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Sébastien Mosneron Dupin, DG d’Expertise France : « Nous sommes… un porte-avions ! Nous emmenons avec nous des entreprises du privé » (1/3)

15 mai 2018
Sébastien Mosneron Dupin, DG d'Expertise France : « Nous sommes… un porte-avions ! Nous emmenons avec nous des entreprises du privé » (1/3)
Née en 2015 du regroupement de six agences rattachées à autant de ministères de tutelle, Expertise France a dépassé les pronostics les plus optimistes, affichant 70 % de croissance cumulée sur trois ans ! À l’origine de sa création et actuel directeur général, Sébastien Mosneron Dupin nous livre dans cet entretien exclusif les clés de la réussite de cet établissement public qui porte haut les couleurs de la France, et particulièrement en Afrique. [Volet 1/3]

Propos recueillis par Alfred Mignot, Africapresse.Paris

Vous dirigez depuis sa création en 2015 Expertise France, l’Agence française d’expertise technique internationale qui a un statut d’EPIC, établissement public à caractère industriel et commercial. Sur quels principes se fonde votre action, particulièrement en Afrique ?

Sébastien Mosneron Dupin - Le mandat d’agence technique internationale d’Expertise France vise tout d’abord la solidarité, l’aide aux États qui rencontrent des difficultés à développer des politiques publiques qui répondent aux besoins de leur population. Ces pays sont nombreux en Afrique qui représente donc logiquement 80 % de notre activité, dont la moitié en Afrique subsaharienne.

Un deuxième volet de notre mission est d’essayer de gérer les problèmes communs. Réchauffement climatique, insécurité, exclusion… ils sont nombreux ! Parmi ces « communs », selon la terminologie AFD [Agence française de développement, ndlr], il y a aussi l’immense péril des pandémies. Elles naissent dans les maillons faibles des systèmes de santé et ensuite se répandent dans le monde, comme ce fut le cas du Sida et d’Ebola.

Le troisième aspect de notre vocation, c’est de contribuer à stabiliser l’environnement extérieur de la France… Même si certains pays semblent lointains, comme ceux du Sahel, leur déstabilisation produit un impact direct sur notre pays en générant des flux migratoires illégaux d’envergure, en favorisant un terreau propice au développement du terrorisme, et aussi parce que nous avons en France de fortes minorités originaires d’Afrique.

Notre quatrième tâche, enfin, consiste à contribuer à créer hors de France un écosystème favorable aux intérêts français, tant politiques qu’économiques.

En quoi contribuez-vous à créer à l’international un écosystème économique favorable aux intérêts français, ainsi que vous l’évoquez ?

Sébastien Mosneron Dupin - Lorsque nous conseillons un État et éventuellement accompagnons la mise en place de dispositifs institutionnels et réglementaires, nous préconisons un environnement des affaires propice à notre développement commun. Concrètement, par exemple : une fiscalité stable non confiscatoire, c’est-à-dire reposant sur une base large et non pas concentrée sur les droits de douane, une fiscalité équitable, qui traite de la même façon les nationaux et les autres. Cela inclut bien sûr la lutte contre la corruption au travers de la création de corps de contrôle…

C’est ainsi qu’en diffusant notamment un système fiscal à la française, nous permettons à nos entreprises de retrouver des mécanismes qu’elles connaissent déjà en France.
C’est vrai aussi pour les PPP, les partenariats publics-privés à la française [voir notre dossier PPP, ndlr], modèle dont l’efficacité est internationalement reconnue. Nous en promouvons la mise en place législative et réglementaire, et le cas échéant, nous formons des cellules locales pour négocier avec les grands groupes et gérer des concessions de service public. C’est dans l’intérêt des pays partenaires, mais aussi de nos entreprises qui retrouvent, lorsque c’est le cas, un environnement des affaires proche du nôtre…

Vous évoquez les « PPP à la française »… Comment expliquez-vous l’engouement actuel pour ce modus operandi, particulièrement en Afrique ?

Sébastien Mosneron Dupin - Les besoins en infrastructures de l’Afrique sont si considérables que le financement public ne peut y suffire, d’autant que nombre d’États sont déjà très endettés. Les besoins en routes, écoles, systèmes de santé… sont d’autant plus énormes qu’ils devront répondre au doublement de la population, en une seule génération.

Les PPP s’imposent donc comme la solution. Mais encore faut-il une législation protectrice des intérêts des pays africains. C’est pourquoi, j’y reviens, il est très important que nous formions leurs équipes à la négociation des concessions du service public ; afin qu’ils appréhendent l’ensemble des paramètres sur le long terme, et pas simplement les miroirs aux alouettes du court terme…

C’est du gagnant-gagnant, car en même temps nous créons un environnement que les entreprises françaises (re)connaîtront parce qu’il est fondé sur les mêmes principes de concession de service public à la française qui constituent depuis deux siècles la tradition de notre droit public.
Un autre aspect de cette question renvoie aux normes phytosanitaires. Dans ce domaine également, plus on essaimera des normes phytosanitaires inspirées des normes européennes, plus on ouvrira des marchés aux entreprises françaises.

