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Étienne Giros, Président délégué du CIAN* : « Nous devons tous partager une ambition collective pour l’Afrique »

16 février 2018
Étienne Giros, Président délégué du CIAN* : « Nous devons tous partager une ambition collective pour l'Afrique »
Dans cet entretien exclusif, Étienne Giros, Président délégué du CIAN, le Conseil français des investisseurs en Afrique, développe un plaidoyer fort pour inciter les entreprises françaises à s’impliquer en plus grand nombre en Afrique. Mais au-delà du développement des affaires dans ce continent stratégique pour l’avenir, Étienne Giros revendique aussi un engagement responsable du CIAN, lequel s’implique aussi bien dans la formation professionnelle d’excellence que dans les défis de la santé, en agissant contre les principales maladies du Continent. Tour d’horizon.


Propos recueillis par Alfred Mignot, AfricaPresse.Paris (AP.P)
@alfredmignot | @PresseAfrica

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À ce jour, le France vous semble-t-elle suffisamment bien armée pour faire face aux autres compétiteurs, de plus en plus nombreux, à vouloir leur part d’Afrique ?

Étienne Giros – Le développement de l’Afrique ces dernières années ne relève pas de la magie. Il n’y a pas eu un évènement fondateur particulier qui aurait brusquement généré une forte croissance… Ce qu’il faut comprendre, c’est que depuis trente ans maintenant, l’Afrique s’est ouverte au monde, avec Internet, l’arrivée de nouveaux acteurs – les Chinois, les Indiens… Par conséquent la concurrence et la compétition y sont beaucoup plus rudes, c’est indéniable. Il n’y a plus de chasse gardée pour les entreprises françaises, comme on pouvait le dire il y a trente ou quarante ans à propos de certains pays. Ce n’est plus le cas.

Aujourd’hui, nos entreprises ont des faiblesses, mais aussi des atouts. Nos faiblesses par rapport à la concurrence, c’est peut-être d’abord une insuffisance de volonté collective d’y aller, car un certain nombre d’obstacles nous handicapent quelquefois. Les obstacles, ce sont le climat des affaires, la petitesse et l’étroitesse des marchés, la complexité de travailler en Afrique – je pense à la corruption, au rapatriement de devises, au manque d’infrastructures, etc. Mais tout cela est surmontable, c’est la conviction du CIAN…

Un autre obstacle tient à notre appartenance au monde économique occidental, régenté par ses nombreuses règles, tant pour les procédures de financement, que pour le respect des règles de « compliance » ou encore la RSE, etc. Toutes règles que nous approuvons et auxquelles nous adhérons. Mais un certain nombre de nouveaux acteurs ne sont pas soumis aux mêmes contraintes, et cela crée des distorsions de concurrence. Voilà pour les obstacles.

En regard, nos avantages sont nombreux ! Le premier que je mets volontiers en avant, c’est la connaissance – et même la proximité – que nous Français avons pour l’Afrique. Nous sommes dans le monde parmi ceux qui connaissent le mieux ce continent. Donc on peut y réussir mieux que d’autres. Le deuxième avantage, c’est que dans un certain nombre de secteurs économiques, nous avons des champions du monde, de grands experts, mais aussi des PME et même des TPE qui montrent une inventivité et une agilité remarquables… Je pense à tout ce qui touche à la ville intelligente et moderne, à toutes les questions de protection de l’environnement et d’économie verte, au transport et à la logistique, à l’agroalimentaire, aux services, à la santé… nous avons beaucoup de champs d’excellence. La connaissance du continent et de grandes expertises, voilà deux beaux atouts avec lesquels travailler.

Quel est aujourd’hui l’état d’esprit des acteurs économiques français opérant en Afrique ?

