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Cédric LEVITRE, conseiller IPEMED pour l’Industrialisation de l’Afrique : « Comment les pays africains peuvent-ils accélérer la transformation structurelle de leurs économies ? »

10 juillet 2022
Cédric LEVITRE, conseiller IPEMED pour l'Industrialisation de l'Afrique : « Comment les pays africains peuvent-ils accélérer la transformation structurelle de leurs économies ? »
Comment les pays africains peuvent-ils accélérer la transformation structurelle de leurs économies dans un contexte de chaînes de valeur mondiales et de transition technologique rapide, tout en répondant au défi d’intégration de la jeunesse qui représente la moitié de la démographie africaine ? Quelles sont les institutions et organisations à mettre en place ?

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Une contribution de Cédric LEVITRE
Conseiller IPEMED pour l’Industrialisation de l’Afrique

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L’industrialisation est reconnue comme le principal levier de changement structurel et de diversification d’une économie. Ce processus d’industrialisation permet d’abord, la montée en gamme dans la fabrication de produits, ensuite l’insertion dans les chaînes de valeur mondiales (partage international de la fabrication d’un bien ou d’un service).

Ce phénomène réduit l’exposition des pays aux fluctuations des cours internationaux de matières premières dont l’Afrique est exportatrice.

L’Afrique est aujourd’hui face à l’enjeu de taille de valoriser son potentiel démographique et de transformer sur place ses abondantes matières premières. Appliquant la théorie du « vol des oies sauvages », les pays de l’Union Africaine pourraient, dans un premier temps, inscrire dans leur politique industrielle une production interne de faible technicité se substituant ainsi à l’importation et, dans un deuxième temps, exporter des produits de plus en plus sophistiqués.

Tout va dépendre du processus d’industrialisation et de sa dynamique. Cette transformation ne se manifeste pas de manière spontanée. En effet, les dernières crises financières, notamment celle de 2008, ont montré la défaillance du principe du marché autorégulateur, le laisser-faire, et la nécessité de mettre en place des politiques gouvernementales.

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Les enseignements de l’histoire économique
sur le développement par le haut… et par le bas

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Comment les pays africains peuvent accélérer la transformation structurelle de leurs économies dans un contexte de chaînes de valeur mondiales et de transition technologique rapide tout en répondant au défi d’intégration de la jeunesse qui représente la moitié de la démographie africaine ? Quelles sont les institutions et organisations à mettre en place ?

L’histoire économique nous apprend comment enclencher un processus de transformation structurelle d’un pays. Il s’agit de combiner volonté politique, compréhension de la technologie, et conception d’un cadre institutionnel.
Tout d’abord, le développement économique procède de la volonté et de la puissance politique, et non l’inverse ; orientant en définitive la définition et la répartition sectorielle de l’économie d’un pays.

Ensuite, la compréhension et l’appropriation culturelle de la technologie doivent déboucher sur la création d’avantages comparatifs et d’activités à rendements croissants pour insérer le pays dans le jeu de la mondialisation.

Enfin, le cadre institutionnel doit définir les règles du jeu en matière de création et de diffusion de connaissances nouvelles, d’incitations à entreprendre, et de réduction d’incertitudes. C’est ce que l’on appelle le développement par le haut.

Cependant, à ces trois éléments manquent l’aptitude et l’énergie du capital social à s’emparer de la connaissance et de l’adapter au contexte et aux réalités du pays, à apprendre du passé et des autres pays, à travailler sur les faits par essai-erreur, et en interagissant par des coopérations. C’est ce qu’on appelle le développement par le bas.
C’est la rencontre entre les dynamiques « Top-Down » et « Bottom-Up » qu’il va falloir favoriser. Comment ?

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Concentrer les moyens de production
dans des Zones Économiques Spéciales (ZES)

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Répartition des ZES en Afrique. Source : Rapport IPEMED

Les ZES sont un véhicule institutionnel pour accélérer l’industrialisation de l’Afrique. Les ZES sont des regroupements ex-nihilo d’acteurs sur des zones franches délimitées géographiquement à l’échelle d’un quartier, d’une ville, d’un port maritime ou d’un port sec.

Ces enclaves peuvent bénéficier d’avantages économiques, budgétaires, et fiscaux, de réductions douanières, et de simplifications administratives. Les entreprises ont besoin de facteurs de production, ensemble de moyens contribuant à la production pour fonctionner. (Capital, ressources humaines, infrastructures, fournisseurs, etc.) En Afrique, ces facteurs de production peuvent être dispersés ou être en insuffisance. Il s’agit donc de les concentrer dans ces zones à un moment où les capacités budgétaires des états sont limitées.

