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Pr A. MEBTOUL : « L’Algérie est toujours à la recherche de son destin, avec une transition inachevée, mais reste un pays plein de vitalité »

2 juillet 2020
Pr A. MEBTOUL : « L'Algérie est toujours à la recherche de son destin, avec une transition inachevée, mais reste un pays plein de vitalité »
Cinquante-huit ans après son indépendance, fêtée le 5 juillet, l’Algérie est confrontée à l’effondrement de la rente pétrolière et doit faire face à de nombreux défis. Le moment est venu, pressant, d’un examen lucide de la situation afin d’engager les réformes profondes, indispensables pour engager le pays sur le chemin de l’avenir. Analyse et propositions.

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Une contribution du Pr Abderrahmane MEBTOUL
Professeur des universités, expert international

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L’Algérie célèbre le 5 juillet la fête de l’indépendance marquant la fin de la colonisation française depuis la conquête de l’Algérie de 1830 à 1871, qui marquera une longue résistance avec l’avènement du nationalisme avant le déclenchement de la guerre de libération nationale. La France reconnaît l’indépendance de l’Algérie le 3 juillet et celle- ci est proclamée le 5 juillet 1962.

Cinquante-huit ans plus tard, en ce 05 juillet 2020, l’Algérie est toujours à la recherche de son destin, avec une transition inachevée tant sur le plan politique qu’économique.
Les défis qui attendent l’Algérie après l’élection du Président Abdelmadjid Tebboune sont nombreux et complexes.

Toute politique de développement envisageable sur la période 2020 à 2030 n’aura de chance d’aboutir que si d’abord l’on tient compte des trajectoires du passé, afin de ne pas renouveler les mêmes erreurs. Cela implique la mise en place de nouvelles institutions débureaucratisées et décentralisées, une refonte de l’État et un minimum de consensus social pour la mise en œuvre, tout projet étant forcément porté par les acteurs politiques, sociaux et économiques.

Voici les points essentiels d’analyse de la situation.

L’effondrement de la rente
des hydrocarbures s’accentue

1 - Après les événements d’Al Hirak, l’Algérie se trouve confrontée à l’épidémie du coronavirus, dont le choc extrême subi en 2020 aura des effets durables sur l’économie du monde.

Le commerce international s’est effondré, le FMI prévoyant une baisse de 11 % du volume d’échange de biens et services en 2020, tandis que la Banque mondiale, dans son rapport du 8 juin, prévoit une contraction de 5,2 % du PIB mondial cette année, contraction estimée à 4,9 % par le FMI (24 juin) et des ondes de choc pour 2021.

L’Algérie, fortement connectée à l’économie mondiale via la rente des hydrocarbures, qui lui procure avec les dérivés plus de 98 % de ses recettes en devises (Banque mondiale, rapport du 8 juin 2020), connaîtrait un taux de croissance négatif de moins - 6,4 % en 2020.
Le cours du pétrole a été coté le 30 juin 2020 à 11 h Gmt à 41,30 dollars le Brent (36,84 euros) et 39,08 dollars le Wit (34,86 euros), alors même que les stocks demeurent importants.

Pour le gaz naturel, c’est dramatique depuis plus de deux ans, car le prix de vente actuel s’il couvre les coûts de production. Ainsi, entre le 1er et le 29 juin 2020, il est coté en bourse entre le cours haut 1,712 dollars le MBTU (avec un stockage sans précédent) après avoir atteint il y a douze mois 4,9 dollars le MBTU, et 10-11 dollars le MBTU en 2007-2008. Entre le GNL (30 %) et le GN (70 %, avec pour principal marché l’Europe), cela représente pour l’Algérie 33 % des recettes de Sonatrach (la compagnie nationale algérienne des hydrocarbures, ndlr).

Ainsi les canalisations MEDGAZ-Espagne et Transmed-Italie (la plus importante) fonctionnent-elles aujourd’hui à peine à 50 % de leurs capacités, ayant perdu entre 2017/2019 des parts de marché au profit des États-Unis, du Qatar (Espagne), de la Russie (Italie). En Asie, le produit n’est pas concurrentiel face à la production de la Russie, du Qatar et de l’Iran, car à son coût d’exploitation vient s’ajouter le coût du contournement de toute la corniche d’Afrique.
Sur le continent africain aussi, les hydrocarbures d’Algérie sont concurrencés par le Mozambique, le Nigeria et l’Angola – sans compter sur le retour de la Libye.

Ainsi l’Europe est-elle le marché d’avenir pour l’Algérie, sous réserve d’un partenariat gagnant/gagnant dans la paix et la prospérité partagée – tant pour les énergies traditionnelles que les renouvelables, où l’Algérie possède d’importantes potentialités –, et cela via l’efficacité énergétique et une nouvelle politique de subventions ciblées.

