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L’émergence de la ville informelle africaine 2.0 : une nouvelle gouvernance urbaine au service de territoires africains et méditerranéens durables, par Samir ABDELKRIM

20 février 2023
L'émergence de la ville informelle africaine 2.0 : une nouvelle gouvernance urbaine au service de territoires africains et méditerranéens durables, par Samir ABDELKRIM
Face à la raréfaction des ressources, à l’urgence climatique et à la poussée démographique, la technologie digitale peut être un outil de régulation pour la ville africaine afin de structurer l’informel, récupérer des gisements de croissance, lever des freins à l’investissement. Exemples de l’émergence des réponses, des deux côtés de la Méditerranée.

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Une contribution de Samir ABDELKRIM
Fondateur de EMERGING Valley et EMERGING Mediterranean,
Auteur de Startup Lions

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Conscients que l’Afrique dispose déjà de solutions que les territoires français sont en train d’expertiser sur leurs propres projets, en tant que partenaires historiques, EMERGING Valley et l’Etablissement Public d’Aménagement Euroméditerranée tracent, chaque année, un sillon pour montrer l’impact de l’innovation sur les villes africaines de demain. Au travers notamment du grand prix annuel Med’Innovant Africa qui récompense chaque année des solutions innovantes qui rendent les villes méditerranéennes et africaines plus durables.

À l’occasion de la VIe édition de ce Sommet International en novembre dernier, Euroméditerranée a proposé, dans le cadre d’une conférence dédiée, de mettre en lumière les rapprochements en cours avec certains projets innovants issus de la tech africaine. Voici une restitution de cette plénière inspirante.

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L’informalité urbaine africaine :
un atout pour l’innovation…

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Avant d’être un défi, la ville africaine informelle constitue une source d’innovation de ruptures et d’inspiration pour les villes méditerranéennes, comme pour Marseille, et en premier lieu pour l’EPA Euroméditerranée.

Il y a, en effet, un réel enjeu pour un aménageur public tel que ce dernier de regarder ce qu’il se passe au Sud. Comme l’a expliqué Stéphane GHIO, Directeur du Développement Économique durant EMERGING Valley, en tant qu’aménageur public piloté par l’État, Euroméditerranée déploie, à Marseille, ville informelle française par excellence, un programme d’amélioration urbaine se voulant être une véritable fabrique de la ville sur du long terme (jusqu’en 2035).

Historiquement, les villes occidentales ont été construites de manière très descendante avec une vision imposée. Aujourd’hui, le fait est qu’il est indispensable d’intégrer et écouter les usagers de la ville pour développer de nouveaux services et aménagements. Pour cela, la ville informelle africaine est un parfait exemple d’illustration et d’inspiration pour renforcer la gouvernance urbaine et produire de nouveaux usages, de nouveaux modes de vie, modes de consommation ou modes de déplacement pour construire une ville plus intelligente, plus vivable, plus réceptive aux nouvelles contraintes environnementales.

Lors du VIe EMERGING Valley, en novembre 2022, Samir Abdelkrim (à gauche) recueillant les témoignages de Stéphane GHIO, Directeur du Développement Économique chez Euroméditerranée, et de Rukayatou OYEDIRAN, fondatrice de la startup AMIRA GLOBAL TECHNOLOGIES (startup membre de la cohorte 2022 du programme Social & Inclusive Business Camp porté par l’Agence Française de Développement). © DR

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… mais qui présente encore
de nombreux challenges

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L’informalité urbaine africaine représente, toutefois encore, un véritable défi en Afrique.

Rukayatou OYEDIRAN, Fondatrice de la startup ivoirienne Amira Global Technologies et lauréate SIBC 2022, a rappelé, durant EMERGING Valley, que l’informalité découle de la pauvreté et de la capacité des Africains à créer des situations alternatives pour sortir de cette précarité.

