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Denis Deschamps, DG CPCCAF : « Pour un partenariat renouvelé de la France avec l’Afrique… parlons donc du positif ! »

6 décembre 2023
 Denis Deschamps, DG CPCCAF : « Pour un partenariat renouvelé de la France avec l'Afrique… parlons donc du positif ! »
Denis Deschamps, Délégué général de la CPCCAF, lors de son intervention à la Xe Conférence des Ambassadeurs Africains de Paris, à l’Académie des Sciences d’Outre-mer, le 20 septembre 2023. © Hady Photo/APP
La nécessité d’un nouvel élan à la relation économique entre la France et l’Afrique fait consensus. Pour y parvenir, face à la fois aux attentes plus affirmées des Africains et à une concurrence internationale féroce, il sera impératif de « changer de logiciel », notamment en adaptant notre offre publique et privée à l’adresse des acteurs économiques africains. Arguments…

Une contribution de Denis DESCHAMPS,
Délégué général de la CPCCAF,

Conférence permanente des chambres consulaires et organisations intermédiaires africaines et francophones

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Les Ateliers de la coopération consulaire et économique (ACCE) qui ont réuni près de 150 participants à Quimper, du 22 au 24 novembre 2023, ont notamment permis de faire le constat de certaines tendances de fond sur les évolutions de la relation économique de la France avec l’Afrique.
Ces tendances sont, dans une certaine mesure, des réponses pragmatiques des Africains à la question de la présence économique de la France en Afrique, qui n’est aujourd’hui plus aussi assurée que par le passé. Mais ces réponses doivent être aussi considérées comme l’indicateur d’un changement de ce rapport France / Afrique vers quelque chose de positif.

> Il est raisonnablement permis de douter pour la France… mais il y a aussi des évolutions positives pour l’Afrique

L’heure est en effet au doute. Quand bien même nous savons qu’il faut toujours se défier de la mauvaise presse et/ou de la désinformation organisée sur les réseaux sociaux, l’Afrique inquiète maintenant plus qu’auparavant.

Aujourd’hui plus encore qu’hier, l’état de droit est malmené en Afrique, en fonction d’une crise provoquée par des coups d’Etat à répétition et la sclérose des dynasties républicaines, avec, face à cela, des réponses politiques de la France qui peuvent manquer de clairvoyance ou même tout simplement de cohérence. Le rapport de Bruno Fuchs, député du Haut-Rhin et Secrétaire général parlementaire de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, et de la députée Michèle Tabarot, sur les « Relations de la France avec l’Afrique » (8 novembre 2023) a d’ailleurs parfaitement exposé cela et même émis des recommandations qui semblent pertinentes (Plan d’action de la France pour l’Afrique) :

Proposer une offre stratégique française claire et ambitieuse, avec notamment un pilotage des politiques mieux assuré par la création d’un ministère des nouveaux partenariats et de l’Afrique ;
Changer la politique de délivrance des visas, tout en conservant la maîtrise des flux ;
Faire de l’Aide au développement le ressort de la stratégie d’influence française, en misant sur le développement économique et sur les investissements et en luttant contre la désinformation.

Mais nous n’en sommes pas encore là… et d’ici à ce que l’on sorte d’une gestion souvent émotionnelle des tensions actuelles entre la France et certains pays africains, il risque de se passer du temps, rendant la situation de plus en plus complexe et délicate, pour restaurer un dialogue que les forces et autorités politiques peinent aujourd’hui à engager.

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L’avancée des coopérations Sud-Sud

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De ce point de vue, le projet d’Académie diplomatique, porté par le Quai d’Orsay (l’Ambassadeur Didier Le Bret en est le Préfigurateur) et associant éventuellement les diplomates africains en poste à Paris et les représentants du secteur privé, va certainement dans le bon sens, mais d’ici à ce que ce projet atteigne son régime de croisière, il faudra encore se résoudre au constat d’évolutions sensibles que la pandémie du Covid19 a sans doute accentuées.

Dans le cadre des derniers Ateliers de la coopération consulaire et économique (ACCE) organisés à Quimper, du 22 au 24 novembre 2023, par la Conférence des chambres consulaires et organisations intermédiaires africaines et francophones (Cpccaf), il fut ainsi particulièrement intéressant d’observer que les nouveaux projets de partenariats se font dorénavant beaucoup plus entre structures africaines qu’entre structures africaines et françaises.

La « co-construction » des projets de coopération et de partenariats économiques, à partir des besoins répertoriés auprès des entreprises et des services proposés par les organisations intermédiaires du réseau de la Cpccaf, portent certes encore sur des actions communes entre des chambres françaises et des chambres d’Afrique francophone (avec Haïti), comme entre la Chambre de métiers et d’artisanat (CMA) des Pays de Loire et la Chambre de commerce et d’industrie, des mines et de l’artisanat (CCIMA) du Cameroun, ou entre la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) des Côtes d’Armor et la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Haïti…

Mais à côté de ces projets qui s’inscrivent dans la logique du Compagnonnage institutionnel promu et mis en œuvre depuis de nombreuses années par la Cpccaf (avec le soutien de l’AFD, l’Agence française de développement), d’autres types de partenariats émergent aujourd’hui, avec un axe désormais plus Sud-Sud que Nord-Sud, comme la coopération entre l’Union des Chambres de commerce, d’industrie et d’agriculture (UCCIA) des Comores et les chambres du Sénégal, pour une promotion combinée de leurs produits cosmétiques et de parfumerie.

