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Yves Delafon / Au Niger et ailleurs, « Le sujet n’est pas la France, facile bouc-émissaire du populisme, mais la capacité des armées nationales à lutter contre le djihadisme »

17 octobre 2023
 Yves Delafon / Au Niger et ailleurs, « Le sujet n'est pas la France, facile bouc-émissaire du populisme, mais la capacité des armées nationales à lutter contre le djihadisme »
Yves Delafon, chef d’entreprise, Président d’honneur du réseau Africalink. © DR
« Ni un échec, ni une humiliation. » C’est par ces mots que le chef de l’État mauritanien, Mohamed Ould Ghazouani, a qualifié le départ décidé des forces françaises du Niger. Il est surprenant, et un peu triste, que nombre de médias et acteurs politiques français ne sachent pas faire preuve d’autant de discernement, de sagesse et de bon sens.

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Une contribution de Yves Delafon, chef d’entreprise,
Président d’honneur du réseau Africalink

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La France « chassée du Sahel » (Médiapart/Mondafrique, Arte radio…), « terrible aveu d’impuissance » (La Tribune), « ultime camouflet pour la France » (La Provence), « Macron tente de sauver la face » (Les Échos), « la France a perdu pied » (TF1), « la France persona non grata en Afrique » (BFM, Le Point)… Ces commentaires dénotent à la fois d’une analyse simpliste de faits complexes, et d’un fantasme encore profondément ancré dans l’inconscient collectif de notre pays.

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La France et 12 États impliqués
dans l’opération Serval, en 2013…

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La France s’est lourdement engagée en 2013 aux côtés de l’armée malienne (opération Serval), à la demande d’un gouvernement élu, responsable et conscient du désastre imminent lié à l’avancée inexorable des groupes armés islamistes. L’opération bénéficiant progressivement du soutien de 12 autres États, dont des soldats burkinabés, nigériens, sénégalais et tchadiens.

En juillet 2014, Serval se termine et est remplacée au Mali par une mission de casques bleus (Minusma) atteignant jusqu’à 8 000 hommes provenant de 25 pays, dont 15 africains. La coopération militaire française prend alors une dimension régionale (opération Barkhane), en partenariat avec les membres du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso et Tchad).

Le dispositif Barkhane est remis en cause par les coups d’État successifs du Mali, du Burkina puis du Niger. Ne disposant plus du soutien des « hommes forts » en place, la présence militaire française perd toute efficacité locale et n’a plus de justification politique. Ses troupes quittent (naturellement avec l’amertume de l’inachevé) le Mali en 2022, le Burkina en 2023 et le Niger fin 2023. La Minusma se retirant définitivement également de Mali en décembre prochain.

Il ne s’agit ni de défaite (il aurait fallu pour cela être en guerre avec ces pays), ni d’échec (les règles du jeu ayant été largement définies par les autorités locales), ni d’humiliation (la France n’y perd ni moyens, ni fierté dans des pays où son aide a été requise et où elle n’était que partenaire).
Si l’on peut légitimement s’interroger sur l’efficience et la pertinence de la présence des troupes françaises sur la durée, il est indécent de parler « d’occupation », de « pillages » ou de « soutien des terroristes » comme le proclament certains aujourd’hui.

Le sujet n’est pas la France, facile bouc-émissaire du populisme et objet permanent d’une intoxication médiatique largement orchestrée par la Russie, mais bien la capacité des armées nationales à lutter contre le djihadisme et à assurer la sécurité des populations. L’avenir nous le dira rapidement.

La France n’est pas un ennemi et souhaitons-leur de réussir, car leurs faillites entraîneraient des conséquences majeures tant pour l’Afrique de l’Ouest que du Nord. Sur le reste du monde par voie de conséquence, et particulièrement en Europe…

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Une perception dépassée
du continent africain

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S’il est audible qu’une partie des populations des anciennes colonies françaises alimentent encore leurs mécontentements avec des ressentiments historiques, même soixante ans après les indépendances, il est surprenant qu’une large partie de l’intelligentsia et de la population françaises continue de s’inscrire dans une perception dépassée du continent africain et de nos relations avec ce dernier.

Hésitantes entre sentiments de supériorité générés par des siècles d’incompréhension, et de culpabilité induite par un héritage dont elles ne savent pas se défaire. Cette schizophrénie étant entretenue par une forme d’arrogance inconsciente et une méconnaissance profonde de l’Afrique historique et contemporaine.

Notre première erreur étant de considérer l’Afrique comme une entité alors qu’il s’agit d’un kaléidoscope de 54 États, ou pire, de réduire ses 30 millions de km2 et son milliard et demi d’habitants au périmètre de sa partie francophone, voire à quelques gouvernements sahéliens aux institutions particulièrement fragiles et représentant une part non significative de nos échanges.
Une deuxième erreur, et même une faute, est de regarder le continent sous le prisme de convictions politiques et/ou idéologiques hexagonales, avec des analyses qui oscillent entre misérabilisme de bon ton et instrumentation politique, au risque avéré de se « tirer une balle dans le pied » au détriment des intérêts du Pays.

Enfin, et celle-ci est majeure, notre incapacité à reconnaître les mutations profondes que le continent connaît depuis plusieurs décennies, et plus particulièrement la position et la relation que la France y entretient. Nous fantasmons l’Afrique avec un tropisme (*) hors du temps. Refusant de voir que si la France partage en effet une histoire avec une partie de ses États, elle n’y a plus aucun droit acquis, aucune préséance, aucun privilège ! Nous devons y faire nos preuves, sur des territoires où la concurrence (économique et culturelle) est aussi forte qu’ailleurs et auprès de nouveaux décideurs plus avertis.

Le continent africain a impérativement besoin de partenaires pour confirmer son émergence
La France et l’Union Européenne n’ont qu’une Afrique, et c’est là que s’écrit significativement l’avenir du monde et, dans tous les cas, celui de l’Europe.

Contrairement aux gémissements des cassandres qui pérorent sur son déclin et son rejet, La France conserve une place significative sur le continent africain, en particulier au Nord, à l’Ouest et au Centre. Elle y dispose d’atouts culturels, sociaux et économiques précieux, et d’une reconnaissance bien supérieure à celle que peut montrer une agitation populiste conjoncturelle et localisée.
En se souvenant que si la Chine, entre autres compétiteurs, y prend naturellement sa place de grande puissance, l’UE reste le premier partenaire commercial du continent, le premier détenteur de stocks d’investissements directs (la France au second rang derrière le Royaume-Uni) et le premier contributeur en matière de soutien au développement.

Mais rien n’est acquis, et pour maintenir, accroître et valoriser sa relation, notre pays au sein de l’Union Européenne dont c’est l’intérêt, doit se remettre en cause, changer de logiciel.
Nous ne pouvons plus avoir la prétention d’apporter un développement qui ne peut qu’être endogène, mais l’accompagner comme partenaire. Nous devons bannir la notion d’aide, au profit de celle d’investissement public au développement. Nous devons reconnaître ce que nous devons et devrons à l’Afrique si nous réussissons ensemble à écrire un avenir partagé.

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(*) Tropisme : Force obscure qui pousse un groupe, un phénomène, à prendre une certaine orientation
**Titre originel de l’article, republié avec l’autorisation de l’auteur, après une première publication sur le site https://gomet.net/ : Départ du Niger : « Ni un échec, ni une humiliation »

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REPLAY DE LA CMAAP 10 / Grand succès de la Xe Conférence des Ambassadeurs Africains de Paris, organisée par AfricaPresse.Paris, et qui a réuni sept Excellences à l’Académie des Sciences d’Outre-mer, le 20 septembre 2023

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