Jean-Louis Guigou, Président IPEMED : « Le modèle de développement en grappe des villes est transférable à l’Afrique »
Autrefois proche de Michel Rocard, dont il fut conseiller au ministère de l’Aménagement du Territoire et du Plan (1982), aujourd’hui président de l’Institut de Prospective économique du Monde méditerranéen (IPEMED) et infatigable avocat de la Verticale de l’AME (Afrique-Méditerranée-Europe), Jean-Louis GUIGOU participait mercredi 4 décembre à une table ronde « La ville africaine : un banc d’essai pour de nouvelles infrastructures », dans le cadre de l’Africa Investments Forum & Awards (AIFA).
Cet événement, organisé à Paris par Leaders League (éditeur notamment de Décideurs Magazine), a réuni au Pavillon d’Armenonville plus de 700 leaders de premier plan des secteurs public et privé : PDG, DG, directeurs d’investissement, directeurs internationaux, experts et acteurs institutionnels, etc. Entretien exclusif, en écho à l’intervention de Jean-Louis Guigou.
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Propos recueillis par Jean-Louis Alcaide, AfricaPresse.Paris
@jlalcaide1 | @PresseAfrica
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Comment l’expérience européenne peut-elle aider au développement des infrastructures et des villes en Afrique ?
Jean-Louis Guigou - La planification urbaine telle qu’on l’a conçue en Europe - les agglomérations, les villes nouvelles - cela ne marche plus. Je ne connais qu’un modèle qui peut fonctionner, c’est ce que l’on appelle les villes en grappe. C’est le modèle allemand. En Allemagne, la plus grande ville ne dépasse pas 1 million ou 1,5 million d’habitants, y compris Berlin, alors qu’en France, nous avons l’agglomération parisienne avec 7, 8 ou 10 millions d’habitants. Plutôt que d’avoir une ville à 10 millions, les Allemands préfèrent avoir 10 villes à un million.
Comme des baies de raisin dans une grappe
Jean-Louis Guigou - Ces villes sont comme des baies de raisin dans une grappe : celle-ci fait 10 millions d’habitants, mais en fait chaque baie, chaque ville fait 1 million, séparée des autres par dix kilomètres de forêts ; elle est reliée aux autres – comme les baies de raisin –, par des routes et du chemin de fer.
Les Allemands poussent ensuite le raisonnement : à une ville de 1 million d’habitants, ils préfèrent 4 villes de 250 000 et ils s’arrêtent là.
C’est très intéressant car cela correspond chez nous à un bassin d’emploi de 250 000 ou 300 000 habitants, avec ce que cela implique en termes de quotidienneté pour les habitants.
Coup de génie
Le coup de génie de ces villes en grappe, c’est d’avoir des « baies » dont la taille correspond à la vie quotidienne ou mensuelle des gens, avec le lycée, le collège, les écoles, les supermarchés, le travail, l’hôpital, le logement, les commissariats, etc. Et puis il y a d’autres baies qui ont une fonction de rang supérieur : par exemple, il n’y a pas des opéras ou de CHU partout.
Une des preuves que ce système fonctionne bien, c’est que toutes les grandes universités sont installées dans les petites villes, comme Oxford ou Cambridge, en Angleterre. En Allemagne, l’université de Heidelberg est dans une ville de 100 000 habitants, les profs vont faire leurs cours à vélo. En France, c’est Paris qui a la plus grande université et ce sont les plus petites villes, comme Clermont-Ferrand ou Limoges, qui ont les plus petites universités. Je pense que ce modèle des villes en grappe est transférable en Afrique.
Mais, avec une démographie galopante en Afrique, l’expansion urbaine n’est-elle pas déjà devenue incontrôlable ? N’est-ce déjà pas trop tard pour ce que vous proposez ?
Jean-Louis Guigou - Je ne me pose pas cette question. Tel qu’il se présente aujourd’hui, le phénomène est difficilement contrôlable. Lorsque les élus décident faire des routes et d’installer du tout-à-l’égout, la ville a déjà progressé de 10 km supplémentaires lorsque les travaux sont finis. Alors ils recommencent, mais quand ils y arrivent, le bout de l’agglomération est déjà 30 km plus loin. C’est pourquoi il n’y a pas de centre dans ces villes. Ce ne sont que des faubourgs qui s’agrandissent. Il n’y a pas d’urbanisme.
Quartier par quartier
Jean-Louis Guigou - C’est la raison pour laquelle, devant cette ville informelle difficilement maîtrisable, il faut dire aux populations qui souffrent, quartier par quartier : « Allez, on arrête ! Qu’est-ce qu’on fait pour que, dans ce quartier, en plein foutoir, on permette de vivre mieux ? On va vous installer une maison de services publics, un dispensaire, une école pour les mamans et les jeunes filles, une maison de l’informatique. On va demander aux jeunes qui sont au chômage de ramasser les ordures, en leur disant :« C’est vous qui allez être les patrons » et on peut créer une coopérative de jeunes pour ramasser les bouteilles d’eau, les déchets, etc. ». J’ai fait la liste de toutes les innovations et on peut installer des foyers de modernité que les gens vont s’approprier et leur permettre de se structurer. Pour moi, c’est la seule solution.