Aussi, par rapport aux besoins des entreprises recensés par les chambres africaines du réseau Cpccaf (création d’incubateurs, constitution de centres de ressources pour les artisans, mise en place d’une stratégie d’industrialisation/transformation des produits agricoles, transition numérique des entreprises, appui à certains métiers, développement de la qualité et facilitation de l’export…), des offres de services spécialisés sont proposées, tant par des chambres françaises (comme la facilitation des formalités à l’export, grâce aux certificats d’origine et les carnets ATA proposés par la CCI Paris Île-de-France avec la Chambre de commerce internationale) que par des organisations et chambres africaines (ainsi, le projet E-Tchité de la CCI du Bénin pour la digitalisation des PME, le Centre d’incubation de la CCIMA du Cameroun dédié à la transformation alimentaire – filière manioc).

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Messieurs les Français,
encore un effort !

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Nous devons donc espérer, mais c’est maintenant à la France de faire un effort pour rester un partenaire économique privilégié de l’Afrique…
Nous l’avons souvent appelé de nos vœux : le dialogue Sud-Sud prend forme et devrait certainement se déployer avec la mise en œuvre opérationnelle de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) et le rôle que devront jouer les 14 organisations régionales et sous-régionales africaines, comme plus particulièrement l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA).

Pour autant, il ne faut pas considérer que ce mouvement, positif parce que « panafricain », devrait nécessairement conduire à marginaliser les institutions et entreprises françaises qui sont encore en Afrique. En effet, pour ne prendre pour exemple que la ZLECaf, les Africains ont encore autant besoin de la France et de l’Europe que nous avons besoin d’eux ; mais, pour cela, il faudra sans doute veiller à faire quelque peu évoluer notre offre publique et privée française, car d’autres pays peuvent être aujourd’hui beaucoup plus efficients que la France en termes de partenariat économique.

À cet égard, la Chine est particulièrement efficace dans le domaine de l’exploitation des minéraux et également le développement des infrastructures en Afrique. Idem pour la Turquie, mais sur d’autres activités majeures comme le bâtiment et les travaux publics, et également l’Inde qui arrive aujourd’hui par l’Afrique australe et de l’Est… De leur côté, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie mettent très efficacement leur coopération économique avec l’Afrique au service de l’accès de leurs entreprises aux marchés du continent, voués à devenir de plus en plus conséquents avec la croissance démographique et le phénomène d’urbanisation de l’Afrique.

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Le Groupe AFD s’active
pour le #MondeEnCommun

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Comme cela a été rappelé dans une réunion organisée début novembre 2023 par le Cian (Conseil français des investisseurs en Afrique) dans les locaux du Groupe AFD (l’Agence française de développement, PROPARCO et Expertise France), ce dernier s’emploie, par-delà un possible découplage entre zones africaines (pays côtiers : golfe de Guinée / hinterland : Sahel), à construire ce #MondeEnCommun dont l’agence publique fait sa raison d’agir au service de l’investissement solidaire en Afrique.

Outre le défi démographique, elle entend ainsi répondre aux principaux enjeux du continent, comme le changement climatique et le manque évident de ressources par rapport aux nécessités de la croissance économique, avec :
- PROPARCO pour le financement du secteur privé, avec CHOOSE AFRICA qui permet de faciliter l’accès au financement des entreprises, moyennant des partenariats et des co-financements. Par exemple, pour des entreprises françaises en Afrique qui peuvent bénéficier de lignes de crédit, prêts et garanties, ou bien pour développer la chaîne agricole en Afrique avec le programme FARM (ensemble avec BPI France et I & P) ;

- Expertise France pour tout ce qui relève de la coopération technique ;

- L’AFD pour le soutien au secteur public et aux organisations non gouvernementales (ONG) ; sachant que l’AFD intervient par ailleurs au travers de subventions et de prêts de politique publique pour améliorer le climat des affaires en Afrique (renforcement du cadre réglementaire, lutte contre la corruption), financer des centres de formations professionnelle et développer les PPP (partenariat public-privé) en tant qu’instrument de « derisking ».

Également, des Programmes de renforcement des capacités commerciales (PRCC) mis en œuvre par l’AFD pour permettre aux Pays les moins avancés (PMA) de s’intégrer aux chaînes de valeur (CDV) internationales, grâce plus particulièrement à des actions ayant pour objet de favoriser l’accès des producteurs africains aux marchés mondiaux (par exemple, moyennant la mise aux normes européennes).