Comme les recettes devront tenir compte de la réduction décidée par l’OPEP – où l’Algérie verra une réduction de 240 000 barils/jour pour la première tranche, de 193 000 barils/jour pour la deuxième et une réduction de 145 000 barils/jour pour la dernière tranche –, ce qui entraînera un manque à gagner de 3 à 4 milliards de dollars en tendance annuelle.

L’évolution du cours du pétrole et du gaz dépendra de la durée de l’épidémie, du nouveau modèle de consommation énergétique au niveau mondial (percée des énergies renouvelables entre 2020-2030, de l’hydrogène entre 2030-2040) et du retour à la croissance de l’économie mondiale – sachant qu’avant la crise, les importations de la seule Chine, s’élevaient à 11 millions de barils/j.

En cette période de crise financière mondiale, il ne faut pas vendre des rêves… Où trouver en effet les 16-17 milliards de dollars indispensables aux seuls projets de phosphate et du fer de Gara Djebilet, sans compter les dizaines d’autres milliards de dollars nécessaires aux autres projets, et cela alors même que le profit net de Sonatrach ne dépassera pas 12-13 milliards de dollars,, divisée par plus de deux par rapport à 2019, impliquant un nouveau management tant de Sonelgaz que de Sonatrach, qui ont des coûts trop élevés.

Or, dans la loi de finances complémentaire 2020, qui se fonde sur le prix fiscal de 30 USD, et 35 dollars le prix du marché, les exportations d’hydrocarbures sont estimées à 17,7 milliards de dollars, contre 35, 2 milliards de dollars prévus dans l’ancienne loi de finances.

C’est un chiffre d’affaire auquel il faudra soustraire les coûts, et la part des associées pour avoir le profit net restant à l’Algérie Le déficit budgétaire devrait ainsi atteindre -1 976,9 milliards de dinars, soit -10,4 % du PIB – contre -1 533,4 milliards de dinars, soit -7, 2% du PIB dans la loi préliminaire – la balance des paiements enregistrant un solde négatif de -18,8 milliards de dollars, contre 8,5 milliards de dollars initialements estimés dans le PLF2020.

Le déclin de l’appareil productif

2 - D’où l’importance pour l’Algérie de se défaire du mythe de la rente issue des exportations de matières premières brutes et semi brutes.

Loin de bénéficier des cours d’autrefois – supérieurs à 70-80 dollars le baril et là 10 dollars le MBTU pour le gaz –, la rente est en déclin. Ses filières aval sont contrôlées par six ou sept transnationales qui délivrent un profit juste moyen, fonction de la rentabilité.

Autre mythe en train de se défaire, celui de l’importance des réserves de change issues de la rente… Rappelons-nous le déclin de l’Espagne pendant plus d’un siècle, après avoir épuisé ses stocks d’or venu d’Amérique ; les cas du Venezuela, premier réservoir mondial de pétrole en semi-faillite, et de et tous ces pays riches en minerais de l’Afrique en sous-développement. Voyez l’expérience de la Roumanie communiste de Nicolae Ceausescu, avec une dette nulle mais une corruption généralisée et une économie en ruine.

Comme il faudra aussi éviter l’illusion monétaire face aux tensions financières et budgétaires inévitables entre 2020-2025, j’attire l’attention du gouvernement algérien que les recettes néo-keynésiennes de relance de la demande globale ne s’appliquent pas à l’Algérie qui ne souffre pas de rigidités conjoncturelles.

L’économie algérienne ayant pour fondement la rente des hydrocarbures et un déclin de l’appareil productif hors rente (excepté certains segments de l’agriculture), l’on devra se comparer au comparable – à l’économie vénézuélienne et non pas aux économies productives des États-Unis et de l’Europe.

Une Nation ne pouvant distribuer plus que ce qu’elle produit, attention donc à la dérive salariale que certains experts algériens (vision populiste) proposent, car elle ne peut que conduire à la dérive inflationniste qui pénalisera les couches défavorisées et sans relancer la machine économique. Cependant, durant cette conjoncture difficile, la cohésion sociale est vitale, et il faudra tenir compte de la pression démographique. Souvent oubliée, elle est une véritable bombe à retardement, avec plus d’un million de naissances chaque année entre 2015-2019, contre environ 600 000 dans les années 2000.

Huit facteurs déterminants pour
restaurer l’attractivité économique

3 - Il y a donc lieu de procéder sans complaisance à un examen très lucide de la situation pour mieux réagir dans plusieurs segments de la vie économique et sociale, tels : l’éducation-formation, le savoir pilier du développement, la santé, la modernisation de l’agriculture, la culture financière des acteurs économiques, l’efficacité de l’administration, la relance des entreprises ; à travers une nouvelle politique industrielle, lutter contre les déséquilibres régionaux et les inégalités sociales, la formation civique et politique de la jeunesse et tant d’autres domaines.