Pensez-vous que les élus africains ont la volonté et le courage politique de mettre cela en œuvre ?
Jean-Louis Guigou - Je ne sais pas… mais je sais que les hommes politiques ont honte de la ville africaine, qui est souvent très laide. Elle est mal aimée cette ville africaine, et les populations rêvent de la ville européenne… Il y a des tensions très fortes.
Vous êtes partisan, avez-vous dit lors de la table ronde, de la séparation de la propriété du sol et de la propriété de son usage. Vous prônez une sorte de municipalisation du foncier. Mais est-ce faisable ? Les investisseurs ne vont-ils pas fuir, rebutés par cette « municipalisation » ?
Jean-Louis Guigou - Non, pas du tout. La France est minée par sa propriété foncière. La situation est absurde : tous les quinze ans, les agriculteurs rachètent tout le territoire agricole et ils n’en peuvent plus. Ce qui marche bien, dans les pays scandinaves, c’est la municipalisation des sols, à 80 %. Le capitaliste, lui, ne sera pas effrayé, car ce qui l’intéresse, c’est l’usage du sol. En Angleterre, on trouve des baux emphytéotiques de 999 ans !
Les participants de la table ronde « Les villes africaines, un espace pour de nouvelles solutions ». De gauche à droite, sur la photo : Widson MONTEIRO, architecte, modérateur ; Roland PORTELLA, DG Dratigus Development ; Pierre-Yves POULIQUEN, DG Afrique, Moyen-Orient et Inde chez SUEZ ; Omar YACOUBI, directeur des Investissements, REIM Patners ; Jean-Louis GUIGOU, Président IPEMED. © JLA
La propriété d’usage des terres
En Angleterre, quand il y a eu la première révolution (1641-1649, ndlr) avec Cromwell, les bourgeois et les seigneurs ont demandé aux fermiers ce qu’ils voulaient et ceux-ci ont réclamé la propriété d’usage des terres. C’est pour cela que les seigneurs sont encore à la Chambre des Lords et qu’ils n’ont pas eu la tête coupée, comme en France. Les Lords ont alors signé des baux pour que les fermiers soient propriétaires de l’usage et puissent vendre l’usage, construire des bâtiments, exploiter leur affaire, etc., moyennant le paiement d’une petite rente.
Chute du prix des maisons
Mais si le bail a une durée de 99 ans, au terme de cette période, le Lord redevient propriétaire de tout. C’est pour cela que la reine d’Angleterre est la plus grande propriétaire foncière, elle détient la moitié de Londres ! Cette pratique commence à se répandre en France.
Quand, par exemple, il y a un terrain à vendre à Limoges, la mairie se porte acquéreuse du foncier, elle en devient propriétaire et elle le loue pour 99 ans à quelqu’un qui va pouvoir construire et être, potentiellement, propriétaire de son logement pendant cette durée. Conséquence, le coût des maisons à construire n’est plus que de 150 000 euros au lieu de 200 000 à 300 000 euros auparavant. De plus en plus de mairies achètent des terrains, les gardent et demandent aux promoteurs de construire.
Mais les villes africaines ont-elles suffisamment d’argent pour se porter acquéreuses de ces terrains ?
Jean-Louis Guigou - C’est là où la Banque mondiale, la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD/Banque mondiale) et la Banque européenne d’Investissement (BEI) peuvent aider pendant vingt ans, pour mettre de l’ordre sur ces terrains. Il y a aussi, notamment en Afrique du Nord, beaucoup de propriétés qui sont de bien commun. C’est pourquoi je dis aux responsables arabes : « Ne privatisez pas ces milliers d’hectares en bien commun, gardez-les, c’est la propriété de la collectivité et louez-les pour 100 ou 150 ans, pendant lesquels l’usager vous paiera un loyer ».
Sur cette question, rappelons-nous les travaux de Léon Walras ! Ce qu’il y a de formidable avec cet économiste, c’est qu’il a écrit un texte génial en 1886 sur le rachat des terres par l’État. Il a montré que le prix des terres tendait vers l’infini puisqu’on ne peut pas produire des terres et que la population humaine étant en croissance géométrique, le prix des terres ne peut qu’augmenter. Donc, à un moment donné, la rente va être plus importante que le profit et le capitalisme va mourir. Et donc Walras dit que, pour protéger le capitalisme et le profit, il faut supprimer la rente ! C’est la plus belle contradiction de l’économie future, libérale et de droite.
Qu’avez vous retenu de cette table ronde ?
Jean-Louis Guigou - J’ai retenu cette phrase : « La transformation des villes africaines sur elles-mêmes par les habitants eux-mêmes ». Je dis donc aux Africains qui souffrent de cette vie quotidienne, de cette eau polluée, de cette absence d’électricité et de cette absence de tout à l’égout : « Quartier par quartier, organisez-vous ! ». C’est ainsi que l’on peut remettre de l’espérance et du bonheur, avec un peu d’ensemencement de la modernité.
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