JICA-TICAD / Riziculture, Kaizen et localisme : trois mots-clés structurants de la coopération japonaise en Afrique
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par Alfred MIGNOT, AfricaPresse.Paris (APP)
@alfredmignot | @africa_presse
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Sans surprise, les premiers intervenants, comme Mme Yacine FAL, vice-Présidente de la BAD, ont salué la « résilience remarquable » dont l’Afrique a fait montre face à la pandémie de la Covid-19. Mais au-delà de ce salut qui est devenu une clause de style quasi-obligée des colloques internationaux, ce sont les chiffres rappelés par Mme FAL, intervenant en visio depuis Abidjan, qui auront impressionné la centaine de participants à la conférence :« Le PIB africain a connu la plus forte baisse en vingt ans ! Cela se traduit par la perte d’environ 165 milliards de dollars, plus de 30 millions d’emplois perdus et 26 millions de personnes tombant dans la pauvreté. »
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Un contexte économique
international alarmant…
Un contexte économique
international alarmant…
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La guerre en Ukraine, on le sait, est venue aggraver la situation, non seulement en faisant bondir le coût de l’énergie et de certaines matières premières, mais aussi – conséquence de l’effondrement des exportations de blé ukrainien et russe – en précarisant la sécurité alimentaire de populations, notamment africaines, dont on prévoit déjà que certaines seront exposées à la famine…
C’est dans ce contexte alarmant que les institutions de développement ont pu prendre des mesures d’urgence. La BAD, par exemple, explique Yacine FAL, « a déployé une nouvelle facilité d’urgence, de l’ordre de 1,5 milliard de dollars pour la production alimentaire africaine et pour soutenir les pays confrontés à la nouvelle crise imminente de l’alimentation ».
Abordant la question de la corrélation entre sécurité et développement, Jean-Marie GUÉHENNO, Directeur du programme SIPA’s Kent de résolution des conflits, a considéré que « quand nous voulons être inclusifs pour construire une masse critique de soutien à la paix, la grande question est de savoir si les groupes terroristes devraient systématiquement être exclus, ou si nous devrions essayer de faire une distinction entre les groupes qui ont un agenda local né de griefs locaux, et les groupes qui ont un agenda transnational et doivent être combattus ».
Parallèlement, Jean-Marie GUÉHENNO, considère que si « avec la COVID, bien sûr, nous avons vu comment l’Afrique subit un double coup des prix de la nourriture et de l’énergie, il y a aussi des opportunités nouvelles. Tous les pays veulent aujourd’hui diversifier leurs chaînes d’approvisionnement et c’est une opportunité pour de nouveaux investissements en Afrique. »
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L’urgence d’améliorer
la résilience climatique
L’urgence d’améliorer
la résilience climatique
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Troisième « plaie d’Afrique » de notre époque, le réchauffement climatique et ses conséquences déjà visibles et prégnantes, est évoqué dans une intervention en visio par Mme Sarah POOLE, Directrice régionale du PNUD pour les neuf pays arabes du Continent : « Plus de 40 % de la population de cette région est déjà exposée à la sécheresse et aux catastrophes induites par le climat. Nous avons besoin d’une action urgente pour empêcher le changement climatique d’anéantir des années de progrès en matière de développement, d’aggraver les inégalités et de nuire à la stabilité régionale. De notre point de vue, l’amélioration de la résilience climatique est une priorité absolue pour atténuer ces risques et pour passer à une économie neutre en carbone. »
Une priorité qui nécessitera cependant la mobilisation de financements gigantesques, puisque la seule « sécurisation de l’accès universel à l’énergie en Afrique nécessite plus de 1,5 billion [mille milliards] de dollars d’investissements entre 2018 et 2050. » Et encore ce financement est-il désormais estimé a minima, donc insuffisant…
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Rémy RIOUX : « La JICA et l’AFD
sont des partenaires proches »
Rémy RIOUX : « La JICA et l’AFD
sont des partenaires proches »
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Dans ce contexte de déferlement de considérations déprimantes, l’intervention qui suivit de Rémy Rioux fut accueillie comme une respiration rassurante, le Directeur général de l’AFD évoquant la coopération internationale qui se met progressivement en place en matière d’aide au développement – ou plutôt de « financement du développement », selon la nouvelle terminologie en usage : « Pour lever la stigmatisation qui est encore attachée aux banques publiques et leur donner leur pleine capacité à mobiliser l’ensemble du système financier pour le développement, nous avons fondé il y a dix ans le Club IDFC - International Development Finance Club - avec 25 autres collègues dont KfW en Allemagne, BNDES au Brésil, et beaucoup de collègues africains qui sont extrêmement forts et valables dans leurs propres espaces, comme la Caisse de Dépôt et de Gestion au Maroc, DBSA en Afrique du Sud, la banque TDB dans la région du COMESA (Marché commun de l’Afrique orientale et australe), et BCEAO en Afrique de l’Ouest.