Dans le cadre de la bonne gouvernance, il s’agit d’éviter des dépenses inutiles que l’on voile par de l’activisme reflétant une panne d’idées, habitués à dépenser et non à gérer à partir de normes standards.

Dans la pratique des affaires n’existent pas de sentiments, et l’attrait de l’investissement productif – y compris les services à valeur ajoutée, et qu’il soit étranger ou national – repose principalement sur huit (8) facteurs :

 premièrement, sur une visibilité dans la démarche socio-économique à moyen et long terme, supposant une planification stratégique, évitant des décisions au gré de la conjoncture ;

- deuxièmement, sur la bonne gouvernance, de profondes réformes structurelles, la corruption détournant les investisseurs créateurs de valeur ajoutée ;

- troisièmement, sur la levée des obstacles bureaucratiques centraux et locaux qui constituent le facteur essentiel du blocage, car trop de procédures alors que l’investisseur agit en temps réel, en fonction des opportunités à travers le monde, et pas seulement en Algérie ;

- quatrièmement, sur la réforme du système financier, lieu de distribution de la rente qui n’a pas fait sa mue depuis l’indépendance politique car enjeu énorme du pouvoir se limitant à des aspects organisationnels techniques ;

- cinquièmement, sur la réforme du système socio-éducatif fondé sur les nouvelles technologies : disposer d’une main-d’œuvre non qualifiée à bon marché n’est plus un atout d’actualité avec l’avènement de la quatrième révolution économique mondiale fondée sur l’économie de la connaissance ;

- sixièmement, sur l’efficacité des start-up : malgré des compétences, elle restera limitée sans une base économique et des institutions efficientes adaptées au digital et à l’intelligence économique, et cela au risque de renouveler les résultats mitigés, malgré de nombreux avantages, de tous ces organismes dédiés à l’emploi des jeunes ;

- septièmement, sur l’épineux problème du foncier, car actuellement le mètre carré est trop cher et souvent les autorités attribuent du terrain sans viabilisation ni utilités : routes, téléphone , gaz, électricité ;

- huitièmement, éviter des changements récurrents des cadres juridiques. Car après les scandales financiers, il est reconnu que la règle des 49/51 a eu un impact néfaste, permettant à certaines oligarchies proches du pouvoir de bénéficier d’une rente sans apporter de valeur ajoutée ; Il faudra ainsi définir clairement ce qui est stratégique et ce qui ne l’est pas. Idem pour le droit de préemption, qui peut décourager tout investisseur sans compter les nombreux cas de litiges au niveau des tribunaux internationaux.

Contenir le prévisible
envol du chômage

Avec une contraction du PIB négatif de 6,4 %, le taux de chômage devrait s’accroître en raison de la cessation d’activité de plusieurs entreprises, notamment dans le secteur du BTPH et la rupture des approvisionnements en provenance de Chine et d’Europe en raison de l’épidémie de la Covid-19, qui représentent plus de 80 % des importations algériennes, avec une hausse les prix des importations.

Il faut être réaliste. Comment, avec moins de 40 milliards de dollars de réserves de change à la fin de 2020, sous certaines conditions et avec un taux de croissance réel inférieur au taux de croissance démographique, créer entre 350 000 et 400 000 emplois par an entre 2020 et 2025 ?
Et alors même que pour éviter de vives tensions sociales dues au taux de chômage actuel, une croissance de 8 % à 9% par an ?
Le risque n’est –il pas l’épuisement des réserves de change, dès le premier semestre 2022 ?

Éviter ce scénario catastrophe suppose plus de rigueur budgétaire, une refonte politique reposant sur la bonne gouvernance et la mobilisation générale autour des compétences nationales.

S’adapter à la perpétuelle évolution

4 - Cependant évitons toute sinistrose. De 1963 à ce jour, contrairement à certaines analyses malveillantes, depuis l’indépendance politique l’Algérie a connu d’importantes réalisations.
Au 1er janvier 2020, l’Algérie compte 43,9 million d’habitants. Mais, quelle était la situation de l’économie, de l’éducation, des infrastructures, des branchements en gaz et électricité, en 1962 ? La population était alors de 11,62 millions d’habitants, dont 95 % d’analphabètes, plus de 80 % vivant dans des taudis.

Ceux qui affirment que rien n’a été réalisé depuis l’indépendance versent dans le dénigrement politique, mais il convient de reconnaître qu’existent encore des poches de pauvreté et une répartition inégalitaire du revenu national, ainsi qu’une non maîtrise de la gestion avec des surcoûts exorbitants, et la corruption qui gangrène le corps social.

