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Denis DESCHAMPS : « Assurer l’émergence de l’Afrique par l’Industrialisation de ses économies et le partenariat avec l’Europe »

15 février 2024
Denis DESCHAMPS : « Assurer l'émergence de l'Afrique par l'Industrialisation de ses économies et le partenariat avec l'Europe »
Denis Deschamps, Académicien ultramarin (ASOM, Académie des Sciences d’Outre-mer. © Hady Photo/APP
Au moment où tout semble encore se déliter en Afrique, il ne faut surtout pas fléchir et il convient de veiller à l’accompagner dans la durée, sur le chemin de son développement inclusif. Aussi diversifiées qu’elles soient, les économies du continent doivent en effet pouvoir effectivement intégrer le courant porteur de la croissance mondiale, pour en être également bénéficiaires. Le chemin sera long et ardu, certes, mais ses étapes sont identifiables.

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Une contribution de Denis DESCAHAMPS
Académicien ultramarin (ASOM)

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Il ne servira à rien en effet de vouloir simplement « changer le statut des bases militaires en Afrique » (mission récemment confiée à l’ancien ministre et sénateur Jean-Marie Bockel, par le Président de la République française, Emmanuel Macron), si on ne propose pas, par ailleurs, des solutions adaptées pour le devenir des populations du continent, dans le cadre d’une Afrique souveraine.
Car il faut d’abord et surtout se soucier du sort de ces populations africaines, en particulier des jeunes, dont le manque criant d’insertion professionnelle et économique est une des causes majeures du désordre armé sur le continent, notamment au Sahel.
Parmi les solutions qui sont à mettre en œuvre, on évoquera l’émergence des économies africaines par une industrialisation inclusive, menée dans le cadre de la constitution de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf)

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Sortir du contexte inquiétant

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Il faut s’attacher à voir au-delà des crises du moment et des politiques qui ont été mises en œuvre sans impact

La constitution de l’Alliance des États du Sahel (AES) n’est pas un bon signe pour tous ceux qui voient l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) comme un modèle cohérent par rapport à la constitution de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), avec notamment une monnaie commune et une carte d’identité de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui facilitent les échanges de biens et la circulation des professionnels dans l’ensemble de la sous-région.

Depuis 1994, la Commission de l’UEMOA est, de fait, cet aiguillon utile face aux enjeux socio-économiques du continent, par rapport aux huit États africains qui la composent et dont les insuffisances sont à ce point manifestes que – comme l’Agence française de développement (AFD) en a récemment fait état lors d’une conférence qui y était consacrée, à Paris – des « biens communs » tendent à s’y substituer pour partager et gérer les ressources, au travers notamment de coopératives ou autres dispositifs alternatifs.

En effet, l’UEMOA, ce n’est pas seulement le Franc CFA et la facilitation de la mobilité des biens et des personnes, dans la perspective d’une intégration sous-régionale, mais encore des politiques communes, avec la mise en œuvre de programmes sectoriels décidés par le Conseil des ministres de l’Union, comme l’agriculture, l’énergie, l’artisanat, le commerce, le numérique, les télécoms et également l’industrie.

Concernant ce dernier secteur, six programmes visant l’industrie ont été menés par l’UEMOA depuis 1999, mais avec des résultats nuancés par rapport aux objectifs fixés, qu’il s’agisse de la mise à niveau des entreprises (avec le soutien de l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel, – ONUDI), ou bien de leur formalisation (avec le soutien de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires – OHADA).

Pour autant, il ne faut surtout pas abandonner la course et pousser résolument l’industrialisation du continent africain comme une suprême évidence, sachant qu’elle doit être de surcroît inclusive (compte tenu notamment de la responsabilité sociétale des entreprises – RSE) et reposer sur des bases saines (avec un environnement des affaires satisfaisant).

Par rapport à cela, comme cela a été évoqué en janvier 2024 dans le cadre d’une rencontre technique organisée à Paris avec des cadres de l’UEMOA, l’exemple pourrait venir de France, où la Société d’encouragement à l’industrie nationale, pousse ainsi à la Renaissance industrielle des territoires (avec le soutien de la Banque des territoires), moyennant une réflexion sur l’organisation des filières et la valorisation de la recherche, fondée sur les inventeurs et innovateurs qu’elle met en lumière.

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Les potentiels de l’Afrique sont là :
il faut maintenant agir avec résolution

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L’Afrique est certes riche de ses potentiels, mais elle n’a pas encore su profiter de la mondialisation… En effet, les économies africaines sont le plus souvent restées concentrées sur des produits de rente (minerais et autres produits issus de l’extraction du sous-sol ou de l’exploitation des forêts…) et/ ou de l’agriculture (avec la production de denrées alimentaires de base), parfois en concurrence entre elles, compte tenu de l’absence de volonté de mise en œuvre concertée d’une réelle stratégie de diversification.