Étienne Giros – En France, l’état d’esprit de ceux qui connaissent l’Afrique et s’en occupent – les institutions comme la nôtre, les sept ou huit de ce que l’on appelle « le millefeuille français » –, ainsi que celui des entreprises françaises engagées en Afrique, est très optimiste.
C’est vrai, on se plaint quelquefois des conditions de travail, des problèmes de rapatriement de devises, de paiement d’arriérés, de complexité de la vie des affaires, etc. Mais à la fin, le taux de croissance est là, la rentabilité est en général au rendez-vous… alors oui, nous sommes positifs.
La difficulté, c’est d’abord de tous tirer dans le même sens. Deuxièmement, de convaincre les entreprises françaises qui ne sont pas encore en Afrique d’y aller.

Faites-vous une distinction entre Afrique francophone et anglophone ?

Étienne Giros – Non, nous, opérateurs français, avons et devons transmettre l’ambition de s’intéresser à toute l’Afrique, et pas seulement aux pays francophones. Car on ne peut pas passer à côté des marchés de gigantesques pays comme le Nigeria, ni de tout ce foisonnement en Afrique de l’Est, avec le Kenya, la Tanzanie, l’Afrique des Grands Lacs… sans parler de la région australe où beaucoup d’entreprises françaises sont déjà présentes.

Il faut donc combattre cette idée un peu dépassée du « pré carré » francophone… Pour autant, je crois beaucoup à la francophonie et à la défense et à la promotion de la langue française. On estime qu’il y aura 750 millions de locuteurs français dans vingt-cinq ans, dont la majorité en Afrique. C’est quelque chose de très important, un atout formidable que n’ont ni les Chinois, ni les Allemands.
Il faut miser sur cela. Je suis de ceux qui pensent qu’il faut vraiment avoir cela chevillé au corps, tous les jours, afin qu’on ne se laisse pas aller à adopter sans retenue la langue mondiale des affaires, l’anglais. Il nous revient de défendre notre langue, en particulier dans les institutions internationales où le français est toujours une des langues officielles…

Selon moi, défendre le français passe d’abord par le maintien et l’accroissement de la présence culturelle de la France en Afrique. Cela veut dire les lycées français à multiplier – car c’est navrant de voir qu’il y a beaucoup plus de candidats que de places. Il faudrait répondre à cette demande, développer aussi notre offre culturelle, dont les Africains sont friands. De même, il faut accueillir les étudiants africains en France, afin de leur faire partager notre culture car ensuite, quand ils seront aux commandes d’entreprises ou d’administrations, ils seront souvent nos alliés.
Ce champ de l’action culturelle doit être préservé, il ne doit pas être utilisé comme variable d’ajustement budgétaire. Ce n’est pas là que notre pays doit chercher à faire des économies, car c’est un champ stratégique.

Avec vos nombreuses conférences, rencontres, études et publications, le CIAN se montre très actif. Quel est le lien entre toutes ces activités ? l’intuition fondatrice, si l’on peut dire ?

Étienne Giros – Au fond, tout ceci repose essentiellement sur deux idées. La première est que le développement de l’Afrique passe par les entreprises, et nous les représentons. Elles cherchent bien sûr à développer leurs affaires et à réaliser des bénéfices, mais elles sont en première ligne pour contribuer à la croissance et à la lutte contre la pauvreté.

La deuxième idée, c’est que tout ce qui est bon pour le Continent et pour son développement est bon pour nos entreprises. Et réciproquement : tout ce qui est bon pour nos entreprises est bon pour le développement du Continent.
Donc tout ce qui concourt à améliorer l’environnement général des pays, la santé, l’image de la France, la lutte contre le réchauffement climatique, le climat des affaires, les comportements socialement responsables, etc., tout cela va dans le sens du développement et donc est bon pour nos entreprises… et pour le Continent. C’est vraiment un enjeu commun.

En fait, on ne peut pas se contenter, au CIAN, de s’occuper seulement du traitement fiscal de nos résultats ou de collecter des fonds et d’obtenir des emprunts pas trop chers ou de faire face à la concurrence internationale… Nous sommes certes là pour faire des affaires, mais nous savons que l’on ne peut pas développer durablement des affaires rentables dans un environnement instable, et qu’il faut donc participer à améliorer les choses.

