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Cécile Thiakane (L@b’ISEP) : « La scolarisation des filles en zones rurales d’Afrique nécessite encore bien des efforts pour parvenir à l’équité et l’inclusion ! »

15 novembre 2020
Cécile Thiakane (L@b'ISEP) : « La scolarisation des filles en zones rurales d'Afrique nécessite encore bien des efforts pour parvenir à l'équité et l'inclusion ! »
Malgré la ratification par les États des conventions internationales sur l’éducation des filles, celles-ci continuent d’être précocement déscolarisées dans de nombreux pays d’Afrique, et en particulier dans les zones rurales. Analyse de la situation et esquisse des actions à engager pour garantir une éducation de qualité, en toute équité entre garçons et filles.

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Une contribution de Cécile Thiakane,
fondatrice du L@b’ISEP,
laboratoire en innovation sociale et environnementale

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Combien de filles ont connu une déscolarisation pour des raisons socio-économiques ? Combien sont-elles encore dans cette situation ? Les témoignages suivants apportent un premier éclairage :

– « J’ai été envoyée en ville à l’âge de 13 ans (juste après mon certificat d’études primaires) pour travailler comme bonne à tout faire dans une famille. Je logeais sur place, et je partais un week-end sur deux chez une tante où je passais d’ailleurs mon temps à faire différentes corvées. Dans la famille où je travaillais, je commençais très tôt et je finissais très tard. J’étais payée 20 000 Fcfa dont j’envoyais 15 000 Fcfa à ma famille au village. Ma mère me disait que grâce à ce travail, toute la famille avait à manger. Mes deux petites sœurs arrivées à l’âge de 13 ans ont connu le même sort : abandonner l’école et venir en ville pour travailler. Heureusement que les choses ont changé un peu. »

– « J’ai dû quitter l’école en 5e pour me marier avec mon cousin, sur ordre de mon père. J’avais 15 ans et lui 30 ans. Mon père m’a dit que la place d’une femme était de se marier et de faire des enfants, pas à l’école. Je n’ai pas pu refuser. Aujourd’hui c’est mon plus grand regret dans la vie. J’étais bonne élève et j’aimais beaucoup l’école, j’avais la capacité d’aller jusqu’au bac et devenir enseignante, par exemple. »

– « Quand j’ai eu mon brevet, je n’ai pas pu poursuivre mes études pour aller au lycée car je ne n’avais pas de famille pour m’héberger en ville. Je ne pouvais pas faire le trajet de 10km tous les jours, matin et soir, pour aller au lycée. »

– « Je n’ai pas pu finir mon cycle primaire car mes parents étaient trop pauvres et j’ai dû arrêter pour vendre des beignets et des arachides avec ma maman au marché, je n’ai pas eu d’autre choix que d’abandonner l’école. »

– « Aller à l’école, j’aimerais bien, mais ce n’est pas possible, tous les matins je dois faire plusieurs allers retours pour aller chercher de l’eau au puits à la sortie du village. Ce sont les filles qui s’y collent, et du coup on ne peut pas aller à l’école. Je ne suis pas seule dans ce cas, dans mon village. »

– « Aînée de ma famille, je n’ai pas pu poursuivre mes études après le primaire, et pourtant mes frères si. Mon père m’a dit qu’il ne pouvait pas supporter tous les frais liés à nos études, je n’ai pas eu d’autre choix que d’abandonner. Aujourd’hui je me dis qu’il faut que cette injustice cesse, on ne peut pas continuer à favoriser les garçons. »

Une « bouche en moins à nourrir »

On le voit, une multitude de facteurs socio-culturels demeurent des obstacles à la scolarisation des filles. En effet, dans de nombreuses communautés d’Afrique subsaharienne, notamment en zones rurales, des jeunes filles continuent à connaître une déscolarisation inquiétante et ce malgré la ratification par les États des conventions internationales et aussi la mise en œuvre de nouvelles politiques pour l’éducation et la formation.

Ces mesures adoptées depuis quelques années n’ont pas encore produit tout à fait les effets escomptés et appellent à davantage d’efforts. Parmi le contingent d’élèves qui abandonnent l’école, à la fin du cycle primaire, la grande majorité est constituée de filles. Dès lors, il s’avère opportun dans les mesures mises en œuvre pour la capacitation des femmes de renforcer l’égalité des genres, l’équité, et aussi l’inclusion dans l’accès à l’éducation. Scolariser les filles et les maintenir à l’école jusqu’au bac, reste un défi majeur pour la formation d’un capital humain de qualité qui sera vecteur d’émergence pour ces États Africains.

Dans beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne, bon nombre de parents, qui n’ont pas eu la chance ou l’opportunité d’être allés à l’école, ne mesurent pas l’importance de l’école et son apport dans la vie ! Ils continuent encore à retirer leurs filles de l’école. D’autres éléments à caractère socio-économique sont aussi déterminants dans ce fléau. L’impécuniosité extrême, dans certaines familles, les parents, devant faire face de façon quasi quotidienne à des urgences de survie, n’ont pas les moyens d’assurer les frais liés à la scolarisation (inscription, matériels scolaires, transports…) Ils vont marier leurs filles précocement pour récupérer la dot et se défaire d’une « bouche à nourrir ».

Jeunes mariées… à 13 ans !

La santé de la reproduction et l’éducation à la sexualité ne sont pas toujours maîtrisées dans ces communautés et restent surtout un tabou. Une jeune fille tombant enceinte avant le mariage reste une des pires hontes dans certaines communautés. Au lieu de dispenser une éducation sexuelle aux filles, certains parents optent malencontreusement pour leur mariage précoce.