Quel est votre mode opératoire ?

Sébastien Mosneron Dupin - Je me plais à répéter que nous sommes… un porte-avions ! En fait, lorsque nous décrochons un marché qui implique des savoir-faire privés, nous emportons chaque fois que possible avec nous des entreprises du secteur privé, dans un consortium ad hoc public-privé.

Nous essayons toujours d’associer le meilleur des expertises publiques et privées. Avec des entreprises françaises, mais parfois aussi allemandes, marocaines ou autres. Notre idée, c’est que l’on vienne nous chercher parce que nous sommes les meilleurs, et parce que les Français ont une bonne connaissance de l’Afrique.

La genèse de la création d’Expertise France ?

Sébastien Mosneron Dupin - C’est une longue histoire ! Pour faire court, cette création est directement issue des préconisations du rapport publié en novembre 2012 par le sénateur Jacques Berthou et intitulé « Pour une équipe France de l’expertise à l’international – France Expertise Internationale : un établissement à la croisée des chemins ».

On y reprenait des idées avancées dans de précédents rapports, mais avec le constat que des nombreux petits opérateurs existant à l’époque et rattachés à la tutelle de tel ou tel ministère, aucun n’avait la taille critique pour gagner de gros marchés, ni la compétence multisectorielle pour répondre aux besoins des bénéficiaires, ni encore la capacité à professionnaliser leurs métiers.

Néanmoins, ces opérateurs avaient des réseaux d’intimité avec les ministères. Donc, il y avait un vrai intérêt à les regrouper… Après maintes péripéties, notamment l’idée de monter une sorte de confédération qui n’a jamais abouti, le projet est finalement revenu dans les mains du sénateur Berthou qui, lors de la discussion de la Loi de Programmation et d’Orientation sur l’aide au Développement, a pu déposer l’amendement créant « Expertise France » par la fusion de plusieurs des diverses entités préexistantes. Cette réforme a été approuvée par l’ensemble des groupe politiques des deux assemblées.

Votre idée n’aura finalement mis que trois ans pour aboutir, puisque Expertise France a été créée en 2015. De haute lutte… ?

Sébastien Mosneron Dupin - On comptait à l’époque une dizaine d’opérateurs… Pour que cet amendement puisse prospérer, je me fondais sur les orientations du gouvernement pour la rationalisation des structures de l’État. L’efficacité, j’y croyais ! Heureusement, plus des deux tiers des opérateurs m’ont donné raison. Et nous avons démarré « Expertise France » avec les six principaux d’entre eux.

Que représente aujourd’hui, concrètement, l’aboutissement de cette « bonne idée » ?

Sébastien Mosneron Dupin - Aujourd’hui, Expertise France représente 75 % du chiffre d’affaires des opérateurs du service public français de la coopération technique internationale. Nous avons 30 % de croissance par an, nous embauchons de 80 à 100 personnes par an [109 en 2017], des ingénieurs de projet au siège et des experts sur le terrain ! Chaque fois que nous décrochons un marché, nous fédérons des opérateurs français.

Donc, évidemment, c’était une bonne idée, une idée de bon sens. Au lieu de la dispersion de naguère, nous créons maintenant des économies d’échelle, on fait des synergies, on se professionnalise, on se met en face du bailleur européen. Notre croissance est de 70 % depuis la création en 2015.

Cette croissance est fondée sur un effet de boule de neige : plus nous accumulons de références dans un secteur, plus on vient vers nous. Et les précédents bailleurs, satisfaits, reviennent aussi. De ce fait, nous essaimons à l’international une vision française du monde via un certain nombre de concepts comme les cours des comptes, la gestion budgétaire par objectifs, les dispositifs fiscaux…

Quelques exemples de vos interventions ?

Sébastien Mosneron Dupin - En Ouganda, nous avons accompagné la capitale Kampala dans une stratégie de développement durable, avec l’installation d’équipements basse énergie et sobres en carbone, sur l’ensemble des bâtiments publics et sur tout le réseau des écoles. Pour mener à bien cette mission, nous avons sollicité de nombreuses expertises dont les services techniques de la communauté urbaine de Lyon, qui détiennent un savoir-faire très performant en ce domaine.

En Guinée Conakry, avec le projet de réforme fiscale PARAF et le projet RECOR de renforcement des corps de contrôles, nous avons deux briques illustratives de ce que l’on peut faire pour améliorer le climat des affaires par une meilleure fiscalité, en luttant contre la corruption et pour la bonne gestion des données publiques. Très concrètement, pour PARAF nous avons formé le personnel du ministère des Finances, et nous avons aussi cartographié la base fiscale des entreprises de Conakry par une identification via GPS.

À Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo, nous avons établi une première trésorerie de ville, avec la formation des agents à la gestion comptable et budgétaire.

Au Mali comme en Tunisie, nous contribuons au processus de décentralisation de l’État, ce qui me paraît d’ailleurs un enjeu majeur pour l’Afrique.

