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Turquie - Europe : un rapport d’évaluation mitigé de la Commission européenne sur la candidature turque

Turquie | 3 novembre 2009 | src.OVIPOT
Turquie - Europe : un rapport d'évaluation mitigé de la Commission européenne sur la candidature turque
Bruxelles - Le douzième rapport annuel sur les progrès de la candidature turque a été publié par la Commission européenne, le 14 octobre 2009. Pour l’essentiel, la Commission y salue les principales réformes faites au cours de l’année écoulée, en soulignant notamment l’importance d’un certain nombre d’aménagements institutionnels, et elle se félicite du rôle de modérateur joué par la Turquie dans son environnement régional. Pourtant, le rapport reproche aussi à Ankara le manque d’une vision claire et prospective qui aurait permis d’amplifier les efforts consentis pour satisfaire aux exigences européennes.

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Photo - Jeune femme avec une coiffe folklorique turque - ©JL62
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Le douzième rapport annuel sur les progrès de la candidature turque a été publié par la Commission européenne, le 14 octobre 2009. Après un premier article de Laura Pagliaroli, qui était consacré à ses développements sur les droits et libertés fondamentaux, dans l’une de nos précédentes éditions (cf. 26 octobre 2009), voici une analyse des aspects les plus politiques de ce « Progress Report » 2009. Pour l’essentiel, la Commission y salue les principales réformes faites au cours de l’année écoulée, en soulignant notamment l’importance d’un certain nombre d’aménagements institutionnels, et elle se félicite du rôle de modérateur joué par la Turquie dans son environnement régional. Pourtant, le rapport reproche aussi à Ankara le manque d’une vision claire et prospective qui aurait permis d’amplifier les efforts consentis pour satisfaire aux exigences européennes.

Cette situation s’explique, sans doute, par les résistances de certains organes de l’État, comme l’armée ou la justice, qui sont épinglées à plusieurs reprises.

Un satisfecit pour le Président Abdullah Gül…

La partie politique du rapport est comme d’habitude structurée autour des institutions turques majeures. On remarque notamment que la présidence de la République reçoit, comme l’année précédente, les appréciations les plus flatteuses. La Commission a apprécié notamment le rôle de conciliateur joué par le Président dans un contexte politique turc resté très conflictuel. Elle salue également les appels fréquents de celui-ci à accélérer le processus de réformes. Le rapport fait, par ailleurs, l’éloge de l’activité présidentielle sur la scène internationale. Il évoque le déplacement d’Abdullah Gül, en Irak, en mars dernier. Les accords historiques entre la Turquie et l’Arménie, signés juste à la fin de la période couverte par le rapport et dus en partie à l’engagement personnel du Président, ne sont en revanche pas totalement pris en compte.

… mais critique de l’insuffisance
du programme gouvernemental de réformes

Si sur beaucoup de dossiers internationaux, Ankara reçoit ainsi un satisfecit européen, il n’en va pas de même, bien sûr, pour ce qui est de la question chypriote. La Commission appelle à nouveau à l’ouverture des ports et aéroports turcs à la République de Chypre et à la normalisation des relations avec ce pays, mais elle ne demande pas à de nouvelles sanctions contre la Turquie.

Comme l’année précédente, le gouvernement turc s’en sort moins bien que la présidence de la République. La Commission se plaint du manque d’ambitions du programme gouvernemental de réformes. Et ce, d’autant plus que le premier ministre peut s’appuyer sur une majorité parlementaire confortable, et qu’il dispose d’un « mandat populaire fort ».

Le rapport sur les progrès de la Turquie pour 2009 reconnaît quand même certaines avancées, par exemple celle du programme national pour l’adoption de l’acquis communautaire, et surtout la mise en place de nouveaux dispositifs institutionnels propres faciliter les progrès ultérieurs de la Turquie.

Ainsi, pour la première fois, un négociateur en chef pour l’UE, Egemen Bağış (à droite sur la photo en compagnie du commissaire européen à l’élargissement Olli Rehn, à gauche), ayant rang de ministre d’État a été nommé (cf. notre édition du 19 janvier 2009). Il s’est distingué, tout de suite, par les efforts qu’il a faits pour promouvoir la coordination interministérielle et l’intégration de la société civile au processus de réforme.

Le secrétariat général pour l’Union européenne (SGUE) a été subordonné à ce nouveau négociateur en chef et finalement pourvu d’un personnel jugé suffisant par la Commission européenne. Elle avait, en effet, réclamé un tel renforcement en ressources humaines du SGUE, à trois reprises, dans ses rapports de 2006, 2007 et 2008. En outre, le groupe de surveillance des réformes, une conférence interministérielle, qui coordonne les changements liés à la candidature, se réunit désormais tous les deux mois.

Le rapport salue ces développements institutionnels, tout en exigeant qu’ils se traduisent par des mesures encore plus concrètes. En ce qui concerne les collectivités territoriales, par exemple, toute une série de réformes doivent encore être adoptées ou mises en œuvre. Le rapport rappelle aussi que le projet de Constitution civile, dont le gouvernement en 2007 a confié la préparation à un groupe d’académiciens, est resté en panne. De toute évidence, ce projet mort-né semble avoir été abandonné par le gouvernement.

Les carences de l’administration publique épinglées

Dans le domaine de l’administration publique, la Commission européenne se montre peu satisfaite. Le rapport reconnaît qu’un certain nombre de procédures bureaucratiques ont été simplifiées et que des initiatives d’e-gouvernement ont été lancées. Mais, cela mis à part, il continue à énumérer des carences, qui avaient déjà été signalées, aux cours des années précédentes.

