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Rym AYADI -

Une vision d’avenir du partenariat EuroMed, par la Directrice du CEPS et de MedPro

Tous pays EUROMED-AFRIQUE | 2 juin 2011 | src.LeJMED.fr
Une vision d'avenir du partenariat EuroMed, par la Directrice du CEPS et de MedPro
Casablanca -

Chargée de recherche principale et directrice de recherche du département Institutions financières, Politique prudentielle et taxation au Centre d’Études des Politiques Européennes (CEPS, Bruxelles), le plus grand centre de réflexion européen, et, au sein du CEPS, le consortium euro-méditerranéen de prospectives MedPro, Dr Rym AYADI nous livre dans cette Tribune libre un diagnostic et une vision d’avenir de la région EuroMed. Et si le diagnostic met à jour de nombreux handicaps, les scenarii d’avenir gagnants ne manquent pas. À condition de mettre en œuvre des actions communes volontaires, dont elle trace les perspectives essentielles.

Photo ci-dessus : Dr Rym Ayadi, lors de sa participation au colloque de l’IMRI, les 27 et 28 mai, à Casablanca. © Alfred Mignot - mai 2011


Tribune Libre

Quel avenir pour le partenariat EuroMed ?
Diagnostic et scenarii d’avenir

par Rym AYADI
Directrice du CEPS et de MEDPRO
(Bruxelles)


Dr Rym Ayadi, lors de sa participation au colloque de l’IMRI, les 27 et 28 mai, à Casablanca. © Alfred Mignot - mai 2011

Aujourd’hui le partenariat EuroMed est dans un tournant historique. Les révolutions populaires des pays du sud ont créé une opportunité sans commune mesure pour l’Europe de contribuer à une transformation radicale de la région euro-méditerranéenne en un espace démocratique, de paix et de prospérité.

Je ne reviendrai pas sur les politiques euro-méditerranéennes du passé – commencées dans les années 1970, et qui continuent jusqu’à nos jours –, de la politique méditerranéenne globale, au processus de Barcelone, puis Union pour la Méditerranée, et jusqu’à la plus récente politique de voisinage rénovée. En tout, plus que quatre décennies de relations politico économiques !

Ces cadres politiques ont été gérés exclusivement par la Commission européenne qui propose, et les pays du sud qui disposent. Ce temps est révolu. « Business as Usual » n’est plus une option. Une vraie vision euro-méditerranéenne, suivie, d’un engagement, doit être au rendez-vous, sinon cette opportunité risquerait d’être perdue.

Après quarante années de coopération, le diagnostic reste maigre pour la rive sud. La crise économique et souveraine européenne n’a fait qu’accentuer les problèmes économiques et d’emploi, surtout pour les pays très dépendants de leurs échanges avec l’Union Européenne, comme la Tunisie et le Maroc, et cela rend les questions budgétaire hautement pénibles – surtout dans le contexte de la crise en Europe.

De plus, les relations euro-méditerranéennes ont souffert des divergences politiques au sein de l’union européenne. Une divergence qui rend sans aucun doute toute politique européenne vis-à-vis du sud obsolète et peu cohérente.

Encore faut-il ajouter à ceci la restructuration récente des services extérieurs de l’Europe, qui accentue la lenteur et la bureaucratie, et rend ainsi la position européenne peu efficace, peu visible et même affaiblie.

La communication de l’union Européenne sur la politique de voisinage rénovée a été publiée le 25 Mai 2011. Celle-ci renforce en général la politique de voisinage de 2004 en y ajoutant une composante dite « de différenciation » : les pays qui feront plus recevront plus… ce qui consolidera une nouvelle génération de partenariats. Reste la question : quand et comment celle-ci sera-t-elle mise en place ?

Sur le plan financier, en plus des 5,7 Milliards € déjà alloués pour la période 2011-2013, un fonds additionnel de 1,24 Milliard € a été transféré d’autres ressources pour soutenir la politique de voisinage. La BEI verra augmenter de 1 Md € sa capacité de financement sur la même période. De même, le mandat de la BERD couvrira sera étendu aux pays du sud de la Méditerranée, en commençant par l’Égypte, dotée d’une capacité supplémentaire de financement de 2,5 Mds €, d’ici à 2013.

Une suggestion a aussi été émise par à l’adresse des pays qui aspirant à une nouvelle formule de coopération, de commencer à faire des propositions concrètes qui correspondent au modèle de développement auquel ils aspirent

Les États-Unis d’Amérique, par la voix du président Obama, ont également affirmé leur volonté de faire face à ce rendez-vous historique, non seulement par des messages de soutien politiques, mais aussi par des actions financières qui ne tarderont pas à venir.


Diagnostic et scenarii de coopération

À ce stade de mon propos, je souhaite développer deux points :
 un bref diagnostic du monde méditerranéen d’aujourd’hui dans le contexte incertain ;
 les scénarios de coopération euro-méditerranéens ;

Ces deux volets, s’inscrivent dans le contexte d’un monde géopolitique globalisé, en mouvance permanente, et où le multipolarisme gagnera du terrain à travers le montée de nouveaux pôles et de nouvelles puissances (la Chine, l’inde et le Brésil), ainsi que l’affaiblissement des puissances qui jadis ont mené la bataille politique et économique mondiale et aussi, pourquoi pas, une reconfiguration de leur pouvoir dans les décennies à venir (vers une approche collaborative et de compromis ou de conflits et de divergence).