Nous avons également lancé Finance in Common Third edition, rassemblant 550 banques publiques de développement, ce qui se traduit par des investissements de 2,7 billions de dollars américains chaque année ».
Propos positif encore de Rémy RIOUX lorsqu’il évoque la JICA : « La JICA et l’AFD sont des partenaires proches. La JICA et l’AFD ont la même fonction. Ce sont probablement les deux institutions qui se ressemblent le plus sur la scène internationale, avec beaucoup de capacités que nous partageons, et exprimant la solidarité de notre propre pays en tant que banque publique de développement nationale et bilatérale. Je crois que les banques de développement sont des outils innovants dont nous avons besoin, si elles sont correctement incitées, mobilisées par nos actionnaires, clients, partenaires. Et c’est quelque chose que la JICA et l’AFD promeuvent depuis longtemps. »
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La production de riz africain
doublée en dix ans
La production de riz africain
doublée en dix ans
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Vice-Président de la JICA, Ryuichi KATO (Photo ci-dessus, © kreab.com) a illustré par l’exemple « deux concepts essentiels pour le succès de la coopération au développement : l’appropriation des projets par les Africains, et la sécurité humaine ».
Le premier exemple concerne la riziculture, au travers de l’initiative CARD qui, en dix ans entre 2008 à 2018, a réussi à doubler la production de riz, la portant de 14 millions de tonnes à 28 millions de tonnes. Et ce n’est pas fini : « Actuellement, la deuxième phase est en cours pour doubler encore la production de riz, à 56 millions de tonnes d’ici à 2030 », afin de faire face à une demande croissante.
Cette initiative contribue certes à renforcer la résilience de l’Afrique face à l’insécurité sécurité alimentaire aggravée par la guerre en Ukraine, mais Ryuichi KATO tient aussi à en souligner l’exemplarité opérationnelle : « Ce succès a été soutenu par des efforts concertés sous un leadership et un engagement forts de l’Afrique (…) par des institutions africaines telles que l’AGRA et le NEPAD », auxquelles la JICA a apporté son soutien.
Le second concept mis en avant par Ryuichi KATO est celui de la « sécurité humaine », c’est-à-dire « le développement axé sur les personnes, puisque le fondement de l’édification d’une nation est de développer les ressources humaines. Et la clé du développement axé sur les personnes est l’autonomisation à tous les niveaux, à commencer par les individus, les organisations et les sociétés ». Sur ce sujet, le VP de la JICA cite l’initiative « Écoles pour tous ». Démarrée dans 23 écoles au Niger en 2004, elle s’étend aujourd’hui à environ 70 000 écoles dans 9 pays d’Afrique subsaharienne.
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Consensus sur les solutions
africaines locales
Consensus sur les solutions
africaines locales
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L’intervention en visio d’Ibrahim Assane Ayaki vient renforcer ce concept d’engagement évoqué par Ryuichi KATO. L’ancien PDG de l’Agence de développement de l’Union africaine (AUDA-NEPAD) insiste en effet sur les composants des « solutions africaines, solutions locales » : l’inclusivité, l’intégration et le rôle des différents acteurs.
