Radhi Meddeb : « Le désenchantement du jasmin »… mais la possibilité d’un avenir meilleur pour la Tunisie
Ce livre volumineux de 568 pages se présente comme un recueil rassemblant des articles parus entre le 19 janvier 2011 (dans les premiers jours de la révolution du Jasmin) et le 14 janvier 2018. Il se structure autour de cinq grandes thématiques : l’économie (63 textes), la politique (44), les relations internationales (20), la fiscalité (2) et la société (2)… et l’on observe que nombre de ses anticipations se sont vérifiées dans « la vraie vie ».
Comme l’écrit notre confrère leaders.com.tn, Radhi Meddeb est constamment sollicité par les politiques pour rallier leurs partis, accepter un poste ministériel, ou une charge de conseiller. Mais cet ingénieur (X- Mines), 63 ans, fondateur et président de Comète Engineering, préfère rester à distance de l’action politique et gouvernementale.
En marge de ses propres activités professionnelles, en Tunisie, en Europe et en France, il a siégé au conseil d’administration de la Banque centrale de Tunisie et continue à présider le conseil d’administration de la Banque Tuniso-Koweitienne (BTK). Quant à son engagement militant, il le réserve à la société civile, avec l’association Action et Développement solidaire, dont il est aussi le président fondateur.
À ce jour, son dernier livre, Le désenchantement du jasmin, n’est disponible qu’en Tunisie (Imp. Simpact, avril 2018, 568 p. 30 DT). En attendant qu’il traverse la Méditerranée, voici l’avant-propos que l’auteur – merci à lui ! – nous autorise à reproduire.
« Le désenchantement du jasmin »
Avant-propos : un avenir meilleur est possible !
par Radhi Meddeb
Le soulèvement des jeunes et des régions intérieures en Tunisie, culminant à partir de décembre 2010 vers la chute de l’ancien régime, et baptisé prosaïquement « révolution du jasmin », a été porteur d’un immense espoir, en Tunisie, dans le monde arabe et ailleurs ; un espoir de plus de liberté, de plus de dignité et surtout de plus d’inclusion pour le plus grand nombre.
L’euphorie du moment, renforcée par l’enthousiasme des foules mais aussi des élites, nous avait fait prétendre dès le 14 janvier 2011 à un avenir meilleur, possible à moyen terme et tout à fait à notre portée.
Pendant longtemps, l’ancien régime semblait indéboulonnable. Il écrasait de tout son poids le peuple et empêchait toute velléité de critique ou d’opposition. En contrepartie, il offrait à ses affidés, de confortables situations de rente et de privilèges dans la proximité du pouvoir.
L’improbable conjonction des laissés-pour-compte,
des intellectuels et de la petite bourgeoisie urbaine
La révolution était la conjonction de deux lames de fond qui n’avaient a priori pas de raison objective de se conjuguer, de se fédérer et de faire masse.
Il s’est d’abord agi, de la levée, dès la mi-décembre 2010, de tous les laissés-pour-compte d’une mondialisation peu heureuse, des désabusés de la croissance, de ceux qui voyaient quotidiennement passer les trains des privilèges et de l’opulence mais étaient interdits d’y monter. Leur exigence forte avait pour nom la dignité. Ils réclamaient de meilleures conditions sociales et de plus grandes opportunités économiques.
À cette première lame de fond, s’est ajoutée, dès la fin du mois de décembre, une nouvelle vague portée par les intellectuels et la petite bourgeoisie des villes. Leur exigence, tout aussi forte, avait pour nom la liberté. Ils réclamaient plus de libertés d’expression, d’opinion, de réunion, de manifestation et de conscience.
La rencontre de ces deux vagues fortes avait enfanté le Tsunami du 14 janvier 2011, et ce qu’il est désormais commun de qualifier de « la Révolution de la liberté et de la dignité ».
Ces deux catégories d’exigences ne se confondent pas pour autant. Elles traduisent des rêves différents, sont afférentes à des populations différentes.
Le cheminement qui s’en est suivi traduit cette différence et cette ambiguïté.
Les politiques « en déconnexion totale
des exigences des jeunes »
Les partis politiques n’ont nullement été partie prenante de la Révolution. Cela ne les a pas empêchés de s’approprier la suite des évènements. Plus sensibles à la liberté qu’à la dignité, certains plus soucieux de satisfactions intellectuelles que de réalités économiques et sociales mais aussi plus enclins à des discours qu’à la rude tâche d’infléchir la réalité, ils se sont fixés comme objectif de réécrire la Constitution, de reconstruire les institutions, en déconnexion totale des exigences des jeunes, des exclus et des régions intérieures. La quête du pouvoir et son instrumentalisation au service d’intérêts personnels ou d’idéologies surannées ont fini par obscurcir le paysage.
Le monde a salué cet élan, a clamé haut et fort son soutien moral à ce peuple épris de liberté, adhérant spontanément et sans contrainte extérieure au corpus des valeurs universelles et des droits humains.
La Tunisie, longtemps meilleur élève des institutions financières internationales, mais cancre en matière de droits et de libertés, gagnait ses lettres de noblesse en matière d’exemplarité politique.