Certes, de nouvelles opportunités, de nouvelles pressions et de nouvelles stratégies sont à explorer pour l’avenir de la Méditerranée dans un contexte géopolitique mondial multipolaire, dans lequel les règles du jeu ne sont plus dictées par un ou deux acteurs dont les philosophies de gouvernance politique et économique sont comparables, mais par des acteurs dont les modèles de gouvernance, économiques et politiques, sont différent, mais qui peuvent aussi être porteurs de développement économique et justice sociale.

C’est cette réalité qui est reconnue et progressivement explorée avec la mise en place du Groupe des Vingt.


La corrélation entre modèles
de développement et mode de coopération

Le Président Jawad Kerdoudi (au centre) avec quelques-uns parmi les intervenants et participants au colloque de l’IMRI. © Alfred Mignot - mai 2011

Il y aura un choix à faire entre un modèle de développement fondé sur les exportations et les investissements étrangers, et un modèle basé sur la consommation, ou encore un modèle fondé sur le développement domestique (entreprises et région), ou le modèle d’une combinaison efficace entre tous les autres.

Ainsi faudrait-il définir ce modèle de développement, avant d’entamer une quête vers un nouveau mode de coopération avec l’Europe, notamment.

Ce mode de coopération doit être précisément défini pour réaliser les objectifs de ce nouveau modèle de développement
Les options sont certes très variables, du partenariat privilégié à un statut proche de celui de la Norvège, ou encore une adhésion à la communauté économique européenne…

Avant d’aborder la question de l’avenir de la relation euromed, je voudrais donc établir un bref diagnostic sur la situation que nous vivons aujourd’hui.

Ce diagnostic, et les idées que je me permettrai d’avancer, s’inscrivent dans le cadre des travaux d’un réseau de prospective euro-méditerranéen, financé par l’Union européenne, que je dirige depuis avril 2010, au sein du Centre des études politiques européen à Bruxelles…


Un diagnostic marqué par de nombreux handicaps

Aujourd’hui, la région sud-méditerranéenne demeure fragmentée économiquement, socialement et politiquement.

Pouvons-nous d’ailleurs parler d’une région commune, alors que les données ne font que corroborer une intégration sud-sud très faible, des disparités conséquentes des niveaux du revenu par tête, des développements démographiques non synchronisés, et des niveaux de développement humains divergents ? Ces disparités se creusent davantage si des comparaisons sont effectuées avec les pays européens et avec l’Afrique subsaharienne.

Ces pays partagent néanmoins les caractéristiques suivantes :

Sur le plan politique, la plupart des ces pays vivent des vagues de révolutions, protestions et conflits contre les régimes autocratiques défaillants, une volonté populaire pour instaurer des valeurs démocratiques. Ils vivent aussi une montée de l’islam politique, avec le risque de la remise en cause de la séparation entre Etat et religion, et une radicalisation potentielle, et connaissent des zones de conflits au Maghreb et au Machreq… En gros, nous sommes ici dans un espace à l’avenir politique incertain, où des intérêts divergents s’affrontent, et dont l’aboutissement reste inconnu.

Sur le plan économique, nous avons affaire à :
• des pays à fort potentiel de croissance et à faible revenu par tête, et souffrant des incertitudes politiques post-révolution qui font pression sur une situation budgétaire difficile ;
• des investissements directs étrangers qui contribuent faiblement par rapport aux autres pays en développement (une moyenne de 5 % pour les pays du sud de la Méditerranée, plus la Turquie) ; avec un potentiel négatif dû à l’augmentation du risque politique de la région ;
• des sous-régions sous-développées et un tissu industriel et entrepreneurial atone ;
• des pays importateurs, à l’exception de l’Algérie et de la Lybie, qui exportent essentiellement des ressources naturelles ;
• un niveau d’intégration régionale sud-sud et sud-nord très faible ;
• des infrastructures (énergie, transport et télécoms) sous-développées, et nécessitant un effort colossal de mise à niveau ;

Sur le plan social :
• des pays qui partagent un développement démographique conséquent, avec un potentiel énorme non utilisé dans le marché de travail parmi la population éduquée, les femmes et les jeunes – notons à ce sujet que le capital humain sera une opportunité de développement dans l’avenir de la région ;
• des niveaux élevés de chômage parmi les personnes qualifiées, et un potentiel d’augmentation de la participation de la force active dans le marché de travail ;
• l’inégalité des revenus dans les pays du sud de la Méditerranée est plus grande qu’en Europe ;
• les systèmes de santé, de protection sociale et éducatifs sont sous développés.