Aujourd’hui, rappelons-le, l’Afrique produit ce qu’elle ne consomme pas et consomme ce qu’elle ne produit pas (en particulier, des denrées alimentaires, qu’elle importe massivement). Or, le développement africain ne pourra pas se faire sans la mise en valeur, à partir des territoires d’origine, des produits locaux, grâce à leur transformation optimale par des petites et moyennes industries employant des compétences locales, en particulier des jeunes.

Dans le cadre notamment de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), on souligne ainsi que l’industrialisation (processus manufacturier) est la clef stratégique de la croissance du continent, qui doit être mise en œuvre par-dessus les étapes historiques, pour constituer des Pôles de compétitivité (plutôt orientés sur les chaînes de valeur), des Zones économiques spéciales (plutôt orientées export, mais avec un rôle catalyseur des chaînes de valeur dans le cadre d’un marché fragmenté (1) et Agropoles, au service du développement de filières et de chaînes de valeur régionales distribuées entre plusieurs pays (avec un critère de répartition défini dans le cadre d’une concertation organisée au sein de l’UEMOA, en fonction d’une comparaison de la valeur ajoutée aux produits locaux).

Aussi, pour que cette industrialisation fondée sur le renforcement des chaînes de valeur (autrement dit : création de valeur sur place / transformation locale et consommation locale) puisse effectivement se faire en Afrique en mode 4.0, il faudra prévoir :

> Un système d’information dédié, avec des indicateurs pertinents élaborés par l’UEMOA, tant pour les États que pour les investisseurs et les entreprises, et également une base de données opérationnelle sur les entreprises, pouvant faciliter la constitution de partenariats industriels et contribuer à renforcer l’attractivité de filières disposant d’avantages réellement comparatifs ;

> L’implication des opérateurs économiques et la coordination de leurs groupements par l’organisation régionale (UEOMA), qu’il s’agisse des patronats, des chambres consulaires ou encore des bourses de sous-traitance industrielle ;

> La montée en qualité de produits, grâce notamment au numérique (évolution vers l’e-manufacturing) qui permet d’assurer la traçabilité et de vérifier la qualité des produits, et d’organiser par ailleurs un processus dynamique de production.

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Les actions devant être mises en œuvre

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S’agissant de répondre à un besoin en information, il convient de toujours faire en sorte qu’une information efficace et pertinente (par exemple, sur la compréhension de l’évolution des contextes et des marchés) arrive à ses bons destinataires. Ceci dans un contexte de guerre mondiale de l’information (avec notamment un risque réputationnel important), qui se traduit par une lutte d’influence majeure, dans le cadre d’un Internet nécessairement collaboratif qui mémorise tout ce qui s’y trouve.

Par rapport à l’industrialisation, l’information doit ainsi utilement porter aussi sur l’aval, c’est-à-dire tout ce qui concerne la maîtrise du marketing et de la distribution, sachant que c’est sur cette partie de la chaîne que repose l’essentiel de la valeur ajoutée. En d’autres termes, il s’agit de se doter, grâce à l’information, d’une vision permettant la mise en place et le développement de la politique industrielle.

Pour se doter d’une information économique fiable, destinée à la fois aux acteurs publics et privés, il faut se doter d’outils d’observation économique (avec des chiffres clefs, cartographies économiques, tableaux de bord conjoncturels, et des études sectorielles / territoriales élaborés, grâce notamment à des enquêtes et le recours à la veille) permettant d’accompagner le changement sur un territoire donné. Dans la zone UEMOA, on pourrait ainsi prévoir un système d’information sur l’industrie, établi sur la base d’échanges avec les États membres… mais également à partir de données, comme celles issues des greffes de tribunaux de commerce qui sont chargés d’enregistrer les déclarations de création d’entreprises (2).

Aussi, le dialogue public-privé doit pouvoir servir à appuyer l’industrialisation, c’est-à-dire le passage à une économie à plus forte valeur ajoutée, au lieu d’une économie largement informelle et concentrée sur des activités à faible productivité.

Pour ce qui concerne l’écosystème entrepreneurial à consolider ou mettre en place pour avoir une Industrie 4.0 en Afrique, il faut :

> Tout d’abord, prendre la bonne mesure du contexte : en Afrique, le manque à la fois de compétences (en particulier en management) et d’infrastructures (en particulier dans le domaine numérique) est pour le moins problématique par rapport à un mouvement perceptible de remontée du protectionnisme au niveau mondial (avec le re-shoring / near-shoring et aussi la diversification des fournisseurs) ;

> Ensuite, apprendre aux entreprises à jouer collectif, au travers de groupements (filières) ou de solutions adaptées, comme les pôles de compétitivité, les zones économiques spéciales, qui doivent permettre de réduire la sensibilité des économies nationales aux chocs exogènes ;

> Enfin, il paraît important de pouvoir mettre en place des champions nationaux (avec de réelles capacités pour l’investissement), dans les secteurs disposant d’avantages compétitifs réels (en fonction du marché, de la taille du marché, du climat des affaires, de l’environnement des affaires, et des compétences disponibles…). De ce point de vue, la définition d’indicateurs pertinents paraît être une condition absolument nécessaire pour bien connaître les performances économiques des entreprises d’un pays ou d’une zone.

