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Soufyane Frimousse : « Pour une métamorphose du système de formation des Africains pour s’adapter à un monde en constante mutation »

20 février 2021
Soufyane Frimousse : « Pour une métamorphose du système de formation des Africains pour s'adapter à un monde en constante mutation »
Alors que notre époque enfante un monde en perpétuel mouvement accéléré, comment faire pour contourner en Afrique le piège de l’auto-reproduction à l’identique et obsolète des élites et de leurs modes de pensée dominants ? Comment surmonter les réticences des diplômés et des instances traditionnelles d’éducation et de formation ? Pistes de réflexion…

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Une contribution Soufyane FRIMOUSSE*
Docteur en Sciences de Gestion,

Maître de conférences
 (IAE de Corse, UMR LISA)
Chercheur associé Chaire Changement ESSEC Business School Paris.

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Pérenniser et renforcer les dynamiques du continent africain réclame notamment d’engager une métamorphose du système d’éducation et de formation des Africains. L’Afrique devra s’employer à former une nouvelle génération de dirigeants afin que les succès s’inscrivent dans un paradigme managérial, politique et économique garant d’impacts positifs sur la société (personnes, planète).

Rappelons que l’Afrique est le continent le plus jeune de la planète avec 200 millions d’habitants âgés de 15 à 24 ans. Ces jeunes Africains deviendront pour certains les leaders et la force motrice du développement économique, social et culturel du continent. Un système éducatif et de formation performant et accessible au plus grand nombre est donc essentiel.

D’après l’Unesco, l’Afrique doit former 2,5 millions de scientifiques, de techniciens et d’informaticiens pour atteindre les objectifs du millénaire pour le développement. Dans des pays comme la Namibie, le Zimbabwe, la Tanzanie, les universités forment en moyenne chaque année un ingénieur qualifié pour 6 000 habitants. La Chine en forme 1 pour 200 habitants. La recherche publique africaine consacre moins de 1% du PIB continental à l’investissement dans la recherche et le développement.

Malgré des avancées (ie. abolition des frais de scolarité dans le primaire dans certains pays, recours aux plates-formes éducatives…), le système d’éducation et de formation en Afrique demeure généralement encore obsolète et inopérant.

« L’Afrique a besoin de citoyens qui pensent… »

En fait, l’Afrique doit se demander si son actuel système d’éducation et de formation contribue à la transformation ou s’il ne sert qu’au maintien et à la reproduction du système.

Le plus souvent, les formations sont centrées sur une logique de reproduction, car les écoles et les universités sont généralement des milieux conservateurs et élitistes, qui forment des managers, des théoriciens, des décideurs qui vont tendre à reproduire les mêmes modèles avec les mêmes modes de pensée. De trop nombreux diplômés ne sont pas prêts, aujourd’hui, à évoluer pour faire face au monde de demain car les instances traditionnelles d’éducation et de formation ne sont pas disposées à leur offrir la formation à ce monde à venir.

Le savoir instrumental et immédiatement rentable a éradiqué le savoir constructeur de sens et de synthèses créatrices. Les savoirs « boîtes à outils », axés sur le développement de réflexes de résolution de problèmes ont pris la place des vrais savoirs, nourris d’intelligence et de capacité d’innovation.
Ce modèle éducatif et de formation repose sur les capacités mécaniques décisionnelles impliquant de moins en moins la réflexion. Or l’intelligence humaine suppose la capacité d’effectuer des combinaisons conceptuelles originales, mais aussi et surtout une idée de finalité, et de sens. Il ne saurait donc y avoir d’intelligence que là où il y a conscience.

L’Afrique a besoin de citoyens qui pensent et non pas uniquement de citoyens qui produisent et consomment. N’oublions pas que le rôle premier d’une institution d’éducation et de formation est de donner à chacun les moyens de se révéler et de s’accomplir. Afin d’éduquer et de former chaque être humain à devenir un citoyen prêt à jouer pleinement son rôle, il est nécessaire, au préalable, de tout mettre en œuvre pour favoriser l’émergence en lui de capacités de discernement, d’une part, d’aptitudes à interroger les modèles et les pratiques en place, d’autre part. La finalité étant de participer au progrès de la société en l’impactant positivement.

