Révolution du jasmin et danger islamiste en Méditerranée : psyché, fantasmes et réalités
Le Press Club de France accueillait mercredi 9 février 2011 une conférence sur un thème d’actualité, « le syndrome tunisien va-t-il balayer le monde arabe ? ». Mais, de fait, les interventions se focalisèrent en grande part sur un autre thème, qui préoccupe beaucoup d’esprits sur les deux rives de la Méditerranée : le danger d’une dérive islamiste dans les pays touchés par le « tunisami »…
Photo ci-dessus : de gauche à droite, les orateurs invités : Taoufik Mjaied journaliste, France 24 ; Mme Randa Kassis, chercheuse anthropologue et journaliste syrienne ; Alexandre del Valle, universistaire, essayiste, animateur de la conférence ; Mezri Haddad, universitaire, philosophe, ambassadeur de la Tunisie auprès de l’UNesco ; Ahmed Youssef, écrivain, journaliste, correspondant à Paris du quotidien égyptien Al Ahram. © LeJMED.fr - février 2011
Première intervenante, Mme Randa Kassis, chercheuse anthropologue et journaliste syrienne, livra à l’auditoire son analyse de la psyché collective du monde musulman : « Il était illusoire de croire que les régimes despotes et corrompus constituaient un rempart à l’islamisme… Au contraire, le vide intellectuel de ces régimes et leur diabolisation des intellectuels ont conduit ceux-ci à se confiner dans un ghetto élitiste, tandis que les sociétés souffrent de la misère et de la corruption. De fait, les régimes despotiques ont ainsi fait le lit des Islamistes, qui se sont beaucoup investis dans l’action sociale ».
« Abandonnés de tous, aimés de Dieu… »
C’est ainsi que, au fil des ans et des décennies, une sorte « d’arabo-islamisme » a remplacé dans l’esprit collectif le national-panarabisme car, estime Randa Kassis, « chaque individu musulman porte en lui l’histoire des échecs du monde arabe. Dans ces sociétés en quête identitaire, l’islamisme vient cristalliser toutes les déceptions et les rages contre les régimes. Se considérant abandonné de tous, trahis, nombre de musulmans se sont ainsi de plus en plus tournés vers Dieu, avec l’illusion d’en être les bien-aimés… ».
Et le double langage de l’Occident a certes aussi contribué à alimenter ce phénomène, l’Occident ayant amplement trahi ses valeurs proclamées en s’accommodant jusqu’ici des régimes despotiques, considère encore Randa Kassis, qui conclut en estimant que « l’Occident doit prendre des risques et soutenir ces mouvements qui s’expriment aujourd’hui. Mais, en restant vigilant et fidèle à ses propres valeurs, car il ne faut pas permettre à l’islamisme de déborder sur les pays de liberté ».
« L’islamisme est une idéologie théocratique,
donc par essence totalitaire »
Pour Mezri Haddad, ambassadeur de la Tunisie à l’Unesco – il a démissionné le matin de la fuite de Ben Ali – le risque islamiste n’est pas à exclure en Tunisie. Selon lui, l’affichage du parti islamiste tunisien Ennadha, consistant à dire qu’il ne représentera pas de candidat à l’élection présidentielle que l’actuel gouvernement provisoire doit organiser dans les six mois, peut aussi être interprétée comme une posture « à l’iranienne », car Khomeiny, lui non plus, ne voulut point être président, mais « Guide suprême », donc au-dessus de président élu…
« L’islamisme est une idéologie théocratique, donc par essence totalitaire », insista Mezri Haddad, également connu pour être philosophe et auteur de plusieurs ouvrages sur la question des fondements philosophiques du politique.
De même, évoquant le « modèle turc d’un islamisme [politique] modéré » Mezri Haddad considère que les conditions de son avènement en Tunisie ne lui semblent pas réunies. En effet, l’islamisme modéré turc se déploie dans un pays où, depuis Ataturk, une forte tradition de sécularisation du politique s’est établie. Et, si l’on veut vraiment essayer de se prémunir autant que possible d’un dérive islamiste en Tunisie, il faudrait déjà commencer par établir « une séparation du politique et du religieux dans la Constitution ! », déclare avec fermeté Mezri Haddad, qui revendique par ailleurs « avoir été le premier opposant, dès 1989 », au régime du président tunisien déchu.
Apportant à leur tour leur témoignage, les journalistes Ahmed Youssef, (correspondant à Paris du quotidien égyptien Al Ahram) et Taoufik Mjaied (France 24) ont considéré que ces événements « qui secouent un monde arabe sclérosé sont un miracle, un cadeau du ciel « (Ahmed Youssef), tandis que Taoufik Mjaied estime que « le discours religieux ne peut pas produire un programme politique ». De ce fait, il se déclare « pas si inquiet »… tandis que Ahmed Youssef pense qu’en Égypte « on aura un changement du régime, mais pas de régime ». Et ce changement, estime-t-il, verra les Islamistes entrer dans le jeu politique et les cercles du pouvoir égyptiens…