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Pr Abderrahmane Mebtoul : « Les défis de l’Algérie de l’après-référendum : redonner confiance avec une nouvelle gouvernance et un nouveau personnel politique »

6 novembre 2020
Pr Abderrahmane Mebtoul : « Les défis de l'Algérie de l'après-référendum : redonner confiance avec une nouvelle gouvernance et un nouveau personnel politique »
Le résultat très modestement positif du vote au référendum sur la révision constitutionnelle a démontré une fois encore le manque de confiance des citoyens, et donc la nécessité d’un aggiornamento politique d’envergure. Un impératif qui vaut aussi au plan économique, si l’on veut éviter à l’Algérie de retomber à court terme sous les fourches caudines du FMI.

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Une contribution du Dr Abderrahmane MEBTOUL (Oran)
Professeur des universités, expert international

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Le référendum pour la révision de la constitution du 1er novembre 2020 s’est tenu dans un contexte national et international défavorables : maladie du président de la République, dossier de corruption des anciens responsables créant une névrose collective et une crise de confiance, épidémie du coronavirus, faiblesse du système de communication non adapté au nouveau monde, marasme économique et social – mais cela n’est d’ailleurs pas propre à l’Algérie.

Il faut le reconnaitre, le taux de participation a été mitigé avec 23,7 % sur un nombre total d’inscrits de 24 475 310 (dont 907 298 résidents à l’étranger) et le nombre de votants de 5 636 172, dont 45 071 résidents à l’étranger.
Le nombre de voix exprimées a été de 5 023 385, dont 3 355 518 OUI (soit 13,70 % des inscrits) et 1 676 867 NON (soit 6,85 % des inscrits) qui s’ajoutent aux 633 885 bulletins nuls (407 en litige), soit au total 9,44%.

I - Les enseignements du référendum
constitutionnel du 1er novembre 2020

Nous pouvons tirer cinq enseignements de ces chiffres.

Premièrement : pour la première fois depuis l’indépendance politique, il n’y a pas eu de bourrage des urnes, ce scrutin s‘est déroulé dans une totale transparence.

Deuxièmement : au cours de leurs tournées, la majorité des membres du gouvernement n’ont pas été à la hauteur de cet important évènement, sans compter que bon nombre de leurs secteurs sont en hibernation. Ainsi, du fait de leurs discours déconnectés des réalités ou provocateurs, certains se sont vus presque chassés de certaines wilayas.

Troisièmement : il en est de même des partis traditionnels rejetés par la population, ainsi que du responsable chargé de dynamiser la société civile et l’émigration (taux de participation inférieur à 5 %) où, selon nos informations, ayant réuni en majorité les appendices des anciennes structures, vivant de la rente et non en phase avec la réelle société civile majoritaire, leurs actions ont été facteur de démobilisation et contre-productifs.

Quatrièmement : ce qui a permis d’éviter le scénario catastrophe, il faut aussi le reconnaître et lui en rendre hommage, c’est la tournée du chef d’État-major de l’ANP, car cela a permis ce taux de 23 % de participation qui, sans cela, aurait été sous la barre des 15 %.

Cinquièmement : il ne faut pas être démagogue et tirer les leçons, les résultats mitigés ayant (dé)montré, en ces moments de grands bouleversements géostratégiques à nos frontières, le manque de confiance des citoyens.
Il faut en tirer les conséquences pour une mobilisation citoyenne, facteur essentiel de tout développement. Car en ce XXIe siècle marqué par l’innovation permanente, avec la transition numérique et énergétique, le grand défi à venir est le redressement de l’économie nationale en léthargie, car la puissance d’une Nation et sa prospérité sociale se mesurent à celle de son économie.

II - L’économie algérienne très impactée
par les cours très bas des hydrocarbures

Le Fonds monétaire international (FMI), dans son rapport sur les perspectives économiques mondiales publié le 13 octobre 2020, prévoit pour l’Algérie moins -5,5 % en 2020, un taux de croissance de 3,2 % en 2021, contre 6,2 % dans son rapport d’avril 2020, soit la moitié de ce qui était prévu, et ce sous réserve de la maîtrise de l’épidémie du coronavirus.

L’Algérie a besoin d’un baril de pétrole à plus de 135 dollars en 2021 et, selon le site spécialisé, Oil Price, 157,2 dollars pour équilibrer son budget. le prix du baril fixé par la loi de finances 2020 à 30 dollars (prix fiscal et 35 dollars prix marché, le PLF 2021 à 40 dollars), n’est qu’un artifice comptable et il est prévu un déficit budgétaire énorme de plus de 20 milliards de dollars en 2021.

La crise mondiale avec l’épidémie du coronavirus touche tous les pays du monde et pas seulement l’Algérie mono- exportatrice. C’est que la demande d‘hydrocarbures, dont est tributaire l’économie algérienne, dépend fortement du retour à la croissance de l’économie mondiale fortement impactée par la seconde vague de l’épidémie du coronavirus.
Comme je l’ai démontré dans l’interview donnée à l’American Herald Tribune le 23 avril 2020 (cf. « Prof. Abderrahmane Mebtoul : We Have Witnessed a Veritable Planetary Hecatomb and the World Will Never be the Same Again »), l’impact de l’épidémie du coronavirus sur l’économie mondiale sera de longue durée.