D’où l’urgence de corriger l’actuelle trajectoire qui a atteint ses limites. Cela devra reposer sur une réelle décentralisation, une réorganisation institutionnelle centrale et locale et une vision stratégique de l’avenir dans le domaine économique, social, culturel, diplomatique, et sécuritaire de l’Algérie à l’horizon 2030 en phase avec la transformation du « nouveau monde ».

Car depuis fort longtemps et pas seulement durant la période actuelle, l’Algérie semble chavirer un moment et reprendre avec hésitation ses équilibres à un autre moment. Il ne s’agit pas de renier les traditions positives qui, moulées dans la trajectoire de la modernité, peuvent être facteurs de développement, car il n’existe pas d’État national standard, ce sont les paradigmes anthropologiques intrinsèques qui modèlent le système politique inhérent à chaque situation.

Pourtant, au-dessus de tout, l’Algérie reste un pays dynamique, plein de vitalité, qui se cherche et cherche sa voie. Avec le développement des réseaux sociaux, les partis traditionnels et les sociétés civiles servent de moins en moins d’intermédiation sociale et cela n’est pas propre à l’Algérie : l’opposition est atomisée et les nombreux micro-partis et organisations dites « société civile » peu efficaces pour mobiliser la population, déconnectés de la réalité du nouveau monde.

Une profonde restructuration de la société devra s’adapter à la perpétuelle évolution, n’existant pas de situation statique. (1)
Car lorsqu’un État émet des règles qui ne correspondent pas à la réalité de la société, celle-ci émet ses propres règles avec le développement de la sphère informelle. Cela s’applique également à tous les secteurs, notamment le commerce contrôlé à plus de 60 % par cette sphère (2)

De l’importance incontournable de l’Histoire

En conclusion, la prospérité ou le déclin des civilisations de l’Orient et de l’Occident a clairement montré qu’une nation sans son élite est comme un corps sans âme.
Les expériences historiques montrent clairement que le régime politique – à ne pas confondre avec l’État, au sens épistémologique du terme – qui est un sous-ensemble du système politique, que les tensions que connaît le système, ou celles qu’il est appelé à connaître, doivent être recherchées dans les dysfonctionnements ou les crises d’autorité qui surgissent périodiquement, et depuis longtemps, au plus haut niveau de l’État.

La nouvelle reconfiguration politique, pour aller vers une nouvelle République, doit prendre en charge tant les mutations internes de la société algérienne que la nouvelle architecture des relations internationales, et tenir compte de notre histoire car l’histoire est le fondement de la connaissance et de l’action future. Soulignons ainsi, avec force, l’importance du devoir de mémoire. (3)

Les relations entre l’Algérie et la France, mouvementées et passionnelles, doivent dépasser les faux préjugés et établir la vérité afin d’éviter que certains, des deux côtés de la Méditerranée, n’instrumentalisent l’Histoire à des fins politiques – comme l’a souligné récemment le Président de la République, M. Abdelmadjid TEBBOUNE.

Cela permettra d’entrevoir l’avenir pour un devenir solidaire, entreprendre ensemble loin de tout esprit de domination, chaque pays étant souverain dans ses décisions. La jeunesse a besoin de connaître son Histoire, très riche, qui ne saurait se limiter à la période contemporaine de 1963 à 2020.
Gloire à tous nos martyrs qui se sont sacrifiés pour une Algérie prospère, où serait bannie l’injustice, une Algérie fondée sur l’État de droit et la démocratie, tout en tenant compte de sa riche anthropologie culturelle.

Pr Abderrahmane MEBTOUL
Oran (Algérie), le 30 juin 2020

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1 - Lire sur ce thème, sur notre site : Pr Abderrahmane Mebtoul :« Pour l’Algérie, la sortie de crise suppose une refonte de l’État, sur la base d’une gouvernance renouvelée »

et sur le Herald Tribune USA : « The World’s Deep Geostretegic Change After the Coronavirus 2020/2030/2040 », by Pr Abderrahmane MEBTOUL, 7 mai 2020.

2 - Voir l’étude réalisée par le Pr A. Mebtoul pour le 41e Think Tank mondial de Institut Français des Relations Internationales (IFRI, décembre 2013), et pour l’Institut militaire de Documentation et de Prospective militaire (IMDEP, octobre 2019), sur le poids de la sphère informelle au Maghreb.

3 - Une histoire de l’Algérie, des Numides (IVe siècle avant J.-C) à 1962, par le Pr A. Mebtoul

 Retrouvez toutes les contributions du Pr A. Mebtoul sur notre site

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