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Les Rencontres AFRICA 2017 à Tunis

Tarak Cherif (Pdt Conect) : « Les entreprises africaines sont en souffrance de financement »

15 octobre 2017
Tarak Cherif (Pdt Conect) : « Les entreprises africaines sont en souffrance de financement »
Dans le cadre des Rencontres Africa 2017, la conférence franco-africaine de Tunis dédiée au financement des entreprises s’est appuyée sur le constat des carences locales. Mais la trame était largement valable pour tout le Continent, de même que les outils de financement et d’accompagnement évoqués par les représentantes de l’AFD-Proparco et de Bpifrance.

Un article d’Alfred Mignot, à Tunis-Gammarth

« L’Afrique est un continent trop sous-endetté ! » m’avait lancé un jour avec un zeste de provocation Lionel Zinzou, ancien président de PAI Partners et PM du Bénin, aujourd’hui coprésident d’AfricaFrance. En fait, il précisa aussitôt, lors de cette entrevue, qu’il faisait allusion au trop faible crédit accordé aux entreprises et aux ménages, tandis que la plupart des États sont largement surendettés. C’était il y a deux ans, et la situation n’a évidemment guère changé. Aussi, la conférence dédiée à cette problématique du financement des entreprises africaines, à Tunis vendredi 6 octobre dans le cadre des Rencontres Africa 2017, gardait toute sa pertinence.

Monzer Ghazali, DG de l’UIB :
un constat « relativement passable » en Tunisie

Selon Monzer Ghazali, DG de la banque UIB – filiale de la Société Générale, 4e banque privée tunisienne par son PNB, avec un taux de croissance annuel autour de 10 % – la question est : comment mieux accompagner des opérateurs qui ont du potentiel mais beaucoup de difficultés à accéder au financement, ce qui est le cas aujourd’hui d’au moins 40 % des entreprises africaines dont, parmi elles, 30 % de « grandes » ?

Le secteur privé tunisien, en particulier, est-il suffisamment soutenu par le système bancaire ? Pour Monzer Ghazali, l’accès au financement est « relativement passable, mais des rigidités encore importantes perdurent. Et si le taux de prêt moyen aux PME tourne autour de 2-2,5 % sur le marché tunisien, les meilleures signatures peuvent se financer encore moins cher. Y compris les banques, qui se (re)financement moins cher que l’État…
Mais cet exemple tunisien est sans doute peu représentatif de l’Afrique, où l’argent est très cher »
, commente le DG de UIB, qui pouvait par ailleurs se féliciter d’avoir signé la veille, avec l’Agence Française de Développement (AFD) une ligne de crédit Sunref, dans le cadre de la mise en œuvre de sa stratégie 2017-2020 à destination des entreprises. Cette ligne de 15 millions d’euros (soit 44 millions de dinars tunisiens) est destinée au financement des investissements des entreprises tunisiennes en matière de maîtrise de l’énergie et de réduction de la pollution.

« Alors que la facilité serait d’aller vers les seules obligations publiques, et le financement de grandes sociétés, nous considérons, à l’UIB, que notre premier métier est le financement de l’économie », affirme encore Monzer Ghazali. Mais il souligne aussi un frein important venant des entreprises elles-mêmes : leur fréquente incapacité à fournir des réponses comptables certifiées et viables pour instruire leur dossier.

Tarak Cherif, Président de Conect,
dresse un constant accablant

Patron du groupe familial tunisien Alliance, actif dans de nombreux secteurs et figurant parmi les premiers exportateurs du pays, Tarak Cherif est aussi Président de la Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie (Conect), qu’il a lui-même créée en 2011.

Si le dirigeant affirme ne rencontrer aucun problème de financement en tant que groupe important, le président de Conect dresse en revanche un constat accablant : « En Tunisie comme ailleurs en Afrique, les TPE/PME sont en souffrance de financement. Les banques tunisiennes, explique-t-il, sont bien plus tentées par les grands groupes, les entreprises publiques et le crédit à la consommation, peu rémunérateur mais à risque quasi nul. Pour les entreprises, c’est bien plus compliqué au plan administratif et c’est dommage, car il y a tellement à faire. »

Et d’insister : « Les problèmes de garantie, de gouvernance, de transparence… tout se tient. C’est grave, l’accessibilité est lente et rare. Les gens attendent une réponse durant des mois. ll y a des problèmes administratifs au niveau de la banque centrale. C’est la triste réalité tunisienne, on rêve de la situation française où maintenant les banques s’engagent à une réponse dans les 48 heures. Si on pouvait dupliquer ça en Tunisie !… Naguère encore, la Tunisie était en avance avec ses PME. Mais si elles n’arrivent pas à élargir leur marché, à exporter, c’est grave » , déplore Tarak Cherif.