Aujourd’hui, de nombreux africains créent des business informels. Mais pour développer ces activités de manière pérenne, il est indispensable d’avoir un cadre législatif favorable afin qu’elles soient déclarées et que ces entrepreneurs puissent être socialement protégés. Rukayatou OYEDIRAN a cité plusieurs exemples d’activités informelles et notamment celui du développement anarchique de logements, qui peut, finalement, avoir des conséquences très graves.

L’informalité urbaine en Afrique n’est pas une mauvaise chose car de celle-ci se crée des opportunités. Il faut donc que les gouvernements mettent en place des stratégies pour permettre à leurs citoyens de rendre formelles leurs activités. Mais comment structurer un système informel sans risquer de déstabiliser Ses acteurs ? Et quelles alternatives offrir aux acteurs qui en vivent, quelle stratégie adopter et quels programmes mettre en œuvre ?

Jean VAN WETTER, Directeur Général de l’agence ENABEL, agence de développement du gouvernement fédéral de Belgique, a présenté, lors d’EMERGING Valley, un récent programme mis en place au travers du Congo, du Burundi, du Rwanda et de l’Ouganda, et dans lequel l’agence déploie un système de protection sociale pour les entrepreneurs informels.

Pour cela, rappelle-t-il, il faut amener une formalité dans l’informalité notamment en travaillant en partenariat avec les gouvernements et réseaux locaux tout en faisant de la sensibilisation auprès des populations. Par ailleurs, au niveau national belge, ENABEL place l’urbanisation comme l’un des cinq piliers de développement de ses villes, notamment secondaires. Au sein de cette stratégie, l’agence réfléchit à comment accompagner toutes les villes belges avec un regard nouveau en apportant une valeur ajoutée différente. C’est pour cela qu’elle croit aussi beaucoup à l’apprentissage collectif et est convaincue que la Belgique peut s’inspirer de l’Afrique, notamment à Bruxelles. Avec les 185 nationalités qui composent cette capitale, il y existe de nombreux quartiers informels et beaucoup de défis à surmonter.

Jean VAN WETTER a, par exemple, cité la nécessité de mettre en place des « titres-services » pour rémunérer de manière formelle, des services réalisés entre particuliers afin de garantir notamment une protection sociale pour la personne réalisant ce service. Enfin, il a, aussi, toutefois rappelé le risque réel à vouloir formaliser l’informel : celui de perdre en innovation et en résilience. Il invite donc les parties prenantes à réfléchir à quel bon mix mettre en œuvre pour éviter cela.

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Repenser la ville informelle africaine
par la tech et l’innovation

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Prenons l’exemple de Bolt, l’un des premiers acteurs privés de la mobilité sur le continent aujourd’hui ayant investi plus de 450 millions d’euros pour y optimiser la gestion des mobilités urbaines. Julien MOUKEYET, son Directeur Général France, a expliqué la nécessité de comprendre les villes africaines pour comprendre leur informalité.
D’une ville à une autre, les habitudes d’utilisation, de déplacement, etc. ne sont pas les mêmes, et parfois cela va même d’un quartier à l’autre. Il faut donc une innovation qui s’adapte facilement et qui peut être évolutive. Cela est encore plus vrai, en Afrique, en matière de mobilité, d’infrastructures et d’offres de transport. Dans les pays et villes où elle est présente, Bolt a défini une offre personnalisée de transport, adaptée à chaque contexte territorial et avec des règles de sécurité. L’entreprise, pour cela, collabore avec toutes les parties prenantes et propose des solutions d’aide à la recherche d’un véhicule, l’accès aux transports mais aussi plus largement à l’amélioration des trafics urbains au travers d’offres de mobilité grâce à l’exploitation des données dont elle dispose.