En plus du bas cours des hydrocarbures, représentant avec les dérivés 98 % des recettes en devises, le 3 novembre 2020 10 h GMT, le cours du pétrole en bourse du Wit était coté à 36,61 dollars, le Brent à 38,86 – et le prix de cession du gaz sur le marché libre à 3,24 dollars le MBTU, en baisse de plus de 70 % par rapport à 2008/2010. Et tout cela sans compter les pertes de parts du marché notamment en Europe, principal client – et le fait que le retard dans les réformes internes –, tout cela impacte fortement l’économie algérienne.

III - Baisse drastique des réserves de change
et dépréciation inflationniste du dinar algérien

Comme conséquence à la fois de la baise du produit intérieur brut et de la croissance démographique galopante (44 millions d’habitants en 2020 et plus de 50 en 2030), nous assistons à un accroissement du taux de chômage : 2017, 11,6 % ; 2018, 13,1 %.

Selon le FMI, le taux de chômage devrait atteindre 14,1% en 2020 et 14,3% en 2021 , il faudra créer annuellement entre 350 000 et 400 000 emplois nouveaux par an. La structure de l’emploi, fait ressortir un secteur tertiaire dominé par le commerce, les services et l’administration, avec un nombre de retraités en mai 2020 de 3 266 000 personnes où la caisse de retraite connaît un déficit structurel.

Il s’ensuit une baisse drastique des réserves de change, qui sont passées de 194 milliards de dollars au 1er janvier 2014, à 62 Md$ à la fin de 2019, les prévisions de la loi de finances complémentaire donnant 44,2 milliards de dollars.
our la fin de 2020, le FMI prévoit 33,8 milliards de dollars, le Trésor français 36 milliards et pour la fin de 2021, le début de 2022, entre 12/ et 15 milliards de dollars.

Prenant à contre -pied les prévisions internationales, le PLF 2021 prévoit des réserves de change à la fin de 2021 à 46,8 milliards de dollars, assurant les importations et les services durant 16 mois et ce à la suite de l’amélioration prévue dans le déficit de la balance des paiements qui devrait atteindre -3,6 Md$ en 2021, avec des seuils de réserves de change de 47,53 milliards de dollars en 2022 et 50,02 Md$ en 2023.

Mais, comment cela serait-il réalisable, vu tant la conjoncture internationale qu’interne défavorables, avec une bureaucratie paralysante où la majorité des secteurs productifs, hormis l’agriculture, sont en hibernation ?

Comme la cotation du dinar est corrélée aux réserves à plus de 70 % où la valeur d’une monnaie dépend avant tout du niveau de la production, le dinar officiel était coté, le 2 novembre 2020, à 129,51 dinars un dollar et 150,54 dinars un euro (source Banque d’Algérie).
Concernant les cours de change du Dinar algérien (DA), le projet de loi de finances en 2021 prévoit une dépréciation par rapport au dollar américain (USD), 142,20 DA/USD en 2021, 149,31 DA/USD en 2022 et 156,78 DA/USD en 2023.

En considérant l’écart actuel de 18 % euro/dollar, un euro officiel vaudrait 182 dinars en 2023, et sur le marché parallèle avec un écart d’environ 50 %, nous aurons 280 dinars pour un euro. Cette dépréciation a pour objectif de combler le déficit budgétaire et accélère le processus inflationniste.

IV - L’urgence de lutter contre la bureaucratie
et la corruption pour éviter le retour au FMI

En conclusion, cette situation rend urgente la lutte contre la bureaucratie et la corruption. Il faut dorénavant tenir un langage de vérité et c’est aux dirigeants de ressembler à leur peuple et non au peuple de ressembler à ses dirigeants, ces derniers devant changer de discours et surtout de comportement.

Aussi, l’urgence après le 1er novembre 2020 sera le redressement de l’économie nationale. Cela suppose une autre gouvernance et un renouveau du personnel politique et économique pour redonner la confiance sans laquelle aucun développement n’est possible (cf. notre interview au Monde.fr/AFP Paris du 10/08/2020).

Faute de quoi le retour au FMI courant 2022 est inévitable, les lois économiques étant insensibles aux slogans politiques, ce qu’aucun patriote ne souhaite.

Par ailleurs, la future politique socio-économique devra tenir compte des nouvelles mutations mondiales axées sur la transition numérique et énergétique, de la demande de révision par l’Algérie de certaines clauses de l’Accord d’association avec l’Europe, pour un partenariat gagnant-gagnant, des tensions géostratégiques en Méditerranée, au Sahel et en Libye.

D’où l’urgence d’une nouvelle gouvernance, d’un changement profond de la politique économique, d’approfondir les réformes internes institutionnelles et micro économiques, portées par de nouvelles forces sociales. Un grand défi pour l’Algérie de demain, défi à sa portée du fait de ses importantes potentialités.

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NB - Retrouvez par le moteur de recherche www.google.com toutes nos contributions où, depuis 2005, nous attirons l’attention sur les effets néfastes de la bureaucratie et de la corruption, et sur l’incohérence de la politique socio-économique.

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DU MÊME AUTEUR
Les contributions du Pr Abderrahmane Mebtoul sur notre site

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