Les ZES peuvent catalyser la reconstruction à une plus petite échelle d’un environnement opérationnel et fiable des affaires pour attirer les entreprises, réduire l’incertitude et les coûts liés aux échanges commerciaux.

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Un cadre institutionnel favorisant l’intégration
dans l’univers des chaînes de valeur mondiales

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La mondialisation ne renvoie pas seulement à l’internationalisation des échanges commerciaux. Elle renvoie également aux chaînes de valeur mondiales (CVM).
Globalement, 70 % des échanges internationaux actuels reposent sur les CVM. Schématiquement, les économies nationales sont à des degrés divers imbriquées dans l’économie internationale. Ce degré d’imbrication dans l’économie mondiale dépend de la capacité des États à adapter leur cadre légal national pour adopter les cadres normatifs de la mondialisation.

Les cadres normatifs permettent d’entrer dans une logique compétitive en adoptant les nouvelles pratiques des acteurs privés. En conséquence, pour intégrer les chaînes de valeurs mondiales ou régionales, adapter les cadres normatifs des différentes filières économiques sont autant de défis pour des pays en transition structurelle de leur économie.

Les ZES peuvent être un cadre institutionnel à l’échelle intéressant pour s’ouvrir, pour reconstituer un environnement mondial des affaires sur un espace géographique délimité, et pour développer progressivement des filières de la politique industrielle d’un pays. L’expérience montre que le développement des ZES est lié à leur cohérence et à leur alignement sur les choix stratégiques identifiés dans le plan national de développement.

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Comment organiser les ZESS dans un contexte
de transition technologique rapide ?

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L’accès à la technologie peut être une barrière à l’entrée d’un nouveau marché. Pour l’Afrique, il s’agit de faire venir la technologie dans des ZES et de favoriser l’apprentissage par la « coproduction ». En effet, l’accroissement du capital humain par la formation n’est pas suffisant. Il doit être complété par l’apprentissage que l’individu effectue pour développer des savoir-faire et de développer des interactions qui permettront de générer de la connaissance nouvelle et l’innovation.

La « coproduction » se définit comme un nouveau modèle de coopération économique « gagnant – gagnant » vertueux et porteur de co-développement.

La coproduction privilégie :

  La mise en place de partenariats, et non de la sous-traitance ;
  Un partage plus équilibré de la valeur ajoutée ;
  Un développement conjoint d’une production locale inclusive et durable sur le plan environnemental ;
  Un transfert technologique dans les deux sens ; (Compagnonnage industriel)
  Une montée en gamme des produits pour s’insérer dans les chaines de valeurs régionales et mondiales ;
  Des investissements sécurisés sur le long terme.

Les ZES peuvent par conséquent devenir des lieux pour capter et s’approprier la technologie occidentale tout en favorisant l’apprentissage traditionnel. À titre d’exemple, la Chine a parfaitement réussi cette adaptation. La Chine est devenue la première manufacture du monde en quarante ans, en développant des ZES – ce que les Européens ont réalisé en un siècle et demi. Entre 1980 et 2020, la Chine a construit 2 546 ZES.

La coproduction est également un modèle sur lequel les décideurs politiques africains peuvent repenser la manière dont ils conçoivent et exploitent les ZES. La coproduction pourrait constituer le changement de méthode et d’objectif attendu par les Africains. Cette stratégie constituerait un avantage concurrentiel de l’Europe vis-à-vis de la Chine et alternatif aux « routes de la soie ».

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La régionalisation de l’économie :
une opportunité de taille pour l’Afrique

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Évolution du nombre de ZES dans le monde et du nombre de pays d’implantation. Source : Rapport IPEMED

La manière de transformer aujourd’hui la production de biens et services conduit à la régionalisation. En effet, avec la mondialisation et la baisse des coûts de transport, on aurait pu croire à la fin de la géographie. L’homogénéité et la massification des produits passaient par la recherche de partenaires tous azimuts. Délocaliser ne correspond plus à la réalité d’aujourd’hui. La production s’est transformée. Les consommateurs attendent des produits de plus en plus qualitatifs et durables. La réactivité au marché exige de s’adapter aux demandes de plus en plus différenciées et rapidement évolutives.

Aujourd’hui la production, fondée sur l’interaction, n’est pas compatible avec la fragmentation que la mondialisation a créée. La production est devenue de plus en plus complexe. L’entrée dans l’économie de la connaissance a donné naissance à des écosystèmes territoriaux où se rassemblent l’ensemble des parties prenantes. Ces impératifs conduisent les entreprises à adopter des organisation agiles et en réseau. S’ajoutent les impératifs écologiques et socio-culturels de réduction des coûts du transport, de circuits courts, et de réduction d’empreinte carbone.

