Stanislas Zeze (Bloomfield Invest Corp) : « Le développement de l’Afrique passera par la décentralisation »
Propos recueillis par Faustin DALI, rédacteur en chef
de notre site partenaire Neo Africa News
Vous avez installé à Abidjan une agence pour faire de la notation financière dans les pays africains. Quels sont le rôle et l’intérêt de cette agence, alors que souvent les pays de ce continent sont accusés de mal gouvernance ?
Stanislas ZEZE - Certes, nous avons installé une agence de notation financière à Abidjan mais nous ne faisons pas de distinction entre les pays francophones et anglophones d’Afrique. Nous travaillons dans tous les pays du continent.
Le rôle d’une agence de notation financière est d’établir ce que nous appelons dans la notation, la qualité de crédit d’un emprunteur. Cette qualité de crédit, c’est la capacité et la volonté de l’emprunteur à faire face à ses obligations financières à court, moyen et long terme. Cet emprunteur peut être un pays, une entité publique, une entreprise commerciale ou industrielle, un instrument financier ou une institution financière. Cette qualité de crédit est établie après des analyses rigoureuses de paramètres qualitatifs et quantitatifs.
À la fin de ce processus, l’agence donne une note à long terme et une note à court terme, avec des perspectives qui peuvent être positives, négatives ou stables. Ces notes et perspectives sont adossées à des rapports détaillés justifiant la qualité des crédits de l’entité notée.
La notation obtenue par l’emprunteur va répondre aux trois questions fondamentales que se posent les investisseurs avant de prendre une décision d’investissement, à savoir :
1) Quelle est l’opportunité d’investir ;
2) Quel retour sur l’investissement auquel doit s’attendre l’investisseur ;
3) Quel risque prend-il de perdre son capital.
Ainsi la notation financière permet de réduire l’asymétrie d’information entre le demandeur de capitaux et le pourvoyeur de capitaux.
Toutefois, Bloomfield Investment, première agence de notation financière d’Afrique francophone, existe depuis onze ans et est agréée sur trois marchés financiers : la CEMAC, l’UEMOA et le Rwanda. Notre agence a à son actif, un peu plus de 600 notations avec un portefeuille de plus 70 entités, composé d’États, de collectivités locales, d’entreprises publiques, d’entreprises commerciales et industrielles, d’institutions financières et d’instruments financiers.
D’après vos rapports de notation, quelles sont les économies les plus fortes et solides d’Afrique ?
Stanislas ZEZE - Nous pensons que la majorité des pays africains ont un potentiel extraordinaire, sauf que le potentiel ne suffit pas. Car il faudrait pouvoir le transformer en opportunités. Ceci demande une planification à long terme, une bonne organisation et une bonne performance de l’administration publique. Mais également, une bonne gouvernance, un bon système d’éducation et de santé, un partenariat solide entre le secteur privé et le secteur public, un cadre juridique adéquat et efficace et la promotion de l’économie domestique par le renforcement et la promotion des acteurs locaux. L’Afrique est la nouvelle frontière économique et l’eldorado des futurs investissements, car il y a tout à faire.
Cependant, les conditions citées ci-dessus sont absolument nécessaires pour non seulement attirer des investisseurs étrangers, mais surtout motiver l’entrepreneuriat continental et l’investissement intra-continental.
Il y a tout de même une prise de conscience progressive des acteurs politiques sur la nécessité de changer de stratégie de développement en adoptant de nouvelles règles d’engagements économiques, politiques, sociales et culturelles. Pratiquement, tous les pays d’Afrique ont désormais un programme avec des horizons différents pour devenir des pays émergents avec tout ce que cela entraîne comme conséquences.
Dans cette nouvelle Afrique qui se redessine progressivement mais sûrement, Bloomfield veut jouer un rôle fondamental en tant que pourvoyeur d’informations et d’analyses économiques, financières, sociales, culturelles et politiques qui permettraient aux pays africains de mettre en place des politiques publiques adéquates au développement économique inclusif et durable de leurs États, et permettre au secteur privé et aux marchés financiers africains d’être suffisamment outillés pour faciliter leur développement.
Votre entreprise, a-t-elle déjà subi des pressions de gouvernements ou autres pour obtenir des notations en leur faveur ?
Stanislas ZEZE - À Bloomfield, de par notre attitude et notre sérieux, nous ne donnons pas l’opportunité aux indélicats de nous faire des propositions indécentes. Dans tous les cas, il est difficile de tricher en notation financière, car ça finira par se savoir.
