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Turquie : décryptage de la large victoire du « Oui »
au référendum de révision de la Constitution du 12/09

Turquie | 13 septembre 2010 | src.OVIPOT
Turquie : décryptage de la large victoire du « Oui » au référendum de révision de la Constitution du 12/09
Istanbul - Le « Oui » l’a très largement emporté hier lors du référendum qui proposait aux électeurs turcs de réviser certaines dispositions de la Constitution de 1982, en particulier de restructurer la hiérarchie judiciaire et de soumettre un peu plus l’autorité militaire à l’Etat de droit. Alors que les résultats officiels n’ont pas encore été proclamés, le dépouillement achevé, pour près de 99 % des votes, fait état de 58 % pour le « Oui », le « Non » n’obtenant que 42%, tandis que la participation est estimée à 77%, un score qui est inférieur aux taux de participation enregistrés lors des dernières élections législatives de 2007 ou locales de 2009 (plus de 80%), mais qui est largement supérieur à celui observé lors du dernier référendum organisé en octobre 2007 (67%), qui n’avait pas fait l’objet, il est vrai, d’une campagne très active.

Photo ci-dessus : le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdoğan, s’était fortement engagé pour le "Oui". ©

Sur le plan géographique, le scrutin de dimanche 12 septembre 2010 reflète et confirme les tendances relevées lors des consultations électorales qui ont eu lieu depuis 2007.

Les départements européens de la Turquie à l’exception d’Istanbul (Edirne, Tekirdağ, Kırklareli), et les façades égéennes et méditerranéennes du pays jusqu’au Hatay ont rejeté la révision proposée. Ces zones sont en général les premières zones d’implantation des kémalistes du CHP et parfois des nationalistes du MHP.

En dehors de cette exception européenne et littorale, le reste de la Turquie (y compris les rivages de la mer Noire et le sud-est) a voté massivement « Oui ». Seuls échappent à ce raz-de-marée anatolien, les départements de Bilecik et d’Eskişehir, zones traditionnelles d’influence de la gauche laïque, et le département kurde-alévi de Tunceli dont est originaire le leader du CHP, Kemal Kılıçdaroğlu et qui a voté « Non » à plus de 80 %. Le reste du sud-est kurde, où l’on relève un taux de participation d’environ 65 à 70 % (c’est-à-dire inférieur de 10 % au taux national), a voté massivement en faveur du « Oui » (souvent à plus de 90%).

Une victoire indiscutable de l’AKP

Le résultat du référendum du 12 septembre apparaît donc comme une victoire indiscutable de l’AKP, et en particulier du premier ministre, Recep Tayyip Erdoğan, qui s’était fortement impliqué dans la campagne animée qui a précédé le scrutin.

Avec 58 %, l’avance du « Oui » est en effet plus que confortable et infirme tant les sondages que les commentaires qui évoquaient, ces derniers jours, un résultat disputé en prédisant une situation difficile pour le gouvernement pendant la dernière année de sa seconde législature.

Ce qui doit être interprété comme un nouveau succès net de l’AKP vient opportunément conforter la position du parti majoritaire, à moins d’un an des prochaines élections législatives, effaçant les doutes qu’avait fait naître, l’an passé, le résultat en demi-teinte des élections locales où les candidats du parti au pouvoir n’avaient recueilli que 40 % des suffrages.

En réalisant 54 % à Istanbul et Ankara, le « Oui » l’a d’ailleurs largement emporté dans les deux premières villes du pays où, en 2009, les candidats de l’opposition avaient pourtant enregistré une sensible progression. Ce scrutin est ainsi un très sérieux revers pour les partis kémaliste (CHP) et nationaliste (MHP), qui n’ont pas réussi à inquiéter à nouveau le parti au pouvoir, lors d’une consultation qui apparaissait pourtant comme un vote-test.

À l’issue de ce référendum, on voit mal en effet, comment l’opposition pourra se poser en challenger crédible de l’AKP, l’année prochaine. Cette lourde défaite risque d’être d’autant plus difficile à surmonter que les kémalistes disposaient d’un nouveau leader et développaient un nouveau discours. Or, alors même que la dynamique AKP du « durmak yok, yola devam » (« ne pas s’arrêter, continuer la route », mot d’ordre de l’AKP pour les élections de 2007) vient de se voir confirmée par les urnes, force est de constater que Kemal Kılıçdaroğlu et son parti, en particulier, n’ont pas réussi à se poser en alternative démocratique au gouvernement actuel, et qu’ils continuent en fait à apparaître, à une majorité des électeurs turcs, comme les tenants d’un système politico-militaire révolu.

L’affaiblissemet de l’établissement militaro-judiciaire

La victoire du « Oui » est d’autant plus importante qu’elle va encore affaiblir l’establishment militaro-judiciaire. À l’issue du dernier Conseil militaire suprême, qui a fortement réduit les positions de l’armée dans le système politique turc (cf. notre édition du 10 août 2010), la hiérarchie judiciaire restait la dernière instance susceptible de gêner l’action du gouvernement de l’AKP. En approuvant une réforme importante des compositions du Conseil supérieur de la magistrature (HSYK) et de la Cour constitutionnelle, le référendum d’hier a ouvert un compte à rebours qui aboutira probablement à un déclin, voire à une disparition totale de l’opposition frontale et systématique de la hiérarchie judiciaire qui a été au cœur des tensions politiques et de la polarisation périodique extrême que l’on a pu observer depuis 2007.

En ce sens, le résultat d’hier donne le coup de grâce au constitutionnalisme sécuritaire hérité du coup d’État de 1980, et réduit à une peau de chagrin les dernières positions dont dispose l’establishment militairo-judiciaire dans ce système.

Professeur Jean Marcou, Directeur de l’OVIPOT


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