Dans les zones en grande difficulté, je pense au Sahel et à la Centrafrique, nous sommes en train de développer des projets qui consistent à la fois à renforcer les forces de sécurité intérieures et à restaurer les services publics de base. Notamment par des programmes de désenclavement, avec par exemple la restauration de services publics en région pour rétablir le continuum de l’État. Toujours en Centrafrique, nous avons déjà mené à terme deux missions : la restauration de la trésorerie générale et la formation des douaniers.

Vous préconisez aussi la triangulation des coopérations…

Sébastien Mosneron Dupin - Tout à fait ! En Guinée Conakry, par exemple, pour le projet d’accompagnement de la Cour des comptes, nous avons fait intervenir des membres de la Cour des comptes du Sénégal, que nous avions formés préalablement.

Vous citez des exemples très divers d’intervention… Quel en est le fil conducteur ?

Sébastien Mosneron Dupin - Je dirais restaurer la légitimité, la présence et l’efficacité de l’Etat comme facteur de développement. Cela peut prendre des formes différentes selon les pays : l’amélioration du climat des affaires, le désenclavement, la décentralisation ou la restauration des services publics de base.
Car il est clair que les populations perdues dans des lieux très isolés, au Mali ou ailleurs au Sahel, peuvent s’interroger sur le meilleur partenaire d’avenir : l’État ou les katibas locales de combattants, qui certes apportent la loi Islamique mais aussi l’ordre et de l’argent, fût-il issu des trafics de drogue ou des prises d’otages.
Ces populations sont saisies par une réelle interrogation. Pour nous Occidentaux, le choix de l’État de droit semble aller de soi. Mais ce n’est pas si évident pour certaines populations locales d’Afrique.

Comment faire pour revaloriser le rôle de l’État de droit ?

Sébastien Mosneron Dupin - Le retour de l’État passe par l’offre services publics efficaces. Comme la santé, l’éducation, l’inclusion économique…
Par exemple, au nord du Burkina-Faso qui est vraiment une zone de crise, nous développons un programme de formation adapté à la demande locale afin de favoriser l’éclosion de microentreprises, voire de TPE. Concrètement, il s’agit d’un programme d’intégration professionnelle de base avec des microcrédits ciblés sur les jeunes et les femmes pour développer de l’activité, agricole, artisanale, tout ce qui peut créer du développement économique.

En arrivant, on voit dans le hall d’accueil de vos locaux beaucoup d’affiches à propos du projet PREPARE. Pourquoi mettre en avant celui-ci plutôt qu’un autre ?

Sébastien Mosneron Dupin - Je vous ai cité beaucoup d’exemples de notre action pour le développement économique. Avec PREPARE, il s’agit d’un projet de réponse à une crise sanitaire… et nous en sommes particulièrement fiers !
Rappelez-vous, la pandémie Ebola qui a fait des milliers de morts en Guinée… Beaucoup d’ONG s’y sont ruées pendant l’épidémie, avec d’ailleurs beaucoup de courage, car Ebola est une pathologie très contagieuse et mortelle. Nous, nous sommes arrivés après, en travaillant main dans la main avec les autorités pour qu’elles puissent être autonomes dans la gestion de ce type d’épidémies.

C’est le projet PREPARE. Sa raison d’être se fonde sur un constat d’évidence : lorsqu’on intervient dans l’urgence et en contournant l’État, on peut réussir avec un dispositif spécifique et éphémère, mais on ne renforce pas l’État, voire même on le fragilise.

Ainsi nous avons agi en renforçant le système de santé et en créant, dans les services régionaux, des équipes de réaction rapide aux épidémies, dans le but de les juguler dès leur déclaration. Cela suppose de former les gens, d’établir un réseau de laboratoires et de créer des modules de formation aux pratiques d’hygiène qui permettent de juguler la diffusion de la maladie, qui se fait soit par le toucher, soit par les fluides…

Par ailleurs, on s’est rendu compte qu’il ne suffisait pas simplement de mobiliser des moyens techniques, car un enjeu déterminant est la compréhension des événements par les populations – en Guinée, trois agents de la Croix Rouge ont été tués par des tribus forestières convaincues que c’étaient eux qui véhiculaient la maladie, alors que ces mêmes populations continuaient à enterrer leurs morts en les embrassant.

Nous avons donc sollicité le concours d’anthropologues afin de comprendre comment les messages étaient véhiculés, comment ils étaient compris et quelles étaient les pratiques à la fois admissibles par la population et conformes à la lutte contre la maladie.

À la fin, nous avons réussi ! Je me permets de l’affirmer, car nous en avons une preuve réelle : quelques temps plus tard, il s’est produit une résurgence d’Ebola et de la fièvre jaune, et tout cela a été jugulé en temps et en heure. Et maintenant les Guinéens sont en train de créer une Agence nationale de veille sanitaire pour coordonner les services régionaux. C’est un beau projet.
Nous, nous sommes partis. Eux, ils sont maintenant autonomes, indépendants et souverains. Je trouve que c’est assez beau.

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« Ensemble avec l’AFD, nous ferons plus et mieux ! »

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