Michel Champredon : « Pour la coopération internationale, Il nous faut créer un modèle français léger de gouvernance publique »
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Propos recueillis par Alfred Mignot, AfricaPresse.Paris (AP.P)
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Quel regard portez-vous sur la place de la France à l’international dans le domaine de la gouvernance publique ?
Michel Champredon - Ce secteur de la gouvernance publique est très concurrentiel. Les financements internationaux sont importants et les opérateurs publics et privés sont nombreux.
Notre pays a une expertise reconnue quant à l’organisation de l’État et des pouvoirs publics, de l’administration et des collectivités territoriales. La France est attendue et estimée sur ce sujet et développe sa coopération depuis des décennies avec des succès variables selon les pays. Elle intervient sous différentes formes : mise à disposition de personnel (experts techniques internationaux) auprès d’autorités politiques ou institutionnelles – mais les postes disparaissent car les économies sont à l’œuvre –, financement de projets, formation d’agents publics sur place ou en France, envoi d’experts privés pour des missions ponctuelles et création d’écoles nationales d’administration (ENA).
Comment se situent nos principaux concurrents ?
Michel Champredon - Les coopérations américaine, allemande et britannique notamment, sont des concurrentes redoutables. Elles sont dynamiques et mettent davantage de moyens que la France… sans compter qu’il arrive parfois que des partenaires institutionnels français soient en concurrence entre eux, sur un même projet !
Quelle appréciation globale peut-on porter sur les résultats de ces coopérations ?
Michel Champredon - D’un point de vue général, lorsqu’on additionne l’intervention internationale dans sa globalité et sur le long terme... on constate hélas que de nombreux pays ne décollent pas.
On connaît l’impact négatif d’une absence d’État : pas de développement des territoires, ni de l’économie. Sans un État organisé et performant rien n’est possible. Pour prendre une image : l’administration est à l’État ce que le squelette est au corps humain.
Et concernant en particulier l’action de la coopération française ?
Michel Champredon - Chaque pays doit donc s’interroger sur l’efficacité de sa coopération, la France comme les autres. De notre côté, les résultats ne sont pas à la hauteur des objectifs, des besoins et des attentes. Sur le long terme, ils changent finalement trop peu la physionomie des administrations.
Ainsi, plus de cinquante-cinq ans après les Indépendances, on constate des difficultés structurelles importantes : absence de formation de base et de culture administratives, peu de recrutements par concours anonymes, manque d’outils et de formation informatiques… et toujours, recrutements politiques, et de ce fait forte mobilité des cadres supérieurs et des agents.
Un « bouquet de partenaires »
répondant
solidairement aux appels d’offres
D’autre part, nos procédures de mise en concurrence et de décaissement sont souvent complexes, chronophages et rendent difficile une avancée rapide des projets, d’autant que l’instabilité politique de certains pays rend aléatoire la possibilité pour les initiateurs de voir aboutir leurs projets.
De plus, les difficultés à mobiliser nos agents publics de l’État ou nos contractuels en activité – ou ayant exercé une activité dans la fonction publique française –, obligent au recrutement d’acteurs privés ne maîtrisant pas toujours les subtilités de la fonction publique.
Or, les pays en développement, partenaires de la France, ont un besoin urgent d’une administration structurée et efficace pour bâtir, ou renforcer, l’État et l’État de droit. La France a une expertise et une histoire administratives qui lui permettent de prétendre, sans arrogance, d’aider au développement des pays partenaires.
La France pourrait structurer et coordonner son offre pour être rapide dans le dépôt de dossiers et dans leur mise en œuvre et donc gagner davantage de marchés. En fédérant son expertise avec un « bouquet de partenaires » répondant solidairement aux appels d’offres elle pourrait également amortir les coûts d’expertise, faire reculer les concurrents européens, développer la francophonie. Cela éviterait aussi la concurrence entre opérateurs français et chacun d’eux trouverait sa place, selon son domaine de compétence.
Voulez-vous préciser comment la France pourrait mieux structurer son offre ?