Lorsque l’on s’intéresse à la santé, que l’on travaille sur l’économie circulaire ou que l’on s’occupe de la formation professionnelle, on voit bien que l’on concourt à l’amélioration de l’ensemble. Car nos entreprises ne peuvent pas s’épanouir s’il n’y a pas de bon climat des affaires. Donc nous nous efforçons d’y concourir, car si tout va mieux, nos affaires iront mieux aussi, c’est notre conviction !

Cette attitude marquée par la RSE, de plus en plus fréquente parmi les entreprises françaises implantées en Afrique, est considérée désormais comme l’un de leurs avantages comparatifs…

Étienne Giros – Tout à fait ! Pour ma part, je vois trois motifs qui nous poussent à développer les comportements de RSE.
Le premier : c’est que c’est une obligation, qui est exigée dès le stade des appels d’offres. Et c’est aussi, je dirais, une obligation réputationnelle.

Deuxièmement, c’est un comportement. Je disais tout à l’heure que les entreprises françaises connaissent l’Afrique, et nous aimons ce continent. Donc croyez que, nous autres entrepreneurs, sommes capables d’avoir un comportement vertueux. Nous ne sommes pas ces prédateurs caricaturés par une partie de l’opinion, pas toujours au fait de la réalité. Je lutte beaucoup contre cette idée. Ce n’est pas parce que l’on est chef d’entreprise que l’on est un mauvais citoyen, un acteur sans moralité.

Autorisez donc que des chefs d’entreprise puissent penser que l’extrême pauvreté est intolérable, ou qu’on ne peut laisser mourir prématurément de maladie un grand nombre de salariés sans réagir… Je ne veux pas basculer dans l’angélisme, mais admettez qu’au-delà du désir de développer nos affaires, nous puissions porter une vision humaniste sur les choses.

Le troisième motif est que notre engagement autour de la RSE constitue pour nous un avantage concurrentiel par rapport aux nouveaux entrants sur le marché. Mais il y a une condition pour que cela se concrétise : que les critères de sélection ou les appels d’offres comportent effectivement des clauses de RSE, car si tout le monde n’est pas concerné, cette qualité se retourne en handicap pour nous. En revanche, cela devient un atout si dans l’attribution de marchés, dans la fiscalité, il y a petit plus donné à ceux qui ont des bonnes pratiques de RSE.

Êtes-vous satisfait de votre forum Afrique 2018, que vous avez organisé avec le Moci, début février à la CCI de Paris Île-de-France ?

Étienne Giros – Oui, je crois que l’on peut dire que ce fut un succès. Nous avons accueilli plus de 800 personnes présentes, ce qui est énorme pour un format assez ramassé, avec une demi-journée de contacts et de débats, puis une demi-journée de rencontres BtoB, qui ont fait le plein.
Notre thème était très intéressant. Le message porté était le suivant : Il faut considérer que l’impérieuse nécessité de lutter contre le réchauffement climatique va de pair avec le développement de l’économie verte. Ce n’est pas seulement une obligation ou une nécessité, c’est aussi une opportunité extraordinaire de développer nos affaires, et surtout pour nous Français.

Tous les débats ont porté sur cette thématique (lire notre dossier consacré à l’événement Afrique 2018, ndlr). Nous avons eu à la fois des analyses macroéconomiques très pertinentes, et plusieurs retours d’expérience passionnants d’entreprises de taille moyenne. Elles nous disaient : voilà comment on s’y est pris. Par exemple pour électrifier d’une manière propre 75 000 foyers au Sénégal, avec des petits budgets et des solutions adaptées…
Oui, les entreprises françaises savent faire ça ! Imagination, volonté d’aboutir, bon produit, bon champ d’action, une persévérance remarquable pour surmonter successivement tous les obstacles, et finalement un succès bien mérité !

Je ne suis pas sûr que des entreprises de tous les pays du monde sauraient faire aussi bien ! C’est ça aussi, la France en Afrique ! Des entreprises comme Enekio (lire notre article : « Comment Enekio a réussi à financer des centrales photovoltaïques au Sénégal », ndlr), il y en a beaucoup en France. Mais il faut les convaincre de franchir le pas. C’est notre travail, avec quelques autres institutions.