Si votre qualité de crédit se situe à C+ et qu’une agence de notation décide de la relever à AAA dans une optique de tricherie, l’entité favorisée va se comporter sur le marché financier avec les capacités d’un emprunteur de grade C+ dont la probabilité de défaut est très élevée. Par conséquent, il va certainement faire défaut alors qu’il a été déclaré AAA, dont la probabilité de défaut est nulle.
L’agence de notation en question, perdra donc sa crédibilité. Bloomfield ne va jamais compromettre son intégrité, car la raison de son existence, est son sérieux et son intégrité irréprochable. Je voudrais ajouter que, sur le continent africain qui est moins sophistiqué que les autres et avec des spécificités, les agences de notation financière africaines, ont un avantage significatif sur les agences internationales en ce sens qu’elles maîtrisent mieux cet environnement et ont cette capacité à mieux interpréter les paramètres qualitatifs dans le contexte culturel continental.
Nouvelle génération, nouvel état d’esprit et compétences. Avec ce triptyque, doit-on donc repenser le développement sur le continent africain ?
Stanislas ZEZE - Bien sûr, c’est même inévitable. Le modèle actuel a montré ses limites. Il faut commencer déjà à changer la mentalité de la majorité de nos concitoyens, les mettre dans une logique de développement participatif qui passe naturellement par l’implication personnelle, la discipline et la structuration.
Je pense sincèrement qu’il y a deux angles par lesquels on pourrait repenser la stratégie de développement en Afrique. À savoir, la transparence économique qui passerait par une administration forte, structurée, performante, dématérialisée avec une gouvernance appropriée et acceptable.
L’administration est le cœur même du développement économique et social car tout part de l’administration, de la conception des politiques publiques à leur mise en application et leur suivi et l’évaluation des performances de leur efficience et leur efficacité.
Une administration efficace et efficiente peut garantir un développement économique et social durable et inclusif. L’autre angle serait la démocratie économique qui consiste à se rassurer de la participation de tous dans le processus économique et de la redistribution de façon juste et efficace du fruit de la croissance. Ceci peut efficacement se réaliser à travers une vraie décentralisation administrative, politique, économique et financière, à travers un transfert de réels pouvoirs politiques et financiers aux collectivités locales. Renforcer les capacités décisionnelles des collectivités locales en matière d’éducation, de santé, d’infrastructures, de logements, d’assainissements et d’autres aspects du développement économique et social. Le développement de l’Afrique passera par la décentralisation et non par cette centralisation accélérée à laquelle nous assistons aujourd’hui.
Le franc CFA fait actuellement polémique en Afrique. Quel est votre point de vue ?
Stanislas ZEZE - C’est un débat important, qu’il ne faut pas éluder. Cela dit, il doit être mené sans passion, tant du côté de ceux qui sont pour le franc CFA, que du côté de ceux qui sont contre. Evidemment, il est important pour un pays d’avoir sa propre monnaie, qui est un outil de souveraineté nationale et lui permet surtout de mettre en place et de gérer lui-même sa propre politique monétaire.
Mais pour avoir sa propre monnaie, il faut avoir les institutions qui vont avec, et la capacité de la soutenir. Le franc CFA a certes des inconvénients non négligeables, mais en l’état actuel de développement des pays membres de la zone CFA, une monnaie forte comme le CFA a un gros avantage dans ce sens que ces pays sont de grands importateurs de produits finis, donc ont besoin d’une monnaie forte.
Si les pays qui utilisent le franc CFA décident de s’en débarrasser, ils doivent se donner une période de temps définie et faire un retro planning. Le temps de mettre en place des institutions monétaires fortes et indépendantes, diversifier et industrialiser leur économie, choisir une monnaie et décider de comment elle sera soutenue et ce sur quoi elle sera adossée.
Cela leur évitera l’expérience difficile de certains pays africains qui ont leur propre monnaie et ont du mal à être compétitifs et performants. Je pense cependant que dans l’intérêt de la recherche d’une solution éventuelle pour remplacer le franc CFA, ces pays pourraient améliorer la gouvernance de cette monnaie qu’ils utilisent en ce moment. Notamment, fabriquer les billets et les pièces sur place, dans l’un des pays de la zone CFA, ce qui leur fera une économie de 25 % de la valeur du billet, c’est ce que coûte la confection en France des billets du franc CFA.
Également, négocier la réduction progressive du niveau de réserve de devises nécessaires au Trésor français pour soutenir la parité du CFA avec l’Euro. Ce qui va renforcer les réserves de devises dans la zone CFA, qui est plutôt faible. Négocier par ailleurs la convertibilité réciproque du XAF (CFA Afrique Centrale) et du XOF (CFA Afrique de l’Ouest) ce qui élargirait cette zone économique importante. Et enfin, changer le nom franc CFA qui a une connotation coloniale et dégradante pour les pays de cette zone.
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