Sur le plan environnemental et énergétique : ces pays devront répondre au manque d’eau, ressource essentielle pour le développement du secteur agricole et la sécurité alimentaire ; à l’augmentation de la demande d’énergie et d’électricité et valoriser le potentiel non utilisé des énergies renouvelables ; aux risques de la désertification et à l’augmentation de la pollution de la qualité de l’air et de la mer…

Autres caractéristiques de la région : la croissance y est tirée par une demande domestique soutenue par des politiques protectionnistes ; une exportation constante des ressources naturelles ; des secteurs à fort capital travail et à faible valeur ajoutée ; l’importance du tourisme ; l’émergence de services exclusivement dédiés à l’exportation ; des projets d’investissement ponctuels, des investissements directs étrangers et des transferts de fonds.

Cette croissance rencontre des obstacles qui sont aussi les réalités de la région : instabilité politique et conflits ; gouvernance inefficace, corrompue et fragmentée ; mauvais contrôle du suivi démographique ; déconnection du secteur financier de l’économie réelle ; pressions de la nature, comme la rareté des ressources et le changement climatique…

Bref, tout est à construire, et ceci n’est possible que si la volonté politique existe, et si le modèle de développement économique, durable et inclusif, est bien fondé…

À ce stade, la Tunisie pourrait constituer un exemple pour explorer ce nouveau mode d’emploi.


Les scenarii plausibles et les conditions du succès

Afin de construire un avenir meilleur en Méditerranée, c’est-à-dire assurer un développement économique et social durable dans la région et explorer les meilleures formes de coopération avec l’Europe et d’autres régions dans la mouvance géopolitique, il faut assurer un développement continu des quatre piliers : capital humain ; capital social ; capital économique ; capital politique. Et aussi œuvrer à leur interaction, équilibrée et dynamique, tout en optimisant l’utilisation des ressources naturelles.

Chaque pays de la région du sud de la Méditerranée a fait des avancées dans un ou l’autre pilier, soit à travers des actions nationales, soit en bénéficiant dans quelques cas des accords de coopération avec l’Europe ou une autre région, mais aucun des pays n’a atteint un niveau moyen de développement simultané des quatre piliers.

Les scénarii plausibles seront ainsi le produit des développements nationaux de chacun de ces piliers, et de leur interaction dans la durée, dans un contexte géopolitique incertain qui rend les choix politiques difficiles.

Les facteurs suivants doivent nécessairement figurer dans la construction des scénarii d’avenir :

1. Tension géopolitique et gouvernance.
2. Production domestique des biens et services, commerce extérieur, investissement direct étranger et conditions financières.
3. Intégration régionale sud-sud, avec l’Afrique sub-saharienne et nord-sud.
4. Développement démographique et du capital humain
5. Gestion durable des ressources naturelles
6. Pression de l’environnement

Et en considérant aussi les facteurs externes qui compliquent l’équation méditerranéenne : montée de la Chine dans la région, rôle croissant des pays du Golfe, nouvelles perspectives africaines…

Ainsi nous avons relevé trois scenarii. Deux qui ont tendance à réussir – intégration et convergence avec ou sans l’Europe, une sorte de « transition verte et bleue » –, et un autre à échouer : fragmentation et mauvais choix politiques conduisant à une sorte de descente vers l’enfer politique, économique et social ou « transition rouge ».

Selon les cas, nous voyons :

1 - Une union euro-méditerranéenne où les pays du sud adoptent l’acquis communautaire, et tout le groupe se positionne ensemble dans le nouveau paysage géopolitique mondial.

2 - Une alliance ou pacte euro-méditerranéens où la Méditerranée et l’Europe se positionnent individuellement et coopèrent ponctuellement.

3 - Un divorce ou désunion euro-méditerranéens où les conflits et les divergences accentuent la perte de pouvoir dans le monde.

Pour conclure, l’histoire euro-méditerranéenne se trouve à la croisée des chemins. Soit l’opportunité est saisie pour développer sud et nord coude à coude, soit elle est perdue, comme d’ailleurs elle a déjà été perdue par le passé, confirmant les écrits de l’historien Fernand Braudel.

Je vous laisse méditer sur l’avenir de la région…


Rym AYADI*
Directrice du CEPS et de MEDPRO
Texte de l’allocution prononcée au Colloque de l’IMRI,
Casablanca, le 28 mai 2011

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* Mini-bio : Dr Rym Ayadi est chargée de recherche principale et directrice de recherche du département Institutions financières, Politique prudentielle et taxation au Centre d’Études des Politiques Européennes (CEPS), le plus grand centre de réflexion européen, établi à Bruxelles depuis 1983.
Depuis avril 2010, Dr Rym Ayadi dirige, au sein du CEPS, le consortium euro-méditerranéen de prospectives MedPro, financé dans le cadre du programme cadre de l’Union Européenne, pour la recherche et la réflexion sur l’avenir politique, social, économique et énergétique de la région méditerranéenne, et le partenariat euro-méditerranéen.
Dr Ayadi est experte des développements économique, financier et politique, en Europe et dans la région MENA.

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Sites de référence :
 Site du CEPS (Centre for European Policy Studies)
 Site de MedPro

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