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Roukiatou Hampâté Bâ, en visite à Paris : « Que les Africains cessent d’aller chercher leurs modèles hors de chez eux ! »

24 octobre 2021
Roukiatou Hampâté Bâ, en visite à Paris : « Que les Africains cessent d'aller chercher leurs modèles hors de chez eux ! »
Fille cadette d’Amadou Hampâté Bâ et présidente de la Fondation éponyme, Roukiatou participait la semaine passée au Colloque scientifique et culturel organisé par l’Université d’Evry Paris Saclay sur l’héritage de ce grand intellectuel, écrivain et diplomate africain. « Tous les Africains lui sont redevables », assure-t-elle. Entretien.

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Propos recueillis par Bruno FANUCCHI pour AfricaPresse.Paris (APP)
@africa_presse

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APP – Quelle est aujourd’hui l’actualité d’Amadou Hampâté Bâ ? Quel héritage a-t-il laissé à l’Afrique ?

Roukiatou Hampâté Bâ – Mon père nous a quittés le 15 mai 1991 à Abidjan et nous sommes dans le trentenaire de sa disparition. En raison de l’importance des sources orales authentiques puisées et recueillies par Amadou Hampâté Bâ, l’accueil de ces messages par nos contemporains témoigne de l’actualité et de la pertinence des idées qu’il a toujours défendues et des valeurs essentielles d’humanisme, de respect de la différence, de l’esprit d’ouverture et de la passion du savoir.

Pour construire l’avenir, il nous disait qu’il faut se fonder sur le socle culturel du passé et estimait que les idées et les valeurs positives, essentiellement humanistes, doivent être préservées, revivifiées et transmises. Tous les Africains sont donc redevables au génie d’Hampâté Bâ.

APP – L’Université d’Evry Paris Saclay vient de lui consacrer quatre journées. Racontez-nous ce grand moment...

Roukiatou Hampâté Bâ – Ce fut une très belle initiative de l’Université d’Evry, organisée dans le prolongement de la relation séculaire d’amitié qui unit Hampâté Bâ à la France, qu’il a découverte grâce à une bourse de l’Unesco. Une relation faite d’amour profond, de respect mutuel et de reconnaissance.

En cette année marquant les trente ans de sa disparition, cet hommage est le prolongement de cette relation exceptionnelle, qui s’est matérialisée à travers différentes formes d’expression et un programme très chargé.

Nous avons eu droit à une exposition, conçue par des étudiants, retraçant son parcours personnel et ses démarches philosophiques, et un colloque scientifique et culturel de haute tenue avec les interventions notamment de Tierno Monémenbo, écrivain guinéen, prix Renaudot 2008, Mme Camille Lefebvre, chargée de recherche à l’Institut des mondes africains, et Cheikh M’Backé Diop, chercheur au CEA et fils du célèbre Cheikh Anta Diop.

Cet exercice de dialogue et l’hommage de la jeunesse avaient, pour moi, un caractère intimiste et très touchant. J’en remercie Patrick Curmi, président de l’Université d’Evry, et le Dr Abdoul Hamet Ba, directeur du Département Histoire et maître d’œuvre de ces Journées.

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« Amadou Hampâté Bâ
aimait la France et sa langue »

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APP – Votre père, qui se disait « anti-colonialiste », n’a cependant jamais éprouvé aucune rancœur à l’encontre de la France, bien au contraire... Comment l’expliquez-vous ?

Roukiatou Hampâté Bâ – Mon père disait que son cœur est trop petit pour faire la moindre place à la haine qui détruit. C’est l’amour qui présidait à tous les actes qu’il posait, à toutes les pensées qu’il développait. Hampâté Bâ disait aimer la France !

Il estimait que la colonisation s’est bâtie au détriment des cultures africaines et parfois avec des violences physiques ou psychologiques et tous leurs impacts, il dénonçait le principe même de la colonisation, mais – en même temps – il n’avait aucun ressentiment envers la France.

Pour lui, la colonisation est un fait et un fait révolu. Si on doit aujourd’hui l’évoquer au risque d’accentuer encore des blessures et d’inciter ceux qui la dénoncent à être aussi haineux, c’est une démarche regrettable. L’abus, les excès, la cruauté ou la bêtise ne sont pas l’apanage d’un peuple et il faut donc éviter de frapper toute une communauté, en rendant ses membres responsables des maux que d’autres ont commis dans le passé.

