Tribune Libre – L’UPM, mode d’emploi
Jean-Louis Guigou, DG de l’IPEMED : « La vision stratégique de l’UPM doit être euro-méditerranéenne »
Quelles frontières de l’UPM ?
Méditerranée occidentale ou ensemble de la Méditerranée ?
par Jean-Louis Guigou
Délégué général de l’IPEMED
« Faut-il limiter l’UpM à la Méditerranée occidentale ou faut-il inclure l’ensemble des pays riverains du Sud et de l’Est, c’est-à-dire les pays du Maghreb et du Machrek ?
En tant qu’association, YML, composée essentiellement d’élites maghrébines, a certainement raison de délimiter son terrain d’investigation à la seule Méditerranée occidentale. C’est son choix.
Mais, sur le plan institutionnel et politique, IPEMED défend la thèse que l’ UpM réduite à la Méditerranée occidentale a de quoi séduire dans une première analyse. Mais la Méditerranée est un ensemble cohérent, en cours d’élaboration. C’est pourquoi, la vision stratégique doit être euro-méditerranéenne, car elle est la dimension pertinente de cette région en émergence. En revanche la démarche tactique peut privilégier des projets limités à la Méditerranée occidentale.
Les raisons stratégiques
d’une vaste région euroméditerranéenne
Le monde multipolaire est entrain de s’organiser. L’ensemble de l’Europe et des pays du sud et de l’est voisins de la Méditerranée, doivent ensemble œuvrer pour la création d’une grande région euroméditerranéenne.
Quatre arguments justifient que face à l’ensemble des pays européens, il faille prendre l’ensemble des pays des rives Sud et Est de la Méditerranée.
- Permettre des régulations régionales fortes et l’expression de solidarités méditerranéennes évidentes. Le réchauffement climatique, l’accès à l’eau et à l’assainissement, les problèmes de dépollution de la Méditerranée, les problèmes de sécurité alimentaire, de sécurité en méditerranée. Enfin la création d’un espace financier euroméditerranéen, imposent un espace pertinent pour des enjeux qui demandent une coopération régionale et des
régulations forte.
- Soutenir la concurrence des autres blocs régionaux Nord/Sud qui se constituent. Il s’agit d’atteindre une taille qui permet de faire jeu égal avec l’Alena (qui s’étend en Amérique centrale et même du Sud), et avec l’Asie orientale (le récent Sommet de l’Asean du 23-25 octobre 2009 a confirmé la dynamique de l’Asean+3). Dans le cadre de la mondialisation se constituent des régions Nord/Sud approchant le milliard de populations.
Voilà pourquoi il faut maintenir le cap d’une Union pour la Méditerranée élargie à tous les pays de la rive Sud et Est, voire jusqu’ aux pays du Golfe, seul objectif qui permet d’atteindre un milliard de population et donner tout son sens à la proximité, à la complémentarité et à la solidarité.
- Assurer la cohérence de la construction européenne. Il apparaît évident qu’on ne peut pas retenir sur le plan institutionnel une Méditerranée limitée à la Méditerranée occidentale, ce qui excluerait le Grèce, Malte, Chypre, et les pays des Balkans.
Par ailleurs, en optant pour une grande UPM englobant toute la Méditerranée, cela permet de donner une réponse cohérente à la question turque : on ne peut pas être pour l’intégration de la Turquie dans l’Europe et lui refuser d’intégrer l’Union pour la Méditerranée..
- Laisser la porte ouverte à des opportunités avec la Méditerranée orientale. Je reviens du Liban et de la Syrie et je suis persuadé que ces pays à forte implantation francophone et où la France est très appréciée ont un rôle stratégique dans le Proche Orient méditerranéen (projet syrien des Quatre mers et projet libanais de hubs financiers), avec la perspective de voir se créer une grande zone de stabilité et de croissance incluant localement la Turquie, la Syrie, le Liban, la Jordanie et surtout l’Irak, qui un jour retrouvera les chemins de la croissance. De nombreux investisseurs
se préparent à cette perspective.
D’autres opportunités apparaissent, qui englobent tous les pays riverains de la Méditerranée (EuroMed postal qui réunit tous les postiers de la Méditerranée, MedFer, qui réunit tous les cheminots
de la méditerranée, Medelec, qui réunit tous les électriciens, etc...).
Au total ces quatre arguments plaident en faveur d’une intégration de tous les pays du bassin méditerranéen dans l’Union pour la Méditerranée.
Cette perspective ambitieuse rejoint le projet de Fernand Braudel quand il explique que tous ces pays qui ont en commun le bassin méditerranéen s’inscrivent dans une économie-monde, il faudrait plutôt parler d’une économie régionale entendue comme un fragment cohérent de la mondialisation.
Les raisons tactiques de privilégier
d’abord les projets de Méditerranée occidentale
Compte tenu des difficultés politiques consécutives à la guerre israélo-palestinienne, pour des raisons tactiques et à court terme, pourraient voir le jour au sein du bassin occidental de la Méditerranée.
- Mettre en pratique l’idée de projets « à géométrie variable » afin de laisser avancer les acteurs qui veulent le faire, dans un cadre plus restreint (option ou choix de la Lybie).
Comme il n’y a pas de règles d’unanimité au sein de l’UpM, rien n’interdit les pays nord et sud de la Méditerranéen occidentale de concevoir des projets qui les intéressent tout particulièrement sans associer les pays du Sud et de l’Est méditerranéen.
- Valoriser les habitudes de travailler ensemble dans le 5+5 et offrir la perspective d’un élargissement progressif au fur et à mesure que les pays du bassin oriental en feront la demande ; l’Euro-Maghreb pourrait apporter rapidement plus de modernité et de démocratie en Afrique du Nord.
- Éviter l’espace de conflits que constitue le Proche Orient.
- Écarter du premier noyau de l’UpM les pays soumis à de fortes convoitises des Chinois et surtout des Américains, le Maghreb étant peut-être une zone moins convoitée sur le plan international.
En conclusion, nous considérons que l’Euro-Maghreb, n’est pas, au vu de l’histoire, un espace pertinent, car il risque de se limiter à un dialogue franco-maghrébin.
La Méditerranée est, dans sa totalité, pertinente pour construire une régionalisation acceptée de la mondialisation. Malgré les difficultés politiques, il faut garder le cap d’une Union pour la Méditerranée qui soit globale et qui s’apparente à ce que Braudel appelait « une économie monde » intégrant tous les pays qui participent aux échanges intra-méditerranéens.
Il faut être pragmatique, mais il faut aussi garder l’idéal ! »
Jean-Louis Guigou
Délégué général de l’IPEMED
Séville, le 6 novembre 2009
Source : IPEMED - Institut de Prospective Économique du monde Méditerranéen
Photo Jean-Louis Guigou © leJMED.fr