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Privilégier le secteur privé, le partage
des chaînes de valeur et la formation

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Pour autant, est-on vraiment sûr de la bonne adéquation entre les besoins locaux en Afrique et cette offre publique française, qui prétend assurer un continuum entre la stratégie de soutien à l’exportation de nos entreprises, la politique de soutien au développement et, enfin, ce qui peut a priori sembler encore hors d’atteinte de l’AFD, le maintien de l’influence et de la présence économique de la France en Afrique.

En effet, rien n’est moins sûr face aux nouvelles générations d’Africains, qui demandent que « la France change de logiciel » et adopte une posture d’écoute des jeunes, y compris et surtout sur le plan économique. L’Afrique est en effet un continent où la population est beaucoup plus jeune que partout ailleurs, avec une dynamique entrepreneuriale indéniable qu’il convient nécessairement d’appuyer ; étant entendu que les entreprises et activités économiques sont les premières créatrices d’emplois, de revenus et de richesses.

Ainsi, la croissance économique africaine passant d’abord par le secteur privé, la France doit s’employer à soutenir plus massivement les entreprises africaines et les entreprises françaises présentes sur le continent ou qui veulent s’y développer, parce qu’elles sont à la fois un facteur réel de promotion sociale et également le meilleur moyen de lutter contre la migration irrégulière.
À cet égard, les interventions de la France doivent être dans le sens de l’accompagnement de l’industrialisation des économie africaines, au travers du renforcement des chaînes de valeur (avec la transformation locale de produits), ce qui passe par la formation de sa jeunesse et aussi des efforts plus importants qui doivent être accomplis pour la libre circulation des biens et des personnes. De ce point de vue d’ailleurs, il faudra nécessairement aborder avec mesure et sagesse la question des visas pour les hommes d’affaires et étudiants africains qui provoque aujourd’hui à la fois frustrations et un important ressentiment.

Également, il faut aider les entreprises françaises à développer plus encore l’ancrage local de leurs projets d’investissements en Afrique, c’est-à-dire au-delà même de la recherche de la performance économique de court terme, pour qu’elles puissent contribuer au Produit intérieur brut (PIB) des pays africains qui les accueillent, avec un apport concret au bien-être des populations, ainsi qu’au développement économique et social nécessité par l’évolution démographique, l’expansion du numérique et l’urbanisation du continent africain.

Avec les pays africains, la France peut donc se replacer au centre de la croissance du monde, mais à condition de vouloir effectivement prendre la voie de ce nouveau partenariat économique, fondé sur la co-construction et également la formation des jeunes, plutôt que sur les notions d’« aide », de « développement » ou même de « solidarité », que les Africains acceptent de plus en plus mal. Aussi, il faudra plus systématiquement regarder le rôle positif que les diasporas peuvent jouer, quand il s’agit d’entrepreneurs ou de futurs entrepreneurs (cf. African Business Club, qui est composé de diplômés africains des grandes écoles françaises).

Avant de conclure, on évoquera ainsi la notion nécessairement plus prégnante de l’impact positif qui doit nous inciter à penser surtout aux générations futures, utilisatrices de l’Intelligence artificielle (IA) et également marquées par la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
Soulignons à nouveau – et ce n’est pas inutile de le refaire – que l’entreprise doit être perçue comme un facteur réel de promotion sociale, ce qui passe par des politiques africaines concertées avec l’Europe (cf. pour mémoire, le fameux « Global Gateway ») pour industrialiser les économies et former la jeunesse dans ce but, en même temps que des efforts importants doivent être encore accomplis pour favoriser la circulation des personnes et des biens.

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Résilience et vertu des entreprises
françaises établies en Afrique

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Enfin, malgré les incertitudes indéniables qui pèsent sur la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf) et les interrogations qui peuvent poindre de ci de là sur la politique française et européenne en Afrique, on soulignera que les entreprises françaises restent sur le continent africain, en raison notamment de leur savoir-faire et de leur capacité de résilience dans un environnement économique devenu très instable, parce que marqué par le poids de la dette des États (avec des taux de plus en plus élevés, alors que les rentrées fiscales deviennent plus difficiles) et par les difficultés d’approvisionnement croissantes en matières premières (pétrole, blé… compte tenu de la guerre en Ukraine et aussi du retour de l’inflation).

En fait, comme le Cian ne manque pas de le rappeler régulièrement, ces entreprises françaises semblent vouloir s’engager plus avant dans la RSE et l’africanisation de leurs cadres, ainsi que dans des démarches de formation professionnelle permettant à leurs projets d’implantation et de développement de contribuer aussi à la croissance des économies africaines.
Il y a donc réellement du positif en Afrique, surtout quand il s’agit d’entreprises, mais on n’en parle malheureusement jamais, car la prime de la société de l’information est toujours donnée au sensationnel et au désespoir.

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Voir ICI LE REPLAY
de notre XIe Conférence des Ambassadeurs Africains à Paris

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