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Professeur Abderrahmane MEBTOUL : « Avec l’Algérie comme avec l’Afrique, les relations entre réseaux sont devenues plus importantes que celles d’État à État »

11 décembre 2023
 Professeur Abderrahmane MEBTOUL : « Avec l'Algérie comme avec l'Afrique, les relations entre réseaux sont devenues plus importantes que celles d'État à État »
Le Pr Abderrahmane Mebtoul. En arrière-plan, la baie d’Oran, sa ville. © AM/APP
Économiste et expert international renommé, Président du conseil algérien des privatisations avec rang de ministre délégué (1996/1999), Haut magistrat et Directeur général à la Cour des comptes (1980/1983), régulièrement Directeur d’études à Sonatrach-Ministère de l’Énergie (de 1974 à 2015), le Professeur algérien Abderrahmane MEBTOUL vient d’achever un séjour professionnel à Paris. L’occasion pour notre site d’un entretien exclusif.

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Propos recueillis par Alfred MIGNOT avec Desk AfricaPresse.Paris (APP)
@alfredmignot | @africa_presse

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APP - Où en sont actuellement les relations entre la France et l’Algérie ? La rumeur annonce régulièrement une visite d’État du Président Tebboune, mais jusqu’ici elle a toujours été reportée…

Pr. A. Mebtoul – Vous savez, entre la France et l’Algérie, c’est comme dans un vieux couple, il y a des hauts et des bas…
Le devoir de mémoire a cristallisé effectivement beaucoup de mésentente entre nos deux pays, mais sur ce point, le Président Tebboune, qui entretient d‘excellentes relations avec le Président Emmanuel Macron, a été clair. Il a dit : laissons les historiens algériens et français faire leur travail en toute objectivité…
D’ailleurs, la commission mixte d’historiens français et algériens vient de se réunir pour la première fois à Constantine, en novembre, co-présidée par l’historien algérien Mohamed Lahcen Zighidi et le français Benjamin Stora, qui est très respecté en Algérie. Aussi, j’ai appris que plusieurs milliers d’archives seront restituées à l’Algérie prochainement. C’est déjà un bon point bonne étape. Bref, le devoir de mémoire est important, mais en ces moments de grands bouleversements géostratégiques, il s’agit de préparer ensemble l’avenir, sur la base d’un partenariat gagnant-gagnant.

APP - Et au plan économique ?

Pr. A. Mebtoul – Les exportations algériennes ont atteint 68,4 Mds USD en 2022, soit une augmentation de 76,4 % sur douze mois. Cette hausse est essentiellement la conséquence d’une progression du prix des hydrocarbures, ces derniers représentant 89,8 % du total des exportations algériennes (41 % de gaz naturel, 30,3 % de pétrole brut et 15,4 % de carburants).
Le reste des exportations du pays (10,2 % en 2022) se compose de dérivés des industries pétrolières et gazières (engrais, ammoniac, huiles issues de la distillation des goudrons) et de produits agroalimentaires (dattes, sucre).
Quant aux importations, elles ont atteint 35,9 Mds USD en 2022, en recul de 3,6 % sur un an (37,3 Mds USD en 2021). Quatre groupes de produits contribuent à plus du tiers de l’ensemble : les biens alimentaires (16 %) essentiellement des produits céréaliers et laitiers ; les biens d’équipements industriels (10,9 %) ; les produits en plastiques (7,3 %) ; enfin les biens d’équipements électriques (5,1 %).

Actuellement, on observe une intensification des relations entre l’Algérie et l’Italie, notamment à travers le gazoduc Transmed, d’une capacité d’environ 33-34 milliards de mètres cubes.
Depuis septembre 2023, l’Algérie est aussi devenue le premier exportateur de gaz vers l’Espagne, avec 10,5 milliards de m3. Jamais les exportations de gaz n’ont atteint un tel volume vers l’Espagne. Cela nous enseigne qu’il y a un monde entre les discours politiques et la real-économie…
En 2022, le 1er fournisseur de l’Algérie est la Chine, (avec une part de marché de 18,6%), suivie par la France (14 %) et l’Italie (7,7 %) Mais pour l’instant, elle se contente d’être un marchand ou en investissant dans les infrastructures qui ne sont qu’un moyen pour le développement, avec une promesse, lors de la dernière visite du président Tebboune en Chine, d’un investissement de 36 milliards de dollars.
La France occupe une part relativement importante hors hydrocarbures, mais loin de ses énormes potentialités. Et si on inclut les hydrocarbures , le premier investisseur sont les USA

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« La France doit
changer de logiciel »

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APP - Donc, sur le plan économique, la tendance est plutôt positive ?

