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Pr A. Mebtoul : une vision de l’évolution politique et économique de l’Algérie, de 1963 à 2012

Algérie | 11 février 2012 | src.leJMed.fr
Pr A. Mebtoul : une vision de l'évolution politique et économique de l'Algérie, de 1963 à 2012
Alger -

Sous la direction de leur Président, le Professeur Abderrahmane MEBTOUL (Professeur des Universités , Expert international en management stratégique), un groupe d’Experts (politologues, sociologues, économistes, financiers… ) de l’ADEM (Association Algérienne de Développement de l’Economie de Marché) a réalisé une importante étude abordant, chiffres à l’appui, toutes les facettes de la politique socio-économique de l’Algérie, de 1963 à janvier 2012.

Photo ci-dessus : le Professeur Abderrahmane Mebtoul © DR


« Cette analyse, se fondant sur l’observation de la réalité, et liant la théorie et la pratique, constitue une très brève synthèse de nos réflexions et propositions concrètes durant ces trente dernières années pour le redressement national. Elle se veut une modeste contribution au débat national qui engage l’avenir de l’Algérie », relève le Professeur Abderrahmane MEBTOUL.

Avec l’aimable autorisation des auteurs, leJMed.fr entreprend de publier l’ensemble de cette étude de l’ADEM. En voici le premier chapitre.


Ch. I - L’évolution politique et économique de l’Algérie,
de 1963 à 2012

Les forces sociales conservatrices et réformistes souvent antagoniques, tenant compte du poids de l’Histoire, sont le moteur de la dynamique ou de la léthargie de toute société. Car, comment ne pas se remémorer les promesses des dirigeants politiques algériens qui ont présidé aux destinés du pays au nom de la légitimité historique – encore – quand certains évoquent récemment, pour ceux qui veulent bien les entendre, la fin de « l’Etat de la mamelle », puis celle de la légitimité révolutionnaire.
Cela signifie surtout que le pouvoir bienfaisant comme contrat politique implicite par les tenants du « socialisme de la mamelle » afin de légitimer l’échange d’une partie de la rente contre la dépendance et la soumission politique – et qui efface tout esprit de citoyenneté active –, ce pouvoir doit céder la place à un pouvoir juste, justicier et de justice. C’est la norme du droit qui doit en principe – dans les actes et non les discours –, reprendre sa place pour légitimer le véritable statut de la citoyenneté.


Les discours triomphants des années 1960

Souvenons-nous, en 1962, de la domination idéologique du communisme, l’hymne à la liberté chantée dans les rues de l’ensemble de l’Algérie indépendante, les espoirs suscités par le socialisme spécifique à l’algérienne, l’autogestion des domaines des colons qui devait élever la production, restituer les paysans dans leur dignité, lutter contre l’injustice sociale, mais aussi les luttes de pouvoir entre l’Intérieur et l’Extérieur des différents clans.

En juin 1965, c’est le discours du sursaut révolutionnaire, du fait que l’Algérie serait au bord de la faillite. Il fallait la redresser, grâce à un pouvoir fort qui résiste aux événements et aux hommes, à travers trois axes, la révolution industrielle, la révolution agraire, et la révolution culturelle, en prenant comme base le plan économique du programme de Tripoli qui repose sur la dominance du secteur d’Etat, comme fer de (re)lance de l’économie nationale, à travers les grosses sociétés nationales.

Ce sont les discours triomphants de constructions des usines les plus importantes du monde, du bienfait de la révolution agraire, garantie de l’indépendance alimentaire, de l’école et de la santé pour tous et