Par ailleurs, la création récente de la zone de libre-échange continentale africaine, la ZLECAF, est également une opportunité pour des pays dont les économies sont comparables. Lors de son développement, le marché intérieur d’un pays peut être restreint en volume par un pouvoir d’achat pas assez développé, et pas assez développé en gamme de produits. La zone de libre-échange offre ainsi l’accroissement d’opportunités commerciales. La ZLECAF peut favoriser l’intégration régionale et l’émergence de ZES régionales spécialisées.

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Quel intérêt pour l’Afrique,
et pour l’Europe ?

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Pour l’Afrique, il s’agit de sortir de la rente, de transformer sur place les immenses richesses du continent afin de répondre au défi de la jeunesse et de l’emploi. L’intérêt de l’Afrique n’est pas de faire simplement du commerce mais de se développer à travers une économie productive soutenue par la technologie européenne et par l’innovation locale.

Le changement structurel de l’économie mondiale vers une économie régionale est une opportunité pour l’Afrique de nouer des partenariats de proximité pour associer les technologies matures des pays du Nord aux contextes locaux grâce à la mise en place de ZES et de la coproduction, pour favoriser l’apprentissage et un développement plus égalitaire.

L’histoire de l’économie nous apprend également comment gérer le libre-échange. Celui-ci, lorsqu’il met en présence des pays économiquement de niveaux différents, va amener la spécialisation du moins développée dans des activités à rendement décroissant et donc à s’ancrer dans la pauvreté. (Spécialisation dans l’exportation de matières premières sans transformation sur place).

L’opportunité consiste à faire entrer dans le pays la technologie du pays développé, comme l’a pratiqué la Chine ou Singapour. Pour profiter de l’avantage concurrentiel du pays le moins développé en main d’œuvre à bas prix, l’investisseur est astreint à former des cadres nationaux du pays d’accueil et à transférer sa technologie.

Le développement spectaculaire de Singapour depuis 1965 a d’abord reposé sur sa main-d’œuvre peu chère qui a attiré les entreprises occidentales. Singapour a néanmoins compensé par le développement de l’éducation. En effet, Singapour a investi l’équivalent de trois fois le montant de l’investissement étranger dans l’éducation et l’éducation supérieure, ce qui lui a permis de devenir avec le temps une puissance technologique.

Si le libre-échange peut apporter une dynamique de croissance exogène, la stratégie doit être de la transformer en croissance endogène par transfert de technologie et développement d’avantages concurrentiels nationaux. L’archétype de la mauvaise stratégie est celle de certains pays où des compagnies pétrolières font des gros profits et où aucun national n’occupe de poste de cadre. Le pays est figé par la rente de type coloniale versée aux dirigeants locaux avec la destruction de son capital humain et de son capital naturel par la pollution.

Pour l’Europe, l’avenir est au sud par la construction de la grande région Afrique-Méditerranée-Europe. Le reclassement d’économies qui ont émergé vers des pays à revenus intermédiaires ouvre de nouvelles perspectives pour l’Afrique et l’Europe ! Ces pays économiquement plus intégrés perdront en compétitivité en raison de la hausse des salaires dans les industries à forte intensité de main d’œuvre peu qualifiée. Ils devront soit délocaliser dans des pays à bas salaires, soit monter en gamme dans la chaîne de valeur.

À titre d’exemple, la Chine pourrait renoncer à plusieurs dizaines de millions d’emplois manufacturiers. L’Afrique, en définissant des stratégies industrielles, pourrait saisir cette opportunité. Cependant, la Chine a anticipé ce vide en créant les routes de la soie. L’alternative proposée par la coproduction serait plus en phase avec un modèle, inclusif et durable, recherché par les Africains et que nous partageons culturellement avec l’Afrique.

Cette perspective est d’autant plus réaliste que le Sommet UE-UA des 16 et 17 février 2022 a promu le « Global Gateway », alternative aux « routes de la soie », pour favoriser une meilleure intégration entre les deux continents. Doté de 150 milliards d’euros dédiés à l’Afrique, ce paquet d’investissements vise plusieurs thématiques, notamment les infrastructures dans les domaines de l’eau, de l’énergie, de la logistique, du numérique, et de l’environnement. Or, les ZES constituent des réalités physiques facilement identifiables qui agrègent des problèmes et des solutions dans l’eau, l’énergie, la logistique, le numérique, et l’environnement.

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SUR E MÊME SUJET :

« Le rôle des Zones économiques Spéciales sécurisées (ZESs) africaines dans l’accélération du co-développement avec l’Europe » : un rapport IPEMED en téléchargement libre

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