Chine-Afrique-France / J.-P. Raffarin devant le CIAN (2/5) : « Les Chinois ne sont pas belliqueux, mais tant que l’on ne les arrêtera pas… ils continueront d’avancer ! »
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Introduction par Alfred Mignot, AfricaPresse.Paris (AP.P)
au verbatim de Jean-Pierre Raffarin
@AlfredMignot | @PresseAfrica
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« Pour les Chinois, l’Afrique n’est pas un continent d’intérêt occasionnel, mais un élément de la stratégie de puissance. « Faites très attention : on est aussi intelligents que vous, et on travaille plus… », voilà ce que me disait le prédécesseur de Xi Jinping, le président Hu Jintao [2003-2013] à l’occasion de discussions sur l’implantation d’Airbus en Chine.
Et quand ils parlent de la route de la soie, naturellement c’est le continent eurasiatique qu’ils ont présent à l’esprit, mais aussi l’Eurafrique.
Le Yin et le Yang, toujours à la base la pensée chinoise
Quelques éléments très importants de la culture chinoise, qu’il faut avoir en tête, y compris pour considérer la relation de la Chine avec l’Afrique… c’est que la culture chinoise est une culture moderne !
Pour faire court, je dirais que grosso modo nous Occidentaux avons été formés par un « moteur » intellectuel à trois temps – la dialectique thèse, antithèse, synthèse – qui a été celle d’Aristote, de Descartes et de Karl Marx. On construit une démarche rationnelle pour aboutir à une vérité « universelle ».
Les Chinois ont un « moteur » à deux temps, le yin et le yang [les deux énergies opposées et complémentaires qui, selon la philosophie chinoise, sont à l’origine de tous les phénomènes de la vie et du cosmos, ndlr] . Comme moi, mon ami est malicieux. Comme moi, il a le mal en lui, mais le bien aussi. Et moi-même, après cinquante ans de politique, croyez-vous que je ne sois pas malicieux ? croyez-vous que je n’ai pas fait de mauvais coups ? croyez-vous que vous puissiez me faire confiance, comme ça, d’un seul coup ?
Non, le mal est en moi !… Comme il est en vous ! Mais si l’on veut s’entendre, il faut que l’on discute sur nos biens ! Que l’on essaye de connecter nos valeurs, en laissant de côté notre mal.
On n’est pas là dans la recherche du client parfait, du fournisseur idéal, de l’honnête homme, de celui pour lequel on voudra construire une statue, en oubliant qu’à l’intérieur de la statue, il y a le bien, il y a le mal.
C’est très important pour bien mesurer que la pensée chinoise est assez moderne. Et si vous lisez les livres d’Edgar Morin et d’autres parlant de pensée complexe, vous verrez que la pensée multimillénaire chinoise a peut-être
Vue d’une partie de la salle durant le propos liminaire d’Étienne Giros, Président délégué du CIAN. © AM/AP.P
Gagner sans avoir à livrer bataille
Deuxième élément de culture : comment les Chinois avancent-ils ?
Les Chinois ne sont pas belliqueux. Durant toute leur histoire, ils n’ont jamais fait la guerre à l’extérieur de leur pays. Ils ont fait la guerre chez eux pour se défendre. Ils ont découvert l’Afrique avant nous (lire l’évocation de l’amiral Zheng He, dans notre article « Je ne les connais pas tous, [mais] les Chinois sont prévisibles ! ») mais n’ont construit aucun colonialisme ni impérialisme.
Quant à nous, si nous avons fait des bêtises en Chine, c’est à cause des Anglais… je n’oublie jamais de le répéter. Il y a toujours un Anglais derrière nos bêtises… Si vous êtes passionnés par ce sujet, lisez les livres de François Jullien, un philosophe helléniste et sinologue, qui a recherché les valeurs de la civilisation grecque dans la pensée chinoise.
Il a écrit [notamment] un petit livre intitulé « Conférence sur l’efficacité » où il traite de la mentalité chinoise, chez PUF [Collection Libelles, 2005]… [et met en exergue la différence entre efficacité occidentale et efficience chinoise, ndlr].
Il explique bien la mécanique intellectuelle chinoise. L’idée, c’est grosso modo celle du potentiel des situations, c’est-à-dire le rapport de force complètement assumé : le bon général chinois, c’est celui qui gagne la guerre sans avoir à livrer bataille !
Les Chinois ne sont pas des belliqueux, mais sachons que tant que l’on ne les arrêtera pas, ils continueront d’avancer ! Si l’on ne manifeste pas de la force à un moment ou un autre, il n’y aura pas de recul, mais toujours des avancées.
80 000 bourses de la Chine aux étudiants africains
C’est la question fondamentale, y compris au regard de l’Afrique. On est vraiment dans cette situation, on les voit progresser : ils importent 75 milliards d’euros, mais en exportent 95 ; on les voit avancer sur les investissements, et avoir multiplié par six, en trois ans, leur croissance sur place. On perçoit ainsi leur capacité très forte à se développer, y compris d’ailleurs en profitant parfois de nos efforts de [contribution au] désendettement [des pays africains] pour prendre notre place… et endetter à nouveau les pays.
On voit bien qu’il y a un certain nombre de difficultés, mais leurs avancées sont puissantes, avec des satisfactions données aux dirigeants africains, comme le dernier sommet Chine-Afrique l’a montré : [par exemple] les objectifs du Président Ouattara de 75 % d’électrification et de 70 % d’eau potable en Côte d’Ivoire seront atteints grâce aux Chinois.
On les voit très investis… Par exemple, face aux 80 000 bourses allouées maintenant par les Chinois aux étudiants africains, voilà que nous augmentons chez nous les droits d’inscription des étudiants étrangers d’une manière drastique. L’ancien Premier ministre que je suis – entendez qu’ici ancien signifie « libre » – a quand même un peu mal aux tripes. Cela me semble aller contre nos intérêts stratégiques.
Les Chinois avancent, ils continueront d’avancer, ils avanceront tant qu’on ne les arrêtera pas. Il y a deux façons de les arrêter.
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