Pr. A. Mebtoul – En 2022, la France était le 3e client de l’Algérie (10,5 % du total), derrière l’Italie (32,3 %) et l’Espagne (12 %). Hors hydrocarbures, la France apparaît en effet en bonne position. Mais elle risque d’être supplantée par l’Italie et la Turquie – dont les relations économiques avec l’Algérie connaissent un important essor – si tous les accords négociés par ce pays avec l’Algérie sont effectivement mis en œuvre.

Je pense que pour densifier ses relations avec l’Algérie, la France doit changer de logiciel. Certes, il y a une prise de conscience du président Macron, et ce n’est pas que les Africains n’aiment pas la France, mais les Africains demandent justement qu’elle change de logiciel, comme Africapresse.paris l’a écrit dans votre article sur le récent Rapport Fuchs-Tabarot (https://swll.to/RCVpK) portant sur les relations Afrique-France.

Lors de ce séjour à Paris, à titre privé , j’ai donné plusieurs conférences et j’ai eu une importante réunion, à titre d’expert indépendant, avec d’importantes personnalités du monde politique et économique français, dont des responsables du Quai d’Orsay chargés du Maghreb et de l’Algérie.
En tant qu’expert indépendant, j’ai pu leur dire qu’en ce début de XXIᵉ siècle, ce ne sont plus les relations d’État à État qui sont les plus importantes, mais celles entre réseaux, car ils densifient effectivement les relations entre les pays. Or, les Français en sont encore à s’appesantir sur les anciens réseaux des années 1970-1980, qui n’ont plus d’impact en Algérie. Il faut de nouveaux réseaux, des deux côtés de la Méditerranée, en faisant participer la diaspora algérienne qui dispose d’énormes potentialités financières et surtout humaines .

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« L’Afrique est le véritable
enjeu du XXIᵉ siècle »

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APP - Vous évoquez la Méditerranée… mais depuis la création de l’UpM en 2008, nous n’avons connu que des déconvenues et déceptions, non ?

Pr. A. Mebtoul – Je suis un partisan et défenseur de la Méditerranée. En 1992 déjà, j’ai donné une conférence à l’Unesco, à l’invitation de feu Pierre Moussa qui fut un grand ami de l’Afrique. Trente ans plus tard, le thème « Le Maghreb, un pont entre l’Europe et l’Afrique » est toujours pertinent. Entre 2016 et 2017, sous ma direction et celle du Dr Camille Sari, nous avons publié deux importants ouvrages Éditions L’Harmattan de Paris, intitulés « Le Maghreb face aux enjeux géostratégiques - Tome 1 : L’histoire, la politique, la sécurité ; et Tome2, l’Économie, sous ses différentes facettes. Pour la première fois, 36 experts internationaux des deux rives de la Méditerranée – Algériens, Marocains, Tunisiens, Mauritaniens, Libyens et Européens ont contribué à ces ouvrages.

Leur message est clair : il faut faire du bassin méditerranéen un lac de paix et de prospérité partagée. Et la Méditerranée, à travers des réseaux assez solides et concrets, peut servir de pont entre l’Europe et l’Afrique, qui représentera un quart de la population mondiale entre 2030/2040, avec d’importantes richesses sous-exploitées. L’Afrique est le véritable enjeu du XXIᵉ siècle.

APP - Enjeu ?

Pr. A. Mebtoul – Tout le monde aujourd’hui veut sa part d’Afrique ! Chine, États-Unis, Europe, Inde, Japon, … les rivalités s’exacerbent. Sans oublier la Turquie – qui a tout de même déjà investi plus de 50 milliards de dollars – et les pays du Golfe, comme l’Arabie saoudite, les Emirats, le Qatar, qui sont en train de beaucoup investir.

Oui, l’enjeu, c’est l’Afrique. Pour la France qui perd pied sur le Continent, l’Algérie peut être un relais de densification au sein de la Méditerranée entre l’Europe et l’Afrique, à laquelle elle accorde un importance stratégique pour son avenir. D’ailleurs, il serait souhaitable de créer un Secrétariat d’État destiné à densifier les relations avec l’Afrique, sous la tutelle bien sûr du ministère des Affaires étrangères algérien.