Par rapport à la montée en qualité des produits, il faut que les économies africaines puissent assurer, à la fois, leur indépendance et leur résilience, par le développement inclusif de l’emploi industriel (par exemple, dans le textile ou bien l’agro-industrie…), qui leur permettra de sortir du début de la chaîne de valeur, centré sur de produits à très faible valeur ajoutée, et également, en aval, sur un secteur des services qui ne crée pas d’emplois.

Mais pour que la IVe révolution industrielle puisse se faire en Afrique, il faut impérativement y intégrer du numérique (recours à l’intelligence artificielle générative, la robotique, l’automatisation et l’impression 3D) et prendre effectivement la ZLECAf comme une opportunité, tant pour ce qui concerne la traçabilité de produits (avec des règles d’origine) que pour le développement du capital humain.

Enfin, on évoquera la question fondamentale de la propriété intellectuelle / industrielle, qui doit aussi pouvoir servir de base à l’élaboration de critères de performance des Etats et des entreprises en matière d’innovation, et conduisant à une stratégie mise en œuvre pour assurer la montée en gamme des opérateurs économiques sur des chaînes de valeur définies et aussi repérer les champions nationaux.

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Parlons enfin de la ZLECAf et de la RSE

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La ZLECAf, c’est l’harmonisation par le libre-échange entre organisations régionales africaines (CAE – CEDAO – CEMAC – COMESA – SADC... qui constituent aujourd’hui ce que d’aucuns appellent le « spaghetti bowl » …), moyennant une démarche d’intégration régionale devant passer par une réforme fiscale et la mutualisation des recettes douanières.

Malgré les objectifs affichés dans les années 1990 de diversification des économies du continent pour les conduire à l’exportation de produits d’un plus grand niveau de sophistication, l’intégration de l’Afrique dans les chaînes de valeur mondiales est en effet restée très faible. Depuis les années 2000, on s’est donc finalement orienté vers le développement du commerce intra-africain, fondé sur des chaînes de valeur régionales, mais avec, là encore, un succès limité en termes d’intégration régionale.

En effet :

> Les communautés économiques régionales africaines sont uniquement centrées sur les préférences tarifaires, sans prendre en compte des sujets aussi essentiels que la propriété intellectuelle / industrielle, le développement exponentiel du e-commerce…

> Le coût de l’absence d’infrastructures de transport sur le continent est tout à fait considérable pour les économies africaines ;

> La facilitation des échanges a encore d’importantes marges de progression à réaliser, compte tenu notamment des documentations encore nécessaires pour les passages de frontières (avec des normes sanitaires qui ne sont pas nécessairement harmonisées).

Pour que la ZLECAf puisse effectivement se développer, il faut donc des infrastructures de transport de bien meilleur niveau (mise en place de corridors routiers et numérisation des ports…), une plus grande complémentarité des économies sur le commerce des biens, et une implication réelle du secteur privé pour aboutir à des accords indispensables sur les normes sanitaires (secteur agro-industriel) ou sur les droits de propriété intellectuelle / industrielle (secteur pharmaceutique).

Par ailleurs, il importe que le développement impulsé par la ZLECAf se fasse sur des bases saines au regard de la responsabilité sociétale des entreprises / organisations (RSE / RSO), c’est-à-dire en considération de l’éthique des affaires, de la protection de l’environnement, du respect des normes de travail et des droits de l’Homme, de la transparence et de l’engagement pour la communauté. En fait, dans la mesure où elles seront engagées dans la RSE, les entreprises africaines seront ainsi plus attractives pour les investisseurs étrangers, en même temps qu’elles auront un impact certain sur l’environnement et sur toute leur chaîne de valeur (en particulier, avec le développement du contenu local) ; sachant que se posera encore et toujours en Afrique le problème du poids considérable du secteur informel.

Par rapport à cela, on pourrait imaginer que les greffes des tribunaux de commerce, qui sont chargés de saisir les données extra-financière des entreprises, pourraient – avec le soutien des bailleurs et agences d’exécution comme l’Agence française de développement (AFD) – répertorier les entreprises africaines qui répondent aux critères RSE et qui sont donc, de ce fait, plus à même de conclure des partenariats avec des entreprises européennes.

Le chemin est encore long, mais la voie semble tracée pour que l’industrialisation de l’Afrique se fasse pour répondre aux impératifs d’un développement endogène nécessaire pour permettre d’éviter la migration incontrôlée vers l’Europe des jeunes Africains qui arrivent en masse chaque année sur le marché du travail.

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1 - On pourra également évoquer les Zones franches (caractérisées par la défiscalisation) et les parcs technologiques et industriels (dédiés aux entreprises étrangères).

2 - Rappelons, à cet égard, le rôle de la Cour de justice de l’OHADA qui devrait normalement centraliser à Abidjan (Côte d’Ivoire) les données des entreprises.

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REPLAY / Grand succès de la XIIe Conférence des Ambassadeurs Africains de Paris, dédiée au partenariat renouvelé du Groupe AFD avec l’Afrique - La création d’un Club des Amis est envisagée.

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