Taxer les plus riches pour sauver le monde ? Un débat de l’AFD avec Gabriel Zucman et autres chercheurs sur la réduction des inégalités mondiales
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Par Denis Deschamps, pour AFRICAPRESSE.Paris
@DjuliusD @africa_presse
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Les chercheurs et praticiens rassemblés par l’AFD #mondeencommun les 7 et 8 octobre à Paris ont ainsi débattu sur l’Objectif du développement durable 10 (ODD 10 portant sur la réduction des inégalités) et échangé sur les préconisations pouvant être faites aux autorités politiques de chaque pays pour réduire effectivement les inégalités dans le monde.
Ces discussions passionnantes ont suivi les différentes interventions de Koen DOENS, Directeur général de la DG INTPA (International partnerships) de la Commission européenne, de Rémy RIOUX, Directeur général de l’AFD, et enfin de la présentation par Gabriel ZUCMAN, Professeur à la Paris School of Economics, de sa vision de la construction d’un nouveau multilatéralisme, fondé selon lui sur la justice fiscale, sociale et climatique pour le renforcement de la coopération internationale.
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“Tax the Rich”
En tant que membre du EU Tax Observatory, Gabriel ZUCMAN a tout d’abord rappelé qu’après une longue période de coopération engagée après la deuxième guerre mondiale (WWII), tous les pays sont rentrés depuis les années 1980 dans une compétition fiscale, qui a conduit à accentuer les inégalités mondiales.
Il a alors proposé de construire un nouveau multilatéralisme, permettant des solutions coordonnées face au phénomène de concentration de la richesse mondiale entre les mains des milliardaires depuis les années 1980 (avec une augmentation – en « net inflation » – de leur fortune de +7,1 % par an, contre 3,2 % pour un adulte moyen et 1,3 % par adulte, alors même que la fiscalité sur les plus riches aurait tendanciellement baissé).
Gabriel ZUCMAN a finalement fait état de son initiative « phare », à savoir la mise en place d’une taxe standard de 2 % sur les milliardaires (soit 3 000 personnes dans le monde) et qui devrait rapporter entre 200 et 250 milliards de dollars de revenu fiscal par an.
Cependant, comme Gabriel ZUCMAN l’a évoqué, cette proposition s’apparentant à la taxation sur les multinationales reste dépendante de deux conditions (au moins) à nécessairement prendre en compte : la taxation des milliardaires non-résidents ; le fait que les résidents fiscaux ne bougent pas vers des pays sans fiscalité
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Un monde plus inégal du fait
du dérèglement climatique
Cet exposé de Gabriel ZUCMAN a suivi les présentations introductives faites par Koen DOENS, d’une part, et par Rémy RIOUX, d’autre part, sur la facilité de recherche UE-AFD relative à la réduction des inégalités dans un monde à la fois compétitif et fragile
Parlant au nom de la Commission européenne, Koen DOENS a expressément cité le dérèglement climatique comme facteur d’aggravation des inégalités entre les pays, avec plus de personnes qu’auparavant en situation de pauvreté dans le monde.
Le « Global Gateway » mis en place par la Commission européenne vise par conséquent à faciliter les investissements dans des programmes inclusifs et résilients de transition énergétique pouvant déboucher sur des opportunités pour la jeunesse, en particulier des emplois verts (« decent jobs »).
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De son côté, Rémy RIOUX a évoqué les attaques en cours sur les Objectifs du développement durable (ODD) et sur l’esprit de coopération internationale, qui nécessitent une riposte passant par « la mise en place d’une nouvel agenda pour la transition ». Il a ainsi rappelé que 50 % des opérations de l’AFD dans le monde avaient un objectif d’impact positif par rapport aux questions climatiques et aux inégalités.
Le changement de la structure économique mondiale (les économies progressent au bénéfice des plus riches ; le dérèglement climatique entraîne plus de 130 millions de personnes dans la pauvreté et nécessite alors, selon le DG de l’AFD, que l’on passe d’une politique de lutte contre la pauvreté à une politique qui observe avec la plus grande attention les inégalités et les écarts entre les pays riches et le pays pauvres.
Il convient donc, selon Rémy RIOUX, que les pouvoirs publics de chaque pays réexaminent leurs trajectoires nationales pour réduire les inégalités (moyennant notamment un renforcement de la cohésion au sein de l’Union européenne) et mettent en place des mécanismes appropriés (politiques fiscales, systèmes de protection sociale) de redistribution de revenus.
Aussi, il s’agit de mettre en cohérence les politiques commerciales, mais également celles ayant trait à la transition énergétique et à l’environnement, grâce à des dispositifs pouvant contribuer à l’équité, comme la coalition « Finance en commun » qui regroupe 550 banques publiques de développement dans le monde ; soit une capacité financière de 2 500 milliards de dollars pour mettre en œuvre les ODD et les politiques de transition.
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Une autre voie
que la taxation est possible
Après les présentations de Rémy RIOUX et de Koen DOENS, précédant l’exposé de Gabriel ZUCMAN, Thomas MELONIO, chef économiste de l’AFD, a introduit les discussions des différents panélistes, dans le cadre de tables-rondes composées d’intervenants et spécialistes de la Commission européenne, de l’AFD et d’autres structures de recherche engagées dans la facilité de recherche sur les inégalités.
Parmi les interventions, on citera plus particulièrement celle d’Erica GERRETSEN, Directrice du développement humain à la DG INTPA de la Commission européenne, qui a rappelé le rôle joué par le secteur privé, en coopération avec les banques de développement, pour soutenir la stratégie du Global Gateway, au regard des investissements devant être faits dans les pays pauvres (en Afrique) pour l’employabilité, l’autonomisation et pour développer localement des emplois durables / verts. Pour mémoire, on rappellera que les actifs des fonds d’investissement ne sont pas investis aujourd’hui dans le développement vert et social….
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Aussi, elle a souligné que tous les acteurs devaient s’impliquer dans cette stratégie de coopération internationale, y compris ceux de la « société civile » (comme OXFAM, dont la représentante Susana RUIZ a affirmé qu’il fallait « taxer les riches qui cherchent à acheter la démocratie via les médias pour mieux s’assurer le pouvoir »), pour pouvoir garantir la transition « juste » vers un monde plus sûr pour tous, grâce à une meilleure redistribution de la richesse.
Aussi, comme elle l’a indiqué, il existe, par rapport à la volonté d’assurer une transition écologique « juste » répondant aux conséquences indéniables du changement climatique, d’autres instruments que la politique fiscale préconisée par Gabriel ZUCMAN (sachant qu’une meilleure progressivité de l’impôt est aussi une voie à suivre), comme les obligations vertes (Global green bonds) et les interventions des banques de développement, qui s’emploient à « dérisquer » les investissements faits vers des zones ou secteurs propices au développement durable.
On citera enfin, en contrepoint de la position de Gabriel ZUCMAN, la critique récemment exprimée par le nouveau prix Nobel d’économie, Philippe AGHION, qui a notamment dit que la taxe sur les ultra riches était malheureusement de nature à décourager une innovation porteuse de croissance mondiale (avec notamment le développement de l’Intelligence artificielle) et, par-là, créatrice de richesse et de revenus pour tous. Le débat n’est donc pas clos.
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