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L’Afrique, une ambition
algérienne

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APP - Le projet de Grand Maghreb est-il délaissé, du fait du différend persistant entre l’Algérie et le Maroc ?

Pr. A. Mebtoul – Je suis un grand défenseur du Grand Maghreb et de la prospérité de l’Afrique, depuis cinquante ans !
Un rapport de la Banque mondiale estime que s’il y avait intégration du Maghreb, qui compte à peu près 110 millions d’habitants, le taux de croissance de l’ensemble des pays concernés augmenterait de 2 % à 3 % par an. Donc c’est quand même important.
Alors oui, il y a le problème épineux du Sahara occidental. Dans cette affaire, la position des États-Unis est ambiguë : Trump avait reconnu la marocanité du Sahara occidental, mais l’administration de Joe Biden paraît en retrait…

La position de l’Algérie est claire, elle s’inscrit dans le cadre de la résolution des Nations Unies. Pour l’Algérie cela rentre dans le processus de la décolonisation et d’appui à un référendum, car il appartient aux Sahraouis de décider s’ils veulent être autonomes ou être rattachés au Maroc. Il faut s’inscrire dans le cadre du respect du droit international et respecter les résolutions des Nations Unies, et éviter la loi de la jungle, comme c’est actuellement le cas au Moyen Orient.
Je suis en tout cas totalement convaincu qu’il serait suicidaire, tant pour le renouveau économique que pour la stabilité régionale, que chaque pays du Maghreb fasse cavalier seul.

APP – Aujourd’hui, que représente le courant d’affaires de l’Algérie avec l’Afrique ?

Pr. A. Mebtoul – C’est assez dérisoire car les échanges commerciaux entre l’Algérie et les États africains ne représentent que 4 % (source officielle APS 2022) seulement du volume des échanges commerciaux extérieurs de l’Algérie avec le reste du monde. Mais au travers de la ratification, il y a deux ans, de l’accord sur la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) – qui couvre un marché de 1,3 milliard de personnes et devrait atteindre 3 milliards d’habitants à l’horizon 2050, avec un PIB global estimé à 2 500 Mds USD – l’Algérie ambitionne de multiplier par quatre à six le flux actuel.

Pour cela, elle est en train d’implanter des banques et des succursales au Sénégal et en Mauritanie, et dans d’autres pays africains. À titre de rappel, l’objectif de la ZLECAf est d’intensifier les échanges commerciaux entre les pays africains à travers la création d’un marché commun de biens et de services en vue de renforcer la complémentarité économique du continent. Selon la vision à l’horizon 2063 élaborée par l’Union africaine (UA), il n’existe pas une Afrique mais des Afriques, avec d’importantes disparités, d’où la nécessité d’intégrations sous-régionales. Aujourd’hui le commerce intra-africain est faible, il ne représente que 14,4 % du total des exportations africaines, selon la CNUCED. Selon elle, la ZLECAf pourrait stimuler le commerce intra-africain d’environ 33 % et réduire le déficit commercial du continent de 51 %.

Source © TV5 Monde

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Via l’Algérie ou le Maroc ? Deux projets
concurrents de gazoduc nigérian vers l’Europe…

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APP – Où en est le projet de gazoduc Algérie/Nigeria ? N’est-il pas fragilisé au profit de son concurrent Nigeria/Maroc ?

Pr. A. Mebtoul – Le Nigeria, principal fournisseur de ce projet, dispose de réserves prouvées de gaz naturel estimées à 5 300 milliards de mètres cubes gazeux…
Nous assistons depuis des années à des déclarations contradictoires de différents responsables du Nigeria concernant le gazoduc Nigeria/Europe : une fois c’est avec l’Algérie, une autre fois avec le Maroc, comme le 3 décembre 2023, le ministre d’État nigérian de l’Energie, Ekperikpe Ekpo, ayant déclaré que les travaux des infrastructures du projet du gazoduc Nigeria-Maroc (NMGP) débuteront en 2024, à la suite à l’accord conclu avec les pays qui seront traversés par le pipeline… Cela dit, rappelons que des protocoles d’ententes ne sont pas des contrats définitifs, ils n’engagent nullement les partenaires.