Revenons en Côte d’Ivoire. Dans son intervention sur EMERGING Valley, Rukayatou OYEDIRAN, d’Amira Global Technologies, a également parlé de son expérience. Au travers de son entreprise, elle aide à mettre en place des solutions digitales pour les entreprises africaines dans 7 pays et les accompagne dans leur transformation digitale. Aujourd’hui, l’entreprise accompagne les entrepreneurs à s’approprier le digital, à savoir mettre en place une activité sur Internet avec des plateformes (intégrant des solutions de gestion et de paiement) à la fois clés en main et adaptées à chaque entreprise. Elle a aussi rappelé la nécessité pour cela de déployer largement des réseaux Internet pour que ces sites marchands soient accessibles à tous mais aussi de former les populations à l’utilisation des outils digitaux. C’est pourquoi, elle met en place des actions de sensibilisation auprès des entrepreneurs et du grand public depuis plusieurs mois.

Par ailleurs, au Niger et sous impulsion gouvernementale via l’Agence Nationale pour la Sécurité de l’Information, différents partenaires publics et privés s’associent pour mettre en œuvre un plan de développement du haut-débit à travers des villes-cibles du pays, pour y renforcer la formalisation de ces communautés via des services de communication essentiels, associant un panel de solutions digitales d’e-gouvernement, d’e-éducation, d’e-santé, d’e-agriculture et de e-commerce.

Ailleurs encore, à Madagascar, c’est Marie-Christina KOLO, Fondatrice de Green N Kool, qui promeut des alternatives vertes au plastique en renforçant l’employabilité des communautés défavorisées et éloignées des circuits traditionnels à des modes de consommation durables. Une initiative innovante en phase avec les nouveaux impératifs de développement et de durabilité des territoires méditerranéens et africains, et une success story de modèle transposable du sud vers le nord, puisque grâce à l’accompagnement de l’Établissement public Euroméditerranée et après un “soft-landing” à l’Accélérateur M, Marie-Christina KOLO est aujourd’hui en passe de s’implanter directement sur le Territoire Aix-Marseille, sur l’Écocité Euroméditerranée.

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L’inclusion et la data, au cœur
de la réussite des villes informelles

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Qu’elle soit formelle ou informelle, une ville doit avant tout être inclusive économiquement et socialement. Reprenons l’exemple de BOLT. Avec son offre de mobilité urbaine sécurisée et adaptée à chaque quartier et chaque ville, BOLT contribue largement à l’inclusion des populations dans les territoires dans lesquels l’entreprise est présente, tant pour ses chauffeurs que pour ses usagers.

Comme cela a été largement évoqué, la ville informelle, pour être durable, doit être une ville connectée afin que tous ses usagers puissent en profiter mais aussi que ses gouvernants et parties prenantes puissent avoir accès à suffisamment de données pour déployer des services adaptés : gestion des déchets, formation, culture, mobilité, éducation, santé. En s’assurant d’une connectivité et de la participation des populations, les potentiels de villes informelles sont immenses.

Car la ville transforme de nombreux sujets et la gouvernance urbaine ne doit plus se décider en haut lieu mais de manière collégiale et transverse. À l’image du cycle des innovations de Schumpeter, la ville informelle est dans une dynamique de destruction créatrice. C’est pourquoi s’en inspirer est une véritable chance.
En considérant qu’il ne faut pas fixer les choses de manière définitive mais en ayant des phases de transition tant dans le déploiement d’innovation que dans les usages économiques, sociaux et solidaires, on place alors la Vie avant la Ville. D’ailleurs, dans ce nouveau paradigme, finalement des opérations transitoires peuvent devenir définitives car les citoyens et entreprises se les sont appropriées. Dans une ville informelle, rien ne doit être rigidifié ou figé. C’est aussi en cela que la ville africaine informelle est inspirante.

Les modèles de ville durable sur l’axe Euro-Med-Afrique viennent ainsi questionner nos usages et, forts des réflexions et des bouleversements imposés par l’actualité, remettent au centre de la discussion les enjeux locaux et les solutions disruptives créés sur le terrain, par les innovateurs urbains des deux côtés de la Méditerranée.

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