À titre d’exemple, la loi sur la gestion et sur le contrôle des dépenses publiques, qui a été adoptée en 2003, et qui est entrée en vigueur en 2005, n’est toujours pas pleinement appliquée. La Commission conseille, une fois encore, à cet égard, le renforcement des unités de développement de stratégie, comme remède. De manière générale, à la lecture de ce dernier rapport, il est clair que l’administration publique turque se montre encore très rétive à l’adoption et à la mise en œuvre des réformes liées à la candidature européenne de la Turquie.

La question de la démilitarisation des instances civiles

En ce qui concerne la démilitarisation des instances civiles, les progrès faits par la Turquie en 2009 restent insuffisants, selon la Commission. Dans ce domaine, il y a eu pourtant un bond en avant qui concerne la limitation des compétences abusives que détenaient les tribunaux militaires.

On se souvient, en effet, qu’à la suite du scandale du « plan d’action pour combattre la réaction », en juin-juillet dernier, une législation importante avait été adoptée (cf. notre édition du 29 octobre 2009). La compétence des juridictions de droit commun, en matière pénale, en temps de paix a été élargie au personnel militaire, ce qui permettra, le cas échéant, de déférer des putschistes devant la justice civile. Dans le même temps, la compétence des juridictions militaires sur des civils, en temps de paix, a été abolie. Pourtant, les lois, qui traduisent ces changements, ne sont pas encore entrées en vigueur, le CHP les ayant déférés à la Cour constitutionnelle et la procédure étant encore pendante.

Le protocole secret sur la sécurité « EMASYA » est resté en vigueur ; ce protocole permet, sous certaines conditions, une sorte d’autonomisation des instances militaires, sans l’accord préalable des autorités civiles. L’absence de définition précise du concept de « sécurité nationale » n’a toujours pas été comblée par la loi turque. Cela permet aux autorités militaires de pouvoir continuer à interpréter leur rôle et leurs devoirs de manière assez flexible.

De façon plus générale, les militaires se sont encore prononcés, au cours de cette année, sur toute une série de questions politiques qui excèdent largement leur champ de compétence, commentant parfois même des procès judiciaires en cours. De surcroît, le nombre croissant de militaires de hauts rangs, retraités et actifs, qui se sont retrouvés impliqués dans l’affaire « Ergenekon », est « un sujet sérieux de préoccupation », selon la Commission européenne.

Satisfecit pour le projet de réforme du pouvoir judiciaire

Le rapport, toutefois, se félicite du projet adopté par le gouvernement pour réformer le pouvoir judiciaire. Il s’attarde à la fois sur son contenu et sur sa démarche. Le rapport de 2008 avait déjà fait mention d’une conférence à Antalya, lors de laquelle un avant-projet avait été débattu avec des juges et des procureurs. Le nouveau rapport estime très satisfaisante la continuation de ce processus consultatif, qui a vu l’implication de représentants de la société civile et qui a abouti à la rédaction d’un texte qui est censé promouvoir l’efficacité et l’impartialité de la justice turque.

Cela n’empêche pas la Commission européenne de constater et de critiquer le manque d’impartialité de la justice dans son état présent. Le haut conseil des juges et procureurs est toujours élu uniquement par les membres des deux juridictions les plus élevées du pays. Les tribunaux d’appel régionaux, qui auraient dû commencer à travailler en 2007, ne fonctionnent toujours pas. Quelques procès, comme le procès « Ergenekon », ou ceux de l’assassinat du journaliste Hrant Dink et des trois protestants de Malatya, suscitent de nombreuses inquiétudes, quant au bon fonctionnement de la justice dans ce pays.

En conclusion, on peut dire que le rapport européen d’évaluation de 2009 ressemble en partie à celui de 2008, ce qui est à la fois compréhensible et surprenant.

Compréhensible, car on n’a pas assisté à beaucoup d’évolutions et d’acquis nouveaux, en Turquie, en matière de politique intérieure, pendant l’année écoulée. Surprenant car, devant cette inertie, le ton de la Commission européenne reste tout aussi mesuré que les années précédentes.

Ce qui est assez clair, c’est que le rapport de 2009, tout comme son prédécesseur de 2008, est rédigé avec un souci de pédagogie à l’égard des acteurs de la vie politique turque. En mettant en relief les « best practices » dont certains organes de l’État ont donné l’exemple, plutôt qu’en dénonçant l’attentisme et l’entêtement des autres instances, la Commission cherche à encourager le processus de réforme en Turquie.

Le chapitre sur la présidence d’Abdullah Gül et le paragraphe sur l’élaboration du projet de réforme de la justice, qui sont autant d’exemples de gouvernance réussie, mettent bien en lumière cet objectif du rapport et l’importance que la Commission attache à la création d’un « esprit de compromis » ainsi qu’à l’adoption de modes de gouvernance et d’opposition qui rendent le jeu politique moins conflictuel, à l’avenir.

Johannes Bauer -OVIPOT
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À propos de l’OVIPOT
L’Observatoire de la Vie Politique Turque (OVIPOT), dont le responsable est actuellement le Professeur Jean Marcou, a été créé au sein de l’Institut Français d’Etudes Anatoliennes (IFEA) d’Istanbul, en 2005.

Son objectif est d’investir et d’analyser tous les aspects du système politique turc : architecture constitutionnelle, institutions politiques, développement d’un Etat de droit, vie politique et partis politiques, groupes de pression et ONG, structuration territoriale, pouvoirs locaux, politiques publiques, politique étrangère, relations internationales, intégration européenne…

Le Blog de l’OVIPOT propose des analyses de l’actualité politique turque, des interviews et des brèves réalisées par des chercheurs de l’IFEA.
Si vous désirez aller plus loin dans la compréhension de la Turquie contemporaine, n’hésitez pas à consulter les pages de l’OVIPOT sur le site internet de l’IFEA, l’Insitut Français d’Études Anatoliennes.

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