Traitements palliatifs court-termistes
et dégradation économique
Les performances économiques de la Tunisie, souvent citées en exemple avant 2011, étaient largement entachées de mauvaise gouvernance, de prédation organisée et de détournements divers. Elles n’en faisaient pas moins illusion. Depuis 2011, les exigences, celles légitimes et celles qui le sont moins, ont fleuri dans un contexte d’affaiblissement de l’État, d’instabilité institutionnelle, de dégradation de la stabilité régionale, d’insécurité, de montée de l’intégrisme et du terrorisme, des trafics, de la contrebande et de la fraude fiscale, de régression de la production, de recul des exportations.
Les politiques, à l’horizon infiniment raccourci, ont cru trouver dans le traitement « social » une modalité commode d’échapper au seul traitement viable, celui de la relance économique, des réformes structurelles et de la réinsertion de toutes les forces vives du pays dans le processus de création de richesses dans l’inclusion, la solidarité et la performance.
Ce faisant, ils ont cassé les dernières tirelires laissées par l’ancien régime, avant de plonger le pays dans de profonds déséquilibres macroéconomiques, un endettement accéléré et une dévaluation rampante.
Le pays et son élite politique ont, tout au long des dernières années, favorisé le temps court, les traitements palliatifs et prétendument politiques au temps long de la réforme et de la reconstruction dans l’effort, l’exigence et la persévérance.
Le souci majeur : accéder à un emploi digne
Pendant longtemps et aujourd’hui encore, et à l’instar d’autres voix, je n’ai cessé d‘alerter sur le nécessaire traitement économique et social des exigences, toujours non satisfaites, des jeunes, des régions intérieures et plus généralement des victimes collatérales d’un modèle plus soucieux de croissance que d’inclusion, de justice sociale et de développement.
Le souci majeur de tout tunisien est d’accéder à un emploi digne, en rapport avec ses aspirations et en ligne avec ses compétences. Cela ne sera possible qu’au travers de l’entreprise privée, transparente et performante, socialement responsable, mais aussi grâce à une économie sociale et solidaire, libérée du carcan des réglementations obsolètes et contre-productives.
L’innovation, l’esprit d’entreprendre, l’ouverture sur le monde, l’exigence de performance, l’adoption de meilleurs standards internationaux, la recherche permanente de proximité, l’approfondissement de nos atouts sont autant de voies passantes vers le succès et l’épanouissement.
La vision d’une modernité inclusive et performante
Le redressement du pays ne passe pas par un catalogue de solutions techniques. Il requiert une vision et un projet de société. La réforme n’est pas neutre. Elle se met au service d’un projet, nécessairement politique.
En rassemblant des écrits publiés au long de près de sept années par plusieurs médias tunisiens et internationaux, mon ambition aura été de mettre à la disposition de tous ceux qui partagent cette vision portée par la modernité, l’inclusion et la performance, ceux pour lesquels l’avenir de la Tunisie importe dans la cohésion et la solidarité, une série de réflexions sur un avenir meilleur et possible, où le souci permanent de l’inclusion est le dénominateur commun à toutes les politiques publiques, et surtout sur les modalités d’y parvenir.
◊ ◊ ◊
NB - Les intertitres sont de la rédaction
◊◊ ◊
Nos articles récents et significatifs relatifs à Radhi Meddeb, dont plusieurs sont repris dans son livre :
Radhi Meddeb : « À nous, Africains, de nous mobiliser pour le développement de notre continent ! » - 25 avril 2018
Au Forum économique africain de Tunis - Radhi Meddeb : « La Tunisie a pris le chemin vertueux de l’ouverture économique à l’Afrique » - 24 avril 2018
Radhi Meddeb à propos de l’AME, « Verticale de l’avenir » Afrique-Méditerranée-Europe : « Rien ne se fera sans la société civile et le plaidoyer des politiques »(ITW par Alfred Mignot) - 6 février 2018
Radhi Meddeb : Entre fierté et amertume sept ans après sa révolution, « la Tunisie a besoin d’un choc positif » - 10 janvier 2018
La Tunisie sur la liste noire européenne des paradis fiscaux : les tenants et aboutissants, une analyse de l’économiste Radhi Meddeb 10 décembre 2017
Radhi Meddeb : « Restaurer la confiance en Tunisie passera par des mesures fortes en direction de l’entreprise » - 29 octobre 2017
Radhi Meddeb : Pourquoi le FMI et Fitch soulignent la dégradation de l’économie tunisienne - 13 avril 2017
Radhi Meddeb : Cinq ans après la Révolution, l’économie de la Tunisie toujours victime de la politique - 4 avril 2016
Vu de Tunis, par Radhi Meddeb : Comment gagner la guerre globale contre le terrorisme ? - 15 décembre 2015
Radhi Meddeb, président de l’Ipemed : « Un appel à l’Europe, pour la Tunisie ! » - 31 mars 2015
Radhi Meddeb : France, Tunisie : Quand le drame nous rappelle à notre destin commun - 11 janvier 2015
Radhi Meddeb : La Tunisie face à l’urgence de réformes structurelles - 4 septembre 2014
Radhi Meddeb : Comment refonder le modèle de développement en Tunisie ? - 24 février 2013
etc…
◊ ◊ ◊