Le Nigeria doit une fois pour toutes éclaircir sa position car plusieurs hauts responsables nigérians avaient déclaré officiellement, courant 2022, que ce gazoduc passerait par l’Algérie.
Ce « parasitage » s’explique par le fait que cela dépasse le cadre strictement économique, car comme le démontre une importante étude de l’IRIS du 19 août 2021, le gazoduc reliant le Nigeria à l’Europe, – principal client, qui doit se prononcer également sur ce projet – est l’objet d’enjeux géostratégiques importants pour la région.

Le gazoduc Maroc-Nigéria dont le coût est estimé par l’IRIS à environ 30 milliards de dollars, avec une durée de réalisation de 8 à 10 ans, devrait mesurer environ 5 660 kilomètres de long. Il longerait la côte ouest-africaine en traversant ainsi 14 pays : Nigéria, Bénin, Togo, Ghana, Côte d’Ivoire, Liberia, Sierra Leone, les trois Guinée, la Gambie, le Sénégal, la Mauritanie, le Sahara occidental dont le problème n’est pas résolu, et le Maroc.

Concernant le gazoduc Nigeria-Algérie, long de 4128 km, son coût estimé par la Commission européenne qui est passé de 5 milliards de dollars au début de l’entente à 19/20 milliards de dollars pour une durée de réalisation minimum de cinq années après le début du lancement. Il aurait capacité annuelle de 30 milliards de mètres cubes, démarrerait de Warri au Nigeria pour aboutir à Hassi R’Mel, en passant par le Niger.

Mais actuellement, à la suite du coup d’Etat, ce pays connaît des tensions avec le Nigeria, membre de la CEDEAO. Si l’on résout ce problème politique entre le Nigeria et le Niger, l’avantage de l’Algérie, – rendant le projet beaucoup plus rentable sur le plan économique que celui passant par le Maroc en plus d’un gain de temps de cinq années – est qu’elle possède déjà les canalisations opérationnelles du gazoduc Transmed vers et via l’Italie, d’une capacité de 33/35 milliards de mètres cubes gazeux, ainsi que le gazoduc Medgaz directement vers l’Espagne, à partir de Beni Saf, avec une capacité qui a été augmentée de de 8 à 10,5 milliards de mètres cubes gazeux.
Pour certains experts, tout dépendra finalement des nouvelles mutations énergétiques mondiales, de la rentabilité du projet et surtout de l’accord de l’Europe, principal client.

Il y a huit ans, lorsque je me suis déplacé à Bruxelles, l’Europe a promis un financement assez conséquent pour le projet Nigal de l’Algérie. Mais maintenant, l’Europe a une autre vision, c’est d’arriver à 50 % d’énergie renouvelable. Donc, à court terme, un projet de gazoduc ne l’intéresse plus autant.
Citons enfin, pour mémoire, le projet avorté de canalisation GASLI, depuis l’Algérie vers l’Europe via l’Italie, d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux pour un coût, à l’époque, de 3 milliards de dollars du fait du tracé complexe, et qui devait être branché à la Corse, la France ayant donné son accord… La partie algérienne avait réalisé toutes les études de faisabilité, elle était prête à la réalisation et je m’étais déplacé personnellement en Italie et en Corse pour défendre ce projet. Mais le refus des élus de Sardaigne a fait avorter le projet.

APP- Justement, quels sont les facteurs facteurs contraignants du projet actuel ?

Pr. A .MEBTOUL – La rentabilité du projet Nigeria Europe, suppose trois conditions.
Premièrement, la mobilisation du financement. Fin 2023, les réserves de change de l’Algérie s’élèvent à 73 milliards de dollars avec un endettement extérieur faible, moins de 3 milliards de dollars. De son côté le Nigeria disposait à fin 2022 de 3, 7 milliards de dollars de réserves de change et, selon le bureau de gestion de la dette du Nigeria (DMO), il enregistrait une augmentation de la dette publique de 7,66 % sur une année, à 103,11 milliards $ contre 95,77 milliards $ en 2021.

Aussi l’on devra impliquer des groupes financiers internationaux, et l’Europe, principal client : sans son accord et son apport financier, il sera difficile, voire impossible de lancer ce projet, d’autant que d’ici à 2030, l’Europe se propose de couvrir 50 % de ses besoins en énergies renouvelables.