Opérer un changement des mentalités et croyances au sein de ces populations est un des challenges des organisations spécialisées en planning familial et santé de la reproduction. Il va de soi que les grossesses précoces et non désirées sont aussi des freins à la poursuite de l’éducation des filles. Certaines pratiques culturelles ou religieuses méritent d’être questionnées. Il est nécessaire aussi de signaler que certaines filles, âgées d’à peine 13 ans et entrant tout juste dans l’âge de la puberté, peuvent être candidates aux mariages, sans que cela ne soit assimilé à de la pédophilie !
Les mamans ayant connu le même sort ne peuvent pas servir de bouclier et deviennent complices de ces pratiques. Celles-ci perdurent en partie, car fortement « encouragées » par des chefs religieux ou des chefs coutumiers. Leur fort pouvoir de prescription dans leurs communautés laisse entrevoir le lourd travail de déconstruction des mentalités et de nombreux construits sociaux !

Le phénomène des mariages précoces et forcés, bien que digne d’une autre époque perdure encore. On vole à ces filles leur droit à l’enfance, à l’éducation à tout jamais. Issues de milieux modestes, une fois mariées, elles devront faire face à de nouvelles obligations et préoccupations et ne pourront plus jamais poursuivre leur scolarité. Elles sont souvent mal préparées pour faire face à ce saut dans le monde adulte. Leurs perspectives d’avenir sérieusement hypothéquées, elles se retrouvent assez souvent maintenues dans une situation de dépendance, de pauvreté avec le risque que cette histoire se répète de génération en génération.

Scolarisation, taux de fécondité et mortalité infantile

Éradiquer les mariages précoces ouvrirait à des milliers de jeunes filles une formidable perspective de poursuite de leur scolarité et très certainement une meilleure place dans la société. Des filles sont toujours déscolarisées pour aller travailler en ville pour subvenir aux besoins de survie de leur famille. Ce n’est ni plus ni moins que du travail d’enfants soutenu de façon systémique.
La prostitution est aussi une des conséquences du décrochage scolaire. Certains parents, quelle que soit leur confession, pour des raisons de survie, « tolèrent » ou encouragent la prostitution. C’est un fait social. Une éminence me répliquait, il y a peu, que la prostitution ne représentait qu’un faible taux de la population, donc il n’y avait pas raison de s’alarmer. C’est le jugement d’un homme, un jugement qui ne tient nullement compte des ravages personnels et psychologiques que cela peut entraîner.

L’impact de la scolarisation des filles sur les conditions tant sociales qu’économiques des femmes n’est plus à démontrer. La scolarisation des filles jusqu’à la fin du cycle secondaire a une incidence sur leur taux de fécondité, car ces filles se marieront plus tard et auront plus recours à des méthodes contraceptives pour l’espacement des naissances et leur baisse.
En atteignant le bac, ces filles pourront prétendre à un emploi décent et bien rémunéré. Elles pourront améliorer leurs conditions de vie et être des leviers de productivité, de création de valeur et de croissance. Plus instruites, mieux informées, ces femmes seront à même de prendre des décisions plus adéquates en termes de nutrition, d’hygiène et plus globalement de santé. Cela a une incidence directe sur la baisse de la mortalité infantile.

Comment faire pour favoriser
le maintien des filles à l’école ?

Pour que la scolarisation des filles ne soit plus un vain rêve, les États, les collectivités locales, les travailleurs sociaux, les associations et les ONG devront œuvrer en symbiose et de manière holistique pour faire muter les mentalités, fertiliser des mesures incitatives qui favorisent le maintien des filles à l’école.
Un levier important, reste la mobilisation de la population masculine pour promouvoir les droits des femmes et abolir les stéréotypes sexistes, tout en faisant d’eux, des partisans de l’autonomisation économique des femmes. Bien entendu les efforts de scolarisation doivent aller davantage de pair avec l’amélioration de l’environnement scolaire pour éviter de faire de la quantité dénuée de qualité.

Les États devront allouer une part plus conséquente de leurs ressources pour soutenir de gros investissements dans la formation initiale, professionnelle et/ou continue. Cela permettra d’avoir une meilleure organisation scolaire, aménager le transport scolaire et mettre sur pied un système de cantines. Les gouvernements devront prendre leurs responsabilités pour mettre en place des politiques d’éducation efficientes.

Il est évident que la solution sera endogène et nécessitera un déploiement d’un système horizontal tenant compte de nos spécificités, aux fins de fournir une éducation de qualité pour chaque enfant en toute équité entre garçons et filles. Mieux préparés, ces jeunes pourront s’insérer dans l’économie de demain et favoriser les progrès socio-économiques conjuguant essor des nations, concomitant au bien-être des populations pour une Afrique installée durablement dans la voie de l’émergence.

Il serait stratégique de choisir en amont les filières où ces pays gagneraient à se spécialiser pour être compétitifs dans ce contexte de mondialisation. L’Afrique doit adresser le défi de former du capital humain pour réussir sa transformation numérique et s’arrimer à ce train, aborder avec succès sa transition énergétique et faire fructifier une agriculture durable afin d’atteindre l’autosuffisance alimentaire tout en préservant l’environnement.
Toujours dans cette démarche de la formation d’un capital humain de qualité, ces États ont également besoin d’adresser le problème lié au déficit d’innovation ou de structures dédiées à la soutenance de l’innovation portée par des jeunes, notamment des jeunes filles, pour éviter durablement que les projets innovants portés par ces jeunes ne se perdent dans les tiroirs de leurs seuls rêves…

À quand un changement de paradigme pour faire tomber les barrières coutumières, sociales et culturelles afin que les filles africaines encore discriminées soient traitées avec égards, justice et équité, de sorte que leurs voix portent pour l’égalité et pour leur avenir ?

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