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François-Aïssa Touazi, cofondateur de Capmena :

Après l’offensive Trump dans le Golfe, quelles possibilités pour les entreprises françaises ?

12 juillet 2017
Après l'offensive Trump dans le Golfe, quelles possibilités pour les entreprises françaises ?
Tandis que François Hollande avait su profiter des tensions entre Riyad et l’administration Obama pour imposer la France en allié stratégique du Royaume saoudite, le président Trump vient de rafler la plus grosse mise, avec la signature d’une série d’accords pour plus de 380 milliards de dollars... Face à une Amérique dominatrice, comment la France peut-elle tirer son épingle du jeu ? Le décryptage de François-Aïssa Touazi, cofondateur du groupe de réflexion Capmena.


La visite de Donald Trump à Riyad le 20 et 21 mai constitue incontestablement un tournant dans les relations entre les États-Unis et le royaume saoudien, et même au-delà avec les monarchies du Golfe. Elle intervient surtout après une période de froid avec l’administration Obama, considérée par Riyad comme trop complaisante vis-à-vis du grand rival iranien, notamment sur le dossier nucléaire, et trop hésitante sur le dossier syrien.

Le nouveau locataire de la Maison-Blanche, qui n’a pourtant ménagé ni l’Islam ni l’Arabie saoudite durant la campagne présidentielle, semble extrêmement déterminé à relancer le partenariat stratégique entre les deux pays et à construire avec l’Arabie saoudite et ses partenaires du CCEAG une nouvelle alliance destinée à lutter contre le terrorisme et l’extrémisme.

Cette visite, minutieusement préparée depuis quelques mois avec le Prince Mohamed Bin Salman - vice-Prince héritier, ministre de la Défense et homme fort du pays -, a surtout pour objectif la mise en place d’un partenariat gagnant - gagnant entre les deux pays. Pour négocier un alignement américain sur leurs priorités diplomatiques (Syrie, Yémen et surtout faire face aux visées hégémoniques de l’Iran), les Saoudiens ont su habilement surfer sur le tropisme « business first » du nouveau Président en s’engageant à investir massivement aux États-Unis, à intensifier la coopération militaire au grand bénéfice des industriels américains et à leur donner la priorité dans le cadre des opportunités du plan de transformation nationale, Vision 2030, qui a pour dessein de préparer l’économie saoudienne à l’après pétrole.

Ce « deal » entre les deux pays a été clairement affiché lors de ce déplacement. Il s’est illustré, d’une part, avec l’alignement clairement revendiqué de Donald Trump sur la politique saoudienne dans la région appelant à isoler l’Iran qu’il accuse de déstabiliser le Moyen-Orient et d’encourager le terrorisme et, d’autre part, avec la signature de plus de 380 milliards de dollars de contrats dont 110 milliards pour l’industrie de l’armement.

Dans ce secteur stratégique où l’Arabie saoudite demeure l’un des plus grands importateurs au monde (près de 70 milliards de dollars en 2016), des grands groupes américains (Lockheed Martin, Raytheon, General Dynamics...) ont remporté de juteux contrats dans le domaine des navires de combat, des drones, des hélicoptères, des centres de commandement, des systèmes de défense anti-missiles THAAD, des satellites... Des joint-ventures industrielles sont également envisagées, qui permettront au royaue de se doter de sa propre industrie de défense au travers notamment une entité nouvellement créée, la SAMI (Saudi Arabia Military Industries), qui ambitionne de figurer parmi les 25 premières entreprises de défense au monde.

Aramco, la compagnie nationale d’hydrocarbures dont les États-Unis souhaitent récupérer la lucrative introduction boursière, a quant à elle conclu 16 partenariats d’une valeur de 50 milliards de dollars impliquant les grands équipementiers et entreprises d’ingénierie et de forage (Halliburton, Baker Hugues, Exxon Mobil...). Si ces projets se concrétisent, ils se traduiront par la création de 5 000 emplois surtout qualifiés pour les jeunes saoudiens qui souffrent d’un taux de chômage élevé (31,2 %).

Les partenariats ambitieux concernent également le secteur énergétique, des nouvelles technologies ou des investissements. Ainsi, Dow Chemicals et General Electric, participeront au côté de partenaires saoudiens à des projets industriels d’envergure visant à la réussite de la transition énergétique ; le géant Blackstone et le Public Investment Fund (PIF), le puissant fonds souverain saoudien, ont mis en place un fonds d’infrastructure de 40 milliards de dollars, alimenté à moitié par PIF, pour participer au grand programme d’infrastructures lancé aux États-Unis.

