EMUNI, qui a signé plus de 120 conventions avec autant d’universités des pays riverains de la Méditerranée. Il réunit des universitaires engagés qui cherchent pour leurs étudiants des sujets de mastères et de thèses qui contribueront à résoudre les problèmes de la Méditerranée.
Un deuxième réseau, l’EPUF (Euromediterranean Permanent University Forum) créé à Tarragona, accueille maintenant, grâce au concours de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), nombre d’institutions francophones et se développe aussi de façon remarquable. Il a tenu récemment une grande conférence de recteurs méditerranéens, à Barcelone, sur les questions d’assurance-qualité et propose des orientations de travail qui peuvent intéresser les gouvernements, l’Europe, l’Union pour la Méditerranée.
Le troisième réseau que je citerai à ce stade est l’UNIMED, né à Rome, sur la recherche et les questions de formation professionnelle et de transports. Les rapports de cette organisation sur des sujets d’intérêt commun sont autant de pistes pour des actions concertées au niveau des gouvernements.
Les Présidents de ces trois réseaux se sont réunis en juillet dernier afin de mettre en place des relations de travail concrètes et ainsi d’éviter toute dispersion des énergies ou des financements. Ce travail de mise en synergie et de mutualisation des compétences et des projets semble prometteur.
La montée en puissance des Académies
Ce n’est pas tout ! En matière de Recherche, nous suivons également avec beaucoup d’intérêt l’action des Académies. En France, ce sont l’Académie de médecine et l’Académie des sciences qui ont initié le mouvement, en identifiant des problèmes communs aux pays méditerranéens, sur lesquels les avancées de la science peuvent conduire à des décisions politiques. En fédérant d’autres académies méditerranéennes, elles ont fait naître un réseau significatif le GID, (Groupement inter-académique pour le développement). Depuis, une structure nouvelle, EMAN, (Euromediterranean Academic Network), associe dorénavant dix-neuf académies. Son Président est Maurizio Brunori, un Italien membre de l’Accademia dei Lincei, lieu remarquable de développement des sciences.
Une Méditerranée multilingue
Après un premier colloque sur le réchauffement climatique et l’agriculture, le deuxième colloque du GID, à Rome, a porté sur les questions de la santé en Méditerranée.
Une troisième conférence a été dédiée à trois objets emblématiques, à la fois des richesses de la Méditerranée, et de la fragilité notoire de sa diversité : l’arbre, le poisson, le livre.
Il s’agissait d’une thématique transversale liée au souci de la diversité, biologique et culturelle, qui caractérise les cultures méditerranéennes. En ce qui concerne le livre, le problème de la numérisation a été posé, et particulièrement celui de la numérisation des ouvrages écrits en langue arabe. Un constat a été dressé de l’éparpillement des procédures et des lieux, et de l’absence, tant au nord qu’au sud, de structure fédérative. Une des idées qui ont fait l’objet d’un consensus, dont vont maintenant être saisis tous les ministres concernés, en France Mme Kosciusko-Morizet et M. Mitterrand, consiste à rassembler et à appuyer les propositions de numérisation que font les opérateurs publics et privés autour de la Méditerranée. Et en plusieurs langues, bien sûr !
Alfred Mignot - Madame le Recteur, lors de notre précédente entrevue, vous aviez déclaré que « l’idée de coopération multilatérale est extrêmement neuve, voire révolutionnaire ». Six mois plus tard, avez-vous la même opinion ?
Michèle Gendreau-Massaloux - Oui, je le maintiens. Chacun des pays de la Méditerranée a peu l’habitude d’une copropriété à 43, ni même sans doute à 17. Un projet comme celui de l’UPM ne se développe pas facilement, ni sans surmonter des obstacles importants. Eppur si muove !
Alfred Mignot - Est-ce à dire que malgré nos défauts, à commencer par nos chamailleries bien gauloises, les Français font preuve à l’international d’une capacité réelle à fédérer, et cela malgré notre légendaire arrogance ?
Michèle Gendreau-Massaloux – Je vous ai exposé notre action ; le commentaire vous appartient…
Un entretien exclusif réalisé par Alfred Mignot
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(*) – OMJ : Office Méditerranéen de la Jeunesse
(**) – Les 17 pays participant à ce jour à l’Office méditerranéen de la Jeunesse : Albanie, Algérie, Bosnie-Herzégovine, Chypre, Croatie, Égypte, Espagne, France, Maroc, Grèce, Italie, Liban Malte, Monténégro, Slovénie, Tunisie, Turquie.
(2) - Déclaration commune du Sommet de Paris pour la Méditerranée (12 juillet 2008)