Beaucoup de Français sont aujourd’hui anti-colonialistes, mais serait-il juste de leur faire payer, d’en vouloir à la France et à tous les Français pour les erreurs du passé ? En oubliant certains acquis de la colonisation, notamment la langue française...

APP – Cette langue française qu’il qualifiait même de trésor inestimable pour l’Afrique...

Roukiatou Hampâté Bâ – Dans sa démarche, Hampâté Bâ nous montre que l’on peut être très bien enraciné dans sa culture et s’ouvrir aux autres, savoir faire la part des choses : reconnaître des acquis positifs de la colonisation et s’en servir pour élaborer notre pensée, pouvoir dialoguer avec le monde au lieu d’être en permanence dans les récriminations et frustrations qui ne changeront rien à la donne. Ne vaut-il pas mieux tirer partie de cette très belle langue française ?

Francophone et francophile, Hampâté Bâ est l’incarnation même de la francophonie parce qu’il a été le premier dans l’Afrique francophone à écrire l’Histoire de l’Afrique par un Africain, par le truchement précisément de la langue française, qui lui aura permis de rendre compte de sa culture et de la rendre ainsi plus accessible aux Africains eux-mêmes qui ont cette langue en partage, mais aussi bien sûr à d’autres communautés.

Cette langue française lui a aussi donné les clés pour enrichir sa sagesse, qu’il a construite au travers de la connaissance et des savoirs d’autres cultures. Il a pu s’abreuver des grands philosophes et écrivains français et, aujourd’hui, il nous laisse un héritage : ce grand patrimoine écrit d’une vingtaine d’ œuvres publiées, mais aussi un fond d’archives d’une valeur scientifique inestimable qu’il lègue à la culture africaine, à toute l’Afrique, et à l’universalisme.

Roukiatou HAMPÂTÉ BÂ, Présidente de la Fondation Amadou Hampâté Bâ, entourée (de gauche à droite) de Cheikh M’Backé Diop, du Dr Abdoul Hameth Ba et du Président de l’Université d’Evry, Patrick Curmi. © BF

APP – Au sein de l’Unesco, où il fut ambassadeur avant de représenter le Mali en Côte d’Ivoire, il s’est toujours battu pour le « dialogue des cultures » et que l’on ne traite pas l’Afrique d’« illettrée » ?

Roukiatou Hampâté Bâ – C’est parfaitement exact. En arrivant à l’Unesco, il a permis de mieux faire apprécier la culture africaine, en rappelant toujours que lui-même ne doit pas à la France sa culture traditionnelle, mais le précieux outil qui lui permet de mettre noir sur blanc une pensée qui n’existait jusqu’alors qu’à l’état oral. Et quand il prenait la parole au sein de l’Unesco, il disait qu’il avait comme bibliographies ses maximes, ses proverbes, ses contes... Et, croyez moi, il arrivait ainsi à désamorcer de graves crises par le seul biais de ces sagesses africaines !

Directeur Général de l’Unesco, Frederico Mayor lui-même disait, lors de son décès en 1991, qu’ « Amadou HB aura permis une meilleure appréciation des cultures africaines par ses recherches et ses prises de paroles ». Car tous auront vu l’impact et, de manière concrète, ce que cela pouvait apporter.

Son second apport, c’est d’avoir démontré que ce n’est pas parce que ces sagesses africaines n’étaient pas transcrites qu’elles n’avaient pas de valeur. Il a ainsi attiré l’attention sur tout le patrimoine immatériel de l’Afrique. Et sa fameuse phrase lancée à la tribune de l’Unesco fut comme une révolution copernicienne car elle a donné lieu à de grands projets pour le sauvetage des manuscrits des traditions orales : « En Afrique, chaque fois qu’un vieillard meurt, c’est une bibliothèque inexploitée qui brûle ! »

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« La colonisation est un fait,
mais un fait révolu »

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APP – Comment concevez-vous la nouvelle relation nécessaire entre la France et l’Afrique ?