Au Maroc, l’exemple inspirant de l’université
polytechnique Mohammed VI (UM6P)

C’est grâce à une formation reposant sur l’enracinement dynamique que ses dirigeants et la jeunesse africaine seront plus à même de répondre aux défis mondiaux. Sur le continent africain, les appareils productifs, les systèmes éducatifs et de formation, les rapports sociaux de production, les sphères intellectuelles sont trop souvent façonnés de l’extérieur et au service de la seule technoscience économique.

Cependant, émerge de plus en plus un mouvement d’introversion/contextualisation qui s’appuie sur les permanences territoriales, localisées, réelles et subjectives (sens, symboles...).

Sans cet ancrage dans un espace de vie considéré comme un « milieu » social, culturel et spirituel, l’être humain ne peut que s’effondrer. Nier ces réalités reviendrait à avoir une pensée hors sol ! Cet enracinement n’est pas signe d’enfermement, bien au contraire. Car il est dynamique, situé entre le clos de l’ancrage et l’ouvert de l’appel de l’extérieur (1).

L’éducation et la formation doivent à l’avenir s’intégrer dans un projet social plus large. Au Maroc, l’université Mohammed VI polytechnique (UM6P) s’est orientée vers la recherche appliquée et l’innovation en se positionnant sur la vocation africaine du royaume, avec notamment l’African Business School. Il s’agit de s’actualiser et de s’adapter à un monde en constante mutation.

Plus qu’une institution académique classique, cette université est une plateforme d’expérimentation et un vivier d’opportunités. La quête d’inclusion et d’impact sociétal y est permanente. L’éducation et la formation y sont considérées comme des chemins qui orientent et donnent du sens.

L’Afrique a besoin de nombreux établissements de ce type pour le sort commun des Africains plutôt que pour le marché et la consommation. Il est urgent de redonner à l’éducation et à la formation, du primaire à l’universitaire, leurs rôles premiers de socialisation communautaire de l’enfant futur citoyen, et d’aiguiser l’esprit critique. Il faut refuser de défendre un univers humain et une nature réduits à leur seule contribution à la croissance économique. N’oublions pas que l’analphabétisme n’est pas qu’absence d’instruction… il est tout aussi bien l’absence de sens et de valeurs autres que matérielles.

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1 - Africa Positive Impact ambitionne de constituer un véritable centre de production des savoirs et des actions africaines afin qu’émerge « la contribution africaine » dans un monde devenu multipolaire (l’Afro-impact). Nous avons pour ambition de produire une véritable réflexion afro enracinée.

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DU MÊME AUTEUR

Soufyane Frimousse : « Quand l’Afrique s’éveillera… le management tremblera ! » 4 avril 2020

Innovations frugales, ethos, management… : 
comment l’Afrique devient le laboratoire du monde de demain, un ouvrage de Soufyane FRIMOUSSE 2 décembre 2018

ET AUSSI

« Africa positive impact » : un livre-plaidoyer pour valoriser le management à la manière d’Afrique, cette « terre des possibles du monde à venir » 10 octobre 2020

À PROPOS

*Soufyane FRIMOUSSE – Maître de conférences, docteur et habilité à diriger des recherches en Sciences de Gestion. Université de Corse, Université de Montpellier 3. Chercheur associé Essec Business School Paris. Chercheur associé HEC Montréal. Chercheur Centre Jacques Berque Rabat.

Chercheur GIS Moyen-Orient et mondes musulmans CNRS. Rédacteur en chef adjoint de la revue Questions de Management. Ses domaines d’expertise sont le leadership, les modèles alternatifs de management, l’innovation et la gestion de la transformation.
Membre de l’AGRH et l’IAS. Il contribue à plusieurs ouvrages collectifs et à de nombreuses revues académiques et professionnelles françaises et internationales.
Il est l’auteur de l’ouvrage « Innovation and agility in the digital age : Africa, the world’s laboratories of tomorrow », aux Éditions Wiley.

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