Une vision « localiste » également partagée par Rémy RIOUX dans sa seconde intervention, où il précise « que les institutions locales devraient être une priorité absolue pour l’industrie du développement et ce n’est pas vraiment le cas pour l’instant ». Cela dit, l’AFD œuvre déjà en ce sens : « 90 % des flux financiers venant de l’AFD sont gérés par des institutions locales, pour des solutions locales. J’ai lu que pour l’USAID, c’est seulement 6 %… »
Appelant aussi de ses vœux l’ouverture du financement du développement au secteur privé, Rémy Rioux a aussi cité des initiatives françaises spécifiques en faveur de l’Afrique, comme « Choose Africa » en soutien aux PME africaines, ou encore « Digital Africa » pour le secteur tech. « Comme JICA l’a fait dès 2008, nous avons ajouté à nos capacités financières l’assistance technique, le renforcement des capacités, la formation et la recherche. » Une évolution finalisée l’année dernière par l’intégration d’Expertise France au Groupe AFD, qui comprend aussi Proparco, filiale dédiée au secteur privé.
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L’initiative Africa Kaizen : bonnes
pratiques venues du Japon
L’initiative Africa Kaizen : bonnes
pratiques venues du Japon
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Considérant que les micro, petites et moyennes entreprises jouent un rôle important dans l’économie africaine et que l’amélioration de la productivité est essentielle, la JICA s’est attaquée à cette problématique en promouvant l’approche Kaizen, une méthodologie de gestion développée au Japon.
« À l’origine, explique Ryuichi KATO, l’approche Kaizen était centrée sur l’amélioration des mentalités et des comportements des travailleurs, ainsi que sur et la promotion du travail d’équipe. Aujourd’hui, l’approche offre une gamme plus large de soutien aux besoins essentiels des entreprises, y compris des services de développement et l’accès au financement. Nous travaillons en partenariat avec les syndicats et l’Agence de développement de l’Union africaine au NEPAD pour promouvoir cette approche Kaizen comme l’un des programmes continentaux, et plus de vingt pays africains ont déjà rejoint cette initiative. L’Éthiopie et la Tunisie en sont des exemples réussis.
Par exemple, le gouvernement éthiopien a créé un institut national Kaizen dont le mandat est de former des spécialistes Kaizen, ainsi que de fournir un soutien technique pour appliquer la méthodologie Kaizen. Ces initiatives ont contribué à renforcer la compétitivité des entreprises éthiopiennes.
Une seconde initiative JICA, en faveur des entreprises, est le programme Homegrown Solution Accelerator.
« Cette initiative, détaille Ryuichi KATO, soutient l’expansion commerciale des entreprises africaines dont les biens et services sont censés résoudre les problèmes sociaux en Afrique.
Nous fournissons une consultation commerciale intensive aux entreprises africaines qui ont été sélectionnées en collaboration avec une société de conseil mondiale. Nous avons également formé un groupe d’experts de haut niveau, tant du secteur public que privé, pour donner un soutien et une mise en réseau aux entreprises africaines à potentiel.
L’un des résultats concrets, par exemple, est qu’une société médicale kenyane, bénéficiant de cette initiative, a réussi à obtenir l’investissement de sept millions de dollars américains de la part d’un capital-risqueur et d’une organisation philanthropique. Nous avons lancé cette initiative en 2020 avec un projet pilote en Afrique de l’Est, et l’avons étendu au niveau continental.
Je conclurai en soulignant l’importance du développement industriel pour faire progresser l’intégration régionale de l’Afrique vers un développement durable et inclusif du continent. »
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LE REPLAY DE NOTRE CMAAP 4,
CONFÉRENCE
DES AMBASSADEURS AFRICAINS
DE PARIS DU 28 JUIN,
DÉDIÉE À LA TICAD,
LA COOPÉRATION JAPONAISE EN AFRIQUE
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