Michel Champredon - Dans cette perspective, nous pourrions concevoir un « modèle d’administration » fondé sur les valeurs françaises (égalité de traitement, laïcité, non-discrimination, adaptabilité, continuité du service public, efficience) et transposables aux administrations centrales ou décentralisées avec une fonction publique aux standards comparables à ceux de la France, et incluant le sens du service public et de l’intérêt général, l’accès démocratisé et décentralisé, le respect des usagers, la féminisation des responsabilités, la recherche de l’efficience et des coûts maîtrisés.
Ce modèle léger et opérationnel, « clefs en main », applicable dans la plupart des contextes, serait à adapter à la marge, selon les demandes spécifiques des États ou les contextes nationaux.
Et plus concrètement ?
Michel Champredon - On mobiliserait un bouquet de partenaires français autour d’un chef de file, organisé selon le domaine de compétence de chacun d‘eux, pour constituer une offre d’intervention complète.
Voici plusieurs exemples… pour la création d‘une haute Fonction publique et sa formation : le ministère de la Fonction publique (MFP) et l’École nationale d’administration (ENA) ; pour la formation continue des agents publics, fiches de poste et évaluation : le MFP, le Centre national de la Fonction publique territoriale (CNFPT) et Sciences Po ; la formation à la maîtrise du français : le ministère de l’Éducation nationale avec l’Agence de l’enseignement du français à l’étranger (AEFE), les Alliances françaises et les Instituts français ; pour la création des administrations provinciales décentralisées (guichets uniques…) : le MFP, le Ministère de la cohésion des territoires, le CNFPT et Sciences Po ; pour l’organisation des recrutements par voie de concours : le MFP, l’ENA et le CNFPT ; la création d’associations de collectivités pour assurer les échanges de pratiques et de savoirs : l’Association des maires et des présidents d’intercommunalités de France, l’Association des départements de France et Régions de France.
Comment s’y prendre pour lancer un tel travail de coordination et d’élaboration de « L’offre de l’Équipe France » ? Et d’ailleurs, n’est-ce pas déjà la vocation d’Expertise France ?
Michel Champredon - Il faut d’abord une volonté et une décision politique qui doit procéder du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Mais en effet, la coordination d’acteurs qui, par habitude, par histoire et par pratique, travaillent plutôt séparément est facile à dire, mais compliquée à faire. Chacun trouve toujours dix bonnes raisons de ne pas travailler avec son voisin.
Or, le travail produit par nos agences et services est de qualité.
Ensuite, sur la méthode : il faut constituer un comité de pilotage rassemblant les compétences nécessaires et ayant pour mission d’élaborer un plan d’action. Au sein de ce comité, on trouverait une équipe de ressources humaines mixte, couvrant les domaines suivants : logiciels spécifiques, informatisation des services et formation des agents, organigrammes et fiches de postes, plan de formation administrative des agents, grille des salaires et des primes, gestion des carrières, maîtrise des budgets.
Le comité de pilotage aurait également pour charge d’élaborer un plan à cinq ans pour une action concentrée sur un ministère et une province pilote d’un pays volontaire. Par ailleurs, il aurait la charge de constituer un vivier d’experts dans les différents thèmes d’intervention.
À charge pour le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et l’Agence française de développement de trouver un pays volontaire pour démontrer la faisabilité et donner envie à d’autres pays d’appliquer le modèle.
Quant à l’opérateur Expertise France, qui est constitué de personnes de qualité, il pourrait conduire la mise en œuvre opérationnelle et ainsi donner le meilleur de lui-même.
Et comment financer ce dispositif supplémentaire ?
Michel Champredon - Le travail du Comité de pilotage ne nécessite que la mobilisation de cadres qui sont en fonction. Il n’y aurait pas de surcoût, mais seulement du travail supplémentaire pour eux.
La mise en œuvre sur le terrain ne coûtera rien de plus. Au contraire, l’offre française serait plus complète et opérationnelle, donc plus concurrentielle. Nous gagnerons des marchés nouveaux grâce à une mutualisation de notre expertise et de notre intervention. Si besoin est, nous pourrions réorienter les budgets actuels et mobiliser le partenariat entre le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, l’Agence française de développement, Expertise France et la Caisse des dépôts.
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