Deuxièmement, ce projet doit tenir compte de la concurrence d’autres sources d’énergie, dont les énergies renouvelables, la percée de l’hydrogène vert et de la concurrence internationale qui influe sur sa rentabilité.
Les réserves mondiales avec de bas coûts sont de 45 000 milliards de mètres cubes gazeux pour la Russie, 30 000 pour l’Iran et 20 000 pour le Qatar, sans compter d’autres producteurs comme le Mozambique, les importants gisements de gaz en Méditerranée (20 000 milliards de mètres cubes gazeux) expliquant les tensions entre la Grèce et la Turquie. Sans compter aussi le gaz de schiste américain…
D’où la nécessité de lancer une étude du marché pour déterminer la demande sur le gaz avant de trancher sur l’opportunité de s’engager dans ce projet, car la faisabilité implique la détermination du seuil de rentabilité en fonction de la concurrence d’autres producteurs, du coût et de l’évolution du prix du gaz.

Troisièmement, la sécurité et des accords avec certains pays, le projet traversant plusieurs zones instables et qui mettent en péril sa fiabilité avec les groupes de militants armés du Delta du Niger qui arrivent à déstabiliser la fourniture et l’approvisionnement en gaz.
Les conséquences d’une telle action, si elle se reproduit, pourraient remettre en cause la rentabilité de ce projet. Il faudra impliquer les États traversés, avec lesquels il faudra négocier le droit de passage (paiement de royalties), donc évaluer les risques d’ordre économique, politique, juridique et sécuritaire.

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Les atouts de l’Algérie
en énergies renouvelables

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APP - L’Algérie est décidée à investir dans les énergies renouvelables, mais n’a-t-elle pas accumulé un gros retard par rapport au Maroc ?

Pr. A .MEBTOUL – Il faut le reconnaître, le Maroc est beaucoup plus avancé que l’Algérie dans les énergies renouvelables. En effet, selon les dernières données de 2022, la part du gaz naturel représente dans le mix énergétique algérien environ 63/64 %, le pétrole 35%, les énergies renouvelables toutes catégories confondues autour de 0,5 %.

Mais l’Algérie a décidé de rattraper ce retard. Le Groupe Sonelgaz a procédé le 4 décembre 2023 à l’ouverture des plis relatifs à l’appel d’offres national et international lancé pour la production de 1 000 MW d’énergie photovoltaïque Solar 1000 MW ». Quelque 139 entreprises ont retiré le cahier des charges, dont 36 algériennes, 103 étrangères et une entreprise mixte, pour la réalisation de cinq stations dans cinq wilayas, d’une capacité allant de 50 à 300 MW, et ce, au titre de la deuxième étape dans le cadre de la réalisation du programme de développement des énergies renouvelables prévoyant l’installation d’une capacité de 15 000 mégawatts d’énergies renouvelables sur 2030-2035, objectif inscrit par le gouvernement dans son plan d’action.

La capacité installée actuelle atteint une production d’énergies renouvelables de 511 mégawatts.Mais avec le projet de construction de quinze centrales photovoltaïques d’une capacité de production variant entre 80 et 220 mégawatts, la capacité totale sera de 2 000 mégawatts, répartie sur douze wilayas.

Aussi, l’Algérie dispose d’abondantes sources d’énergies renouvelables, éoliennes et solaires – plus de 3 000 heures de soleil par an, sachant qu’il est admis que chaque km2 de désert reçoit annuellement une énergie solaire équivalente à 1,5 million de barils de pétrole – qui lui permettent de devenir un leader mondial dans la production de l’énergie propre.

Cela concerne la consommation locale, le Ministère de l’Energie prévoyant à horizon 2030/2040, environ 40% de la couverture du marché intérieur, ce qui consiste à installer une puissance d’origine renouvelable de l’ordre de 22 000 MW à l’horizon 2030, dont 12 000 MW pour le marché national algérien, et avec une possibilité d’exportation allant jusqu’à 10 000 MW, ainsi que des projets d’interconnexions électriques en direction de l’Europe.

Par ailleurs, , il y a un mois et demi, le ministre de l’Énergie algérien a signé à Bruxelles un accord sur l’hydrogène vert pour que l’Algérie, à horizon 2030-2035, puisse subvenir à 10 % des besoins européens. Et l’Algérie est prête à mettre sur la table, sur les dix ans à venir, 35 milliards de dollars pour l’hydrogène vert.
Donc si demain l’Europe s’oriente vers l’hydrogène vert et les énergies renouvelables, l’Algérie aura beaucoup d’avantages comparatifs à faire valoir.