Quelles marges de manœuvre
pour les entreprises françaises ?

Ce deal américano-saoudien n’est pas si éloigné de celui mis en place avec la France au début du quinquennat de François Hollande. En effet, Paris avait su profiter des tensions entre Riyad et l’administration Obama pour s’imposer comme un allié sûr et stratégique du Royaume. La fermeté française sur le nucléaire iranien ou vis-à-vis de Bachar Al Assad avait permis à la France, en contrepartie, de renforcer ses relations économiques et militaires avec l’Arabie devenant l’un de ses principaux fournisseurs d’équipements militaires. Toutefois, force est de reconnaître que de nombreuses annonces ne se sont pas concrétisées suscitant déception et frustration du côté des industriels français. Ces derniers sont aujourd’hui inquiets de cette offensive américaine et craignent que leurs projets ne soient désormais que lettre morte, d’autant plus que les entreprises américaines se sont positionnées dans de nombreux secteurs qu’ils convoitaient.

Il est indéniable que ce déplacement triomphal de Donald Trump marque le grand retour des États-Unis dans le Golfe et que notre position pourrait être affectée par cette nouvelle donne, même s’il ne faut pas oublier que l’Asie demeure de loin le principal partenaire commercial de l’Arabie (la Chine détenant plus de 15 % du marché).

La France dispose néanmoins de divers atouts dans cette région stratégique où elle a de nombreux intérêts. Les relations entre la France et les pays du Golfe sont anciennes et profondes. La nouvelle situation politique française, avec l’arrivée d’Emmanuel Macron, un président jeune, familier des enjeux économiques internationaux, en phase avec les changements générationnels dans la région peut constituer un atout certain de même que la nomination de Jean-Yves Le Drian, qui a su gagner la confiance des dirigeants du Golfe, au ministère des Affaires étrangères.

Face à une Amérique dominatrice, la France, qui a fait de l’Europe sa priorité, se doit de définir avec ses partenaires européens et en particulier l’Allemagne une stratégie ambitieuse dans la région, qui pourrait passer par un dialogue politique plus approfondi en matière de sécurité et de défense, ou la relance des discussions pour l’établissement d’une zone de libre-échange dont les négociations durent depuis plus de vingt-cinq ans... Face aux bouleversements géopolitiques au Moyen Orient, La France et l’Europe doivent exister politiquement et œuvrer à la stabilité de la région en se positionnant comme un médiateur incontournable des crises régionales, et non pas seulement comme un bailleur de fonds.

Riyad cherche des partenaires fiables

Au niveau de nos relations économiques, le soutien politique est certes important mais il faudra que nos entreprises prennent aussi conscience des changements en cours en Arabie non seulement des dirigeants, mais aussi de la nouvelle stratégie de développement qui repose essentiellement sur des partenariats industriels locaux, créateurs d’emplois et riches en transferts de technologie. La transition d’une relation commerciale traditionnelle à un partenariat industriel structurant est aujourd’hui une nécessité. Riyad cherche des partenaires fiables, disposés à accompagner le pays dans sa diversification et à lui permettre de se doter de pôles d’excellence dans des secteurs aussi divers que l’énergie renouvelable, les industries de défense, la pétrochimie, le numérique ou l’industrie du loisir.

Aussi, compte tenu du nouveau contexte, les groupes français doivent privilégier les alliances avec des entreprises issues des pays émergents (asiatiques ou turques) et éventuellement américaines pour espérer remporter des grands projets. Nos PME doivent aussi être plus présentes et se positionner sur les nouveaux secteurs en développement. Enfin, pour répondre à la forte influence anglo-saxonne dans le secteur financier, notre diplomatie d’influence mérite d’être renforcée pour promouvoir les opportunités d’investissement en France et attirer les investisseurs.

Au-delà des chiffres mirobolants et des déclarations politiques, ce deal américano-saoudien constitue un coup certes réussi mais il peut s’avérer dangereux à moyen terme pour l’Arabie, dans la mesure où il va accroître sa dépendance vis-à-vis d’un allié qui n’a pas toujours fait preuve de loyauté avec un Président imprévisible et fragilisé au niveau intérieur.

La période qui s’ouvre sera surtout révélatrice de la réalité de la relation entre nos deux pays : donnera-t-elle raison à ceux qui considèrent que la France n’est qu’un allié par défaut, ou au contraire à ceux qui sont convaincus de la force et de la richesse de notre partenariat stratégique ?

Ce texte a été publié une première fois sur le blog EuroMed-Afrique d’Alfred Mignot, sur LaTribune.fr, le 1er juin 2017.

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