Myriam Bouslama : l’AFD pour le soutien aux banques,
Proparco pour les entreprises

Myriam Bouslama, responsable de la division Institutions financières de l’Agence française de développement (AFD), avance une analyse à peine plus nuancée de la situation. Tout en partageant le constat global de carence, elle relève qu’en Afrique les TPE survivent en s’autofinançant. « C’est quand il faut financer la croissance et le développement que les gros problèmes surviennent, estime-elle. Or, 86 % des entreprises tunisiennes, par exemple, sont des TPE/PME autour desquelles se cristallisent les problématiques de l’emploi… »

Les solutions ? Myriam Bouslama fait observer que depuis environ quinze ans, l’AFD cherche à faire se rapprocher la demande et l’offre de financement : « Actuellement, notre activité se concrétise surtout par le soutien aux banques. Nous les encourageons à s’adresser plus aux PME, avec des prêts à long terme, des maturités étudiées en détail. Nous les accompagnons aussi avec un appui technique grâce à des fonds européens, nous les aidons à diffuser la culture du risque de crédit, à s’approprier les outils de gestion d’analyse fine, des dispositifs de partages de risques… »

Cette action, déployée sur l’ensemble du Continent, « touche quelque 35 000 PME sur les trois dernières années. Mais des millions de TPE/PME africaines n’ont pas d’accès au crédit », conclut Myriam Bouslama, évoquant une récente étude de la Banque mondiale, selon laquelle les pays en développement totalisent quelque 200 à 250 millions d’entreprises, économies formelle et informelle cumulées.

Évoquant l’action de Proparco, la filiale de l’AFD dédiée au secteur privé, Myriam Bouslama a précisé que Proparco soutient directement les PME africaines, de la dette au financement. L’institution contribue aussi à l’éducation financière des chefs d’entreprise, afin que leur demande de financement soit mieux structurée, et a prévu de mettre des fonds à disposition pour soutenir directement les porteurs de projet, notamment pour l’établissement des plans d’affaires, etc. Grégory Clemente, le DG de Proparco, a par ailleurs annoncé récemment vouloir mobiliser 2,7 milliards d’euros pour l’Afrique, sur la période 2017-2020.

Isabelle Bébéar : Bpifrance renforce ses outils pour l’Afrique

Directrice de l’International et de l’Université de Bpifrance, Isabelle Bébéar rappelle qu’avec l’Europe, l’Afrique est l’un des deux continents prioritaires de la banque publique. Bas armé de l’État français pour financer l’économie, son action hors Hexagone vise à aider les entreprises françaises à s’internationaliser.
Pour cela, l’institution a mis en place une large palette d’outils de prêts, d’investissements, de garanties, à quoi s’ajoute, depuis janvier 2017, la mission de garantie export précédemment assumée par la Coface pour le compte de l’État depuis sa création, en 1946.

En janvier 2017 également, un nouveau véhicule est venu s’ajouter au dispositif préexistant, le Fonds Franco-Africain, lancé par Bpifrance et Africinvest. Ce fonds, transfrontalier entre le continent africain et la France, d’un montant de 77 millions d’euros, a pour objectif d’accélérer la croissance de PME innovantes africaines et françaises, ayant des projets de développement sur les deux continents. « Nous investissons dans des fonds africains, et ce sont eux qui choisissent où investir », souligne Isabelle Bébéar.

Autre outil, le Crédit export, créé en 2015 : « Nous prêtons aux entreprises qui achètent des biens ou services produits en France – de 1 à 75 millions euros. L’Afrique totalise actuellement 50 % de ces prêts, sur un total de 210 millions d’euros en cours », précise-t-elle.

Mais la directrice de l’International et des Universités de la banque publique insiste aussi sur l’aspect non financier de l’action déployée par l’institution : « Nous avons la volonté de créer un réseau d’entreprises, car le besoin de trouver un partenaire fiable à l’international est fortement ressenti par les entrepreneurs. Nous voulons ainsi les accompagner, les aider à surmonter leur appréhension.
Par cet effort de réseautage, nous visons ainsi deux objectifs simultanés : projeter les entreprises françaises à l’international ; attirer en France les entreprises étrangères »
, conclut sabelle Bébéar, non sans évoquer l’activité de la plateforme pédagogique, gracieusement accessible aux chefs d’entreprises francophones, www.bpifrance-universite.fr/. « Une plate-forme neutre, sans autopromotion », insiste-t-elle.

Financement, accompagnement… et toujours l’urgence

Au terme de cette conférence des Rencontres Africa 2017 de Tunis, il apparaît ainsi clairement que l’approche française de partenariat entrepreneurial avec l’Afrique conjugue financement et accompagnement. Sa contribution restera importante, voire progressera encore, le président Emmanuel Macron ayant réaffirmé la résolution énoncée au Sommet de Bamako, en janvier 2017, selon laquelle la France réservera à l’Afrique la moitié de ses engagements internationaux, pour la période 2017-2020.

Et si l’étude récente réalisée pour Classe Export par le cabinet d’analyse économique Trendeo estime à plus de 280 milliards de dollars les investissements en cours en Afrique, il n’en reste pas moins que les économies africaines sont très « insuffisamment financées », comme le déclarait encore Lionel Zinsou lors du récent colloque de l’Institut du monde arabe (IMA, Paris), dont nous avons abondamment rendu compte sur notre site, en lui consacrant un dossier (à lire ICI).

À Paris comme à Tunis, le constat d’insuffisance fut donc identique. Et les contributions mises en œuvre par les uns et les autres, pour n’être point négligeables, apparaissent toutes encore insuffisantes, même en les cumulant. Et l’urgence est toujours prégnante.

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