Roukiatou Hampâté Bâ – Ces relations doivent être des relations d’amitié, de respect mutuel et de partage de toutes les valeurs positives que l’on vient d’évoquer.
Hampâté Bâ disait que « celui qui parle ta langue est ton demi-frère, même si tu lui refuses cette réalité et que lui-même s’en défende ». Un sentiment caché continuera et nous reliera toujours à la France. Il y a avec la France une relation séculaire, intime, profonde, et on gagnerait tous – Français comme Africains – à capitaliser sur les acquis car on a trop vite tendance en Afrique à reporter la cause de nos malheurs sur les autres, en répétant inlassablement : « la colonisation nous a fait ci, nous a fait ça... »

D’accord, il y a eu des abus, des choses pas belles et certaines réalités que l’on ne peut oublier. Il y a un respect et un devoir de mémoire, certes, mais cette réalité est passée. La colonisation est révolue. Nous sommes aujourd’hui des pays indépendants et que faisons-nous de ces indépendances-là ? Revalorisons-nous assez notre propre culture ? Nos dirigeants ont-ils vraiment une vision pour le Continent ? Rester nous-mêmes, voilà le véritable défi qui se pose à nous autres Africains.
Que les Africains cessent d’aller chercher leurs modèles hors de chez eux !

Quand on vient calquer par exemple le socialisme à la russe au Mali, comme certains de nos dirigeants l’ont fait, cela ne correspond pas à notre humanisme africain et aux réalités culturelles de notre pays. Hampâté Bâ trouvait aberrant qu’aucun État africain ne se fonde sur sa culture alors qu’il faudrait avoir nous-mêmes nos bases avant d’emprunter aux autres...

APP – Pourquoi votre Fondation est-elle basée à Abidjan et non à Bamako ?

Roukiatou Hampâté Bâ – Lui-même avait voulu dès 1977 créer au Mali une Fondation pour la sauvegarde et l’actualisation des traditions orales, mais il ne reçut jamais l’agrément des autorités maliennes.

Créée en 2002 à Abidjan, la Fondation est donc le reflet d’une volonté politique de la Côte d’Ivoire de s’engager dans la continuité de l’œuvre, qui reste inachevée, d’Hampâté Bâ. Notre Fondation a recueilli plus de ses 400 conférences prononcées à travers le monde et cela représente un trésor culturel inestimable. Grâce à Maurice Bandaman, alors ministre ivoirien de la Culture et de la Francophonie et aujourd’hui ambassadeur de Côte d’Ivoire en France, elle a été reconnue en 2013 comme une « association d’utilité publique ». Son but est de ne pas laisser ce patrimoine immense tomber en désuétude.

Hampâté Bâ avait, de surcroît, élaboré dès 1966 par le biais de la langue française et des alphabets français et latin un alphabet qui pourrait transcrire six langues du Mali et cet alphabet a été reconnu par l’Unesco. Il voulait vulgariser la version arabe car il estimait que les gens lisaient parfois le Coran sans en connaître la portée. Toujours dans son souci de lutter contre l’obscurantisme, il a traduit lui-même le Coran en peul. Si cette Fondation, telle qu’initialement conçue, existait aujourd’hui, je suis sûre que l’on n’aurait pas recruté aussi facilement des djihadistes au Sahel.

APP – Un dernier mot précisément sur le Mali et la difficile « transition politique » que votre pays connaît actuellement ?

Roukiatou Hampâté Bâ – Le Mali est le pays de naissance d’Amadou Hampâté Bâ : il est né Malien et est mort Malien, même s’il se considérait comme un citoyen du monde. Je pense personnellement qu’il a laissé un patrimoine pétri de valeurs et ces valeurs peuvent aujourd’hui vraiment aider le Mali à se reconstruire, à se réconcilier avec lui-même et avec ses partenaires pour que la paix puisse émerger. Car la solution militaire à elle-seule ne parviendra à rien du tout.
Il rappelait à tous que les armes matérielles ne peuvent détruire que la matière et non le principe du Mal, qui renaît toujours plus vigoureux de ses cendres. Et que le Mal ne peut être combattu que par les armes du bien et de l’amour.

……

EN SAVOIR PLUS :
www.fondationamadouhampateba.org

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