APP - Quel est votre point de vue d’expert économiste sur la possibilité éventuelle de réduction de l’astronomique économie informelle, problématique qui concerne toute l’Afrique ?

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Pr. A. Mebtoul – Le concept de « secteur informel » apparaît pour définir toute la partie de l’économie qui n’est pas réglementée par des normes légales. En marge de la législation sociale et fiscale, elle échappe à la comptabilité nationale et donc à toute régulation de l’État, encore que récemment à l’aide de sondages, elle tend à être prise en compte.
Cette sphère utilise des billets de banque au lieu de la monnaie scripturale (chèques) ou électronique, faute de confiance, en raison des situations de monopole ou d’oligopoles, avec des liens entre certaines sphères et la logique rentière.

Il y a lieu de différencier la sphère informelle productive qui crée de la valeur de la sphère marchande spéculative qui réalise un transfert de valeur. L’économie informelle est donc souvent qualifiée de « parallèle », « souterraine », « marché noir » et tout cela renvoie au caractère dualiste de l’économie, une sphère qui travaille dans le cadre du droit et une autre sphère qui travaille dans le non-droit, étant entendu que le droit est défini par les pouvoirs publics en place.

Pour des actions opérationnelles, les politiques doivent éviter le juridisme. Dans chacun de ces cas de figure, nous assistons à des logiques différentes, tant pour la formation du salaire et du rapport salarial, du crédit et du taux d’intérêt, qui renvoient à la nature du régime monétaire dualiste.
En 2011-2012, j’ai eu l’honneur de diriger une étude, parue en 2013, sur la sphère informelle au Maghreb, mission que m’avait confiée l’Institut français de relations internationales. Pour l’essentiel, elle est toujours valable, et l’on peut affirmer que la sphère informelle naît des dysfonctionnements des appareils de l’État, du poids de la bureaucratie et du trop d’État. C’est ainsi dans tous les pays du monde.
Certains rares pays ont pu l’éradiquer, même s’il est impossible de le faire totalement, car il y aura toujours 10-15 % d’informel incompressible, mais c’est minime par rapport à la sphère totale. L’expérience la plus intéressante est celle de l’Italie. Avant son adhésion à l’Union européenne, la sphère informelle italienne représentait 70 % à 80 % de l’économie.

Aujourd’hui, dans certains pays d’Afrique, l’informel dépasse 80 % de la sphère économique. La réduire est un véritable dilemme, car elle sert de soupape sociale. Donc elle est tolérée par les États parce qu’on n’arrive pas à créer assez de croissance, mais en même temps elle limite les perspectives économiques à moyen et long terme de l’État. Et cela a aussi des incidences politiques, parce que quelqu’un qui est dans la sphère informelle ne se sent pas concerné comme citoyen, il pense qu’il se débrouille seul, donc qu’il ne doit rien à l’État.

Sur cette question, il faut se souvenir des travaux du plus grand spécialiste de la sphère informelle, Hernando de Soto, un Péruvien qui a été expert à la Banque mondiale et au FMI, que j’ai reçu à Alger il y a une quinzaine d’années, lorsqu’il était directeur de la Banque centrale du Pérou.
Lors d’une étude que lui avait demandée le président égyptien Moubarak sur la sphère informelle en Égypte, Hernando de Soto a pu constater que l’informel prospère dans un État de non-droit. La bureaucratie à son tour tire sa puissance de la sphère informelle, et ce contexte génère la corruption, car tout se traite en cash.

Dans le cas de l’Algérie, l’utilisation de divers actes administratifs de l’État à des prix administrés du fait des relations de clientèles, transite également par ce marché grâce au poids de la bureaucratie qui trouve sa puissance par l’extension de cette sphère informelle. Cela pose d’ailleurs la problématique des subventions qui ne profitent pas toujours aux plus défavorisés (parce généralisables à toutes les couches sociales), rendant opaque la gestion de certaines entreprises publiques et nécessitant à l’avenir que ces subventions soient prises en charge non plus par les entreprises, mais budgétisées au niveau du Parlement pour plus de transparence.

En fait, pour une analyse objective et opérationnelle, on ne peut isoler l’étude de la sphère informelle du mode de régulation mis en place, c’est-à-dire des institutions.
En Algérie, les mécanismes de régulation internes sont largement influencés par l’état de l’économie mondiale, l’économie algérienne étant dominée par la rente des hydrocarbures, existant des liens dialectiques entre la logique rentière et la bureaucratie qui tend à fonctionner non pour l’économie et le citoyen mais en s’autonomisant en tant que pouvoir bureaucratique, favorisant ainsi la corruption.