Bpifrance, par exemple ?

Étienne Giros – Bpifrance fait un travail formidable. Ils sont très actifs, ils ont des produits très utiles, par exemple le crédit acheteur qui finance le client pour acheter des produits ou services proposés à l’international, et donc aussi en Afrique, par des entreprises françaises.

Vous vous rangez donc parmi ceux qui assument un plaidoyer fort en faveur de l’Afrique ?

Étienne Giros – Oui, bien sûr ! Mais sans nier qu’il y a beaucoup de difficultés et de sujets d’agacement, comme déjà dit : le climat des affaires, la corruption, la fiscalité parfois erratique, la justice commerciale aléatoire… c’est souvent un parcours du combattant de s’installer en Afrique. Mais il y a des réponses. Avec de la persévérance, on y on arrive !

Quel est votre agenda d’événements pour cette année 2018 ?

Étienne Giros – Après le Forum Afrique 2018 de début février, nous allons continuer à organiser nos déjeuners-débats, à nous associer à des événements intéressants comme partenaires institutionnels, à organiser des rencontres thématiques, comme celle, récente, sur l’économie circulaire, qui est un sujet d’intérêt nouveau pour le CIAN.

Nous réfléchissons très sérieusement à lancer sur le terrain un programme pour la santé, qui utiliserait le vecteur des entreprises pour lutter contre les quatre ou cinq principales maladies en Afrique. Nous allons aussi publier un nouveau livre de notre collection Les Cahiers du CIAN. Et bien sûr nous continuerons à développer notre programme pour la formation professionnelle, RH Excellence Afrique.

Donc cela fait déjà pas mal de choses… Dernier point néanmoins : nous allons lancer avant l’été une nouveauté, le baromètre de mesure et de suivi régulier du moral et de la vision des leaders d’opinion en Afrique. Outre les leaders économiques, ce baromètre inclura aussi les politiques, les intellectuels, les sportifs et les artistes, donc ce sera un grand panel de leaders d’opinion.

Au moment où la France redéfinit les contours de sa politique africaine, le CIAN a-t-il fait des préconisations ?

Étienne Giros – Effectivement, la France réécrit un peu son mode d’emploi, ou sa vision, ou sa politique nouvelle de l’Afrique, le CIAN, comme d’autres institutions, a fait connaître quelques idées soutenues par le secteur privé.

Parmi plusieurs suggestions, j’en citerais deux. La première est qu’il nous semble nécessaire que l’Afrique – comme zone économique, mais aussi d’influence et d’échanges humains – soit une ambition collectivement portée par notre pays. Cette ambition collective doit se décliner par des actes concrets : des décisions fiscales, militaires, des règles sociales, d’influence, de culture, etc. Car ce continent représente une extraordinaire opportunité, stratégique, pour notre pays.
C’est aussi une nécessité défensive au regard de la menace du terrorisme, du problème des migrants, etc. Et selon nous, l’affirmation d’une telle ambition collective doit être portée par le plus haut niveau de l’État.

La deuxième, c’est qu’il faut réaffirmer la place centrale de la France, et de Paris en particulier, comme point focal et plate-forme internationale incontournable pour travailler en Afrique.
Cela signifie plusieurs choses : inciter les groupes mondiaux à établir leur siège continental africain à Paris ; développer des systèmes de formation pour les étudiants ; développer les régimes fiscaux intéressants – peut-être créer une zone franche pour attirer des entreprises de toutes nationalités. Tout ceci afin de (dé)montrer la prééminence que notre pays, à mon avis, peut développer sur le continent africain.

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Le CIAN, Conseil français des investisseurs en Afrique, association loi 1901, est une organisation patronale privée française qui rassemble les entreprises industrielles et de services, grands groupes ou PME-PMI, investies en Afrique. Il compte plus de 160 entreprises membres qui réalisent un chiffre d’affaires de 60 milliards d’euros, soit 80% de l’activité économique française en Afrique.

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