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S.E. M. El Hadji Magatte Seye, Ambassadeur du Sénégal à Paris : « La non-représentation de l’Afrique dans les instances économiques mondiales est une injustice qu’il faut réparer »

15 janvier 2023
S.E. M. El Hadji Magatte Seye, Ambassadeur du Sénégal à Paris : « La non-représentation de l'Afrique dans les instances économiques mondiales est une injustice qu'il faut réparer »
Invité d’honneur de la table ronde « Quel nouveau modèle de développement pour l’Afrique ? » dans le cadre du colloque Afrique-Europe organisé par CEDS/HEIP, RPP et l’ASOM* à Paris-La Défense les 9 et 10 janvier, l’Ambassadeur du Sénégal, S. E. M. El Hadji Magatte Seye, a séduit l’auditoire par son franc-parler imagé et sans langue de bois.

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par Alfred MIGNOT, AfricaPresse.Paris (APP)
@alfredmignot | @africa_presse

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L’intitulé de la conférence suggère qu’il y aurait « une » Afrique, pour laquelle la question serait donc de trouver un modèle de développement « nouveau », sous-entendu meilleur que celui d’aujourd’hui… Or, si l’Afrique est en effet généralement perçue sous un angle global et globalisant, « l’Afrique est multiple », argue d’emblée l’ambassadeur du Sénégal. « Il y a des Afriques et beaucoup de différences entre les différents pays. »

Telle que posée, la question « Quel nouveau modèle de développement pour l’Afrique ? » induit aussi l’existence d’un « ancien » modèle. Selon S.E. M. El Hadji Magatte Seye, cet ancien modèle toujours en vigueur se caractérise par une « économie extravertie héritée de la colonisation, avec par exemple la promotion de l’agriculture de rente, donc destinée à l’exportation (i. e. arachide, cacao…) ce qui a forcément conduit nos pays à délaisser la culture céréalière, mettant ainsi en péril notre sécurité alimentaire. »

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Des handicaps qui perdurent

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Une autre composante essentielle de ce modèle, estime l’ambassadeur, a été la mission confiée à l’Éducation nationale des différents pays de former une élite plus administrative qu’économique, dans le but de bâtir et de gouverner de jeunes États – et corollairement, le long désintérêt pour la formation professionnelle, fait heureusement en train de changer.
Aussi, soixante ans après les indépendances, un handicap récurrent des économies africaines tient encore à leur fort caractère informel, jusqu’à 80 % dans plusieurs pays. « Donc la pression fiscale est très faible, et les recettes des États essentiellement tirées des droits de douane. Si un pays vous dit que ses recettes douanières sont très importantes, il sous-entend que le pays a beaucoup importé. Autrement dit : on ne produit rien, ou presque, sur place. »

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« Détacher les pieds de l’Afrique »

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Ce modèle a atteint ses limites, estime l’ambassadeur du Sénégal. « Mais quand on me parle de “nouveau modèle”, cela me renvoie de manière caricaturale à l’image d’un homme dont a attaché les pieds et auquel on demande : “Monsieur, quelle est votre stratégie pour franchir l’obstacle ? ”[Rires dans la salle]. Sa première réaction, c’est bien sûr de dire : “Détachez-moi d’abord les pieds !” C’est cela, la situation de l’Afrique aujourd’hui. »

Détacher les pieds de l’Afrique, c’est d’abord assumer le devoir de la gouvernance mondiale économique et financière, explique S.E. M. El Hadji Magatte Seye, soulignant qu’aujourd’hui, l’Afrique dans sa globalité porte ce message au niveau de la sphère gouvernementale et économique mondiale. L’intégration de l’Afrique au sein du G20, dit-il, est un plaidoyer affirmant que l’on ne peut pas – plus – admettre qu’un un continent de 30 millions de kilomètres carrés et 1,5 milliard d’habitants – et qui, avec son PIB global, représente la cinquième puissance mondiale –, soit absent de la sphère des décisions économiques mondiales. « Pour nous, c’est une injustice qu’il faut corriger », affirme-t-il.

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Financer les infrastructures

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Aujourd’hui, l’Afrique est un continent où tout est à construire : routes, autoroutes, hôpitaux, écoles, aéroports, barrages, etc. Mais malgré les avancées de la conférence de Paris de mai 2021, la question du financement des économies africaines reste prégnante, considère l’ambassadeur. Il prend en exemple la question de l’énergie : « Le potentiel hydroélectrique de l’Afrique est énorme, il pourrait régler tous les problèmes énergétiques auxquels le Continent est confronté. Mais allez demander un financement pour un barrage. On vous dit : “Oui… mais vous savez, avec les règles de l’OCDE, on peut vous faire le financement sur dix ans, pas plus.” Or un barrage hydroélectrique, c’est une durée de vie de cent ans au moins. Comment peut-on imaginer de financer une telle infrastructure sur une durée de dix ans ? »

Aujourd’hui, pour permettre à l’Afrique de faire le bond en avant qui lui est nécessaire, il faut lui détacher les pieds, c’est-à-dire revoir ces règles mondiales de gouvernance économique et financière, estime l’ambassadeur du Sénégal, considérant aussi que l’on ne peut pas parler de développement africain si l’on ne crée pas une dynamique interafricaine de commerce , si on ne permet pas l’interconnexion au niveau de l’Afrique – notamment par le rail, dont un projet de déploiement a été abandonné, plusieurs pays l’ayant trouvé trop onéreux.

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Excellentes relations avec la France

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« Nous avons d’excellentes relations avec la France. Mais aujourd’hui, force est de constater qu’il y a un bouillonnement. Il ne rejette pas forcément la relation, mais la remet en question. » Évoquant le « passé commun, depuis la traite négrière, puis la colonisation, etc., l’ambassadeur relève que – nés comme lui-même bien après la colonisation, dans un Sénégal indépendant –, beaucoup de jeunes Africains ne portent pas le fardeau de la colonisation. Cependant, aujourd’hui, lorsqu’ils ont devant eux un interlocuteur qui leur dit, même en toute bonne foi : "Vous savez, moi j’aime l’Afrique, je veux aider l’Afrique", ils se disent : “Mais c’est quoi ce discours ?”. En vérité, ce discours charrie le legs du paternalisme de la soi-disant “mission de civilisation”. C’est aujourd’hui le discours qu’il faut laisser de côté ! Ce sont les partenariats d’égal à égal que nous voulons développer. Si l’on veut bien détacher les pieds de l’Afrique ! [Applaudissements de l’auditoire]

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 ASOM : Académie des Sciences d’Outre-mer
https://www.academieoutremer.fr/

 HEIP : Hautes Études Internationales et Politiques
https://www.heip.fr/

 CEDS : Centre d’Études Diplomatiques & Stratégiques
https://www.ceds.fr/

 RPP : Revue politique et parlementaire
https://www.revuepolitique.fr/

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DE NOTRE CMAAP 6 du 9 novembre 2022

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Une vue de la salle pendant la conférence. © Frederic Reglain

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