La Banque d’Algérie a annoncé que durant l’année 2020, l’argent circulant en dehors des circuits bancaires a atteint les 6 140 Mds de dinars, soit, au cours de 128 dinars un dollar de l’époque, 48 milliards de liquidité dollars. Le Président de la République, début 2021, déplorant l’effritement du système d’information, avait quant à lui annoncé un montant entre 6 000 et 10 000 milliards de dinars, soit entre 33 % et 45 % du PIB.

On ne peut isoler la sphère réelle de la sphère monétaire. Selon les cotations commerciales d’ouverture du dinar de la Banque d’Algérie, du 1ᵉʳ au 5 décembre 2023, l’euro est coté à un taux d’achat de 146,57 dinars algériens, tandis que son taux de vente s’établit à 146,64 dinars algériens ; le dollar américain présente un taux d’achat à 134,50 dinars et un taux de vente à 134.52 dinars algériens.

Mais sur le marché informel, à la même date, l’euro s’achète à 234,00 dinars algériens et se vend à 236,00 dinars algériens par les cambistes de la bourse informelle. Le dollar américain s’échange à 217,00 dinars à l’achat et à 220,00 dinars algériens à la vente.
Cet écart explique en partie la fuite de produits hors des frontières et la corruption via les surfacturations que l’on ne combat pas par des mesures administratives, mais au moyen de mécanismes de régulation transparents.

Pour lutter contre le cancer de la bureaucratie, l’Algérie s’oriente progressivement vers la numérisation, et la création de bureaux de change, mais ce sont deux dossiers très complexes, dont la mise en œuvre ne se fera que progressivement et dont la réussite sera fonction d’une nette volonté politique pour aller vers une économie de marché concurrentielle maîtrisée, loin de tout monopole, conciliant l’efficacité économique et la nécessaire cohésion sociale, la visibilité dans la politique socio- économique au moyen d’une planification stratégique, donc de profondes réformes institutionnelles et économiques pilotées par des forces sociales réformistes.
Tout cela ne sera pas facile pour une Algérie nouvelle, face aux forces sociales bureaucratiques rentières qui défendront leurs privilèges.

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Brève biographie du Professeur Abderrahmane ME BTOUL – Professeur des Universités, Dr Abderrahmane MEBTOUL, ancien immigré ayant effectué ses études primaires, secondaires, et une partie du supérieur à Lille (France), auteur de 20 ouvrages et plus de 700 contributions locales et internationales, notamment sur les relations internationales (plusieurs contributions internationales sur les relations Europe/Maghreb, les enjeux énergétiques en Méditerranée)
Expert international en management stratégique, expert comptable de l’Institut supérieur de gestion de Lille, il est Docteur d’Etat en sciences économiques (1974) à l’âge de 26 ans.
Directeur d’Études au Ministère de l’Energie/Sonatrach (1974/1979 - 1990/1995 - 2000/2008- 2013/2015), il a dirigé plusieurs audits sur Sonatrach.
Ancien magistrat, Premier conseiller, Directeur général des Études économiques à la Cour des comptes (1980/1983) –
Président du Conseil algérien des privatisations, avec rang de Ministre délégué (1996/1999) – Directeur d’Etudes au cabinet de la sûreté nationale (DGSN, 1997/1998) Expert au Conseil Économique et Social (1996/2008) - Expert à la présidence de la république (2007/2008).
Dr Abderrahmane MEBTOUL a représenté en 2019/2020 l’Algérie au forum de la société civile de la méditerranée orientale des 5+5 + Allemagne + les organismes internationaux FMI, Banque mondiale, commission européenne, BIRD, OCDE, où il a présidé la commission de la Transition énergétique.
Membre du Forum mondial du développement durable et de la revue Passages, il contribue régulièrement à la rubrique stratégie/défense de la revue Vigie. Il a dirigé plusieurs études pour l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI), dont celle sur la sphère informelle au Maghreb. De 2010 à ce jour, il est membre du conseil scientifique de la revue africaine CAFRAD/UNESCO.
De 1974 à 2023, il est consulté, en tant qu’expert indépendant, par les gouvernements successifs algériens sur différents dossiers économiques.

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Voir ICI LE REPLAY
de notre XIe Conférence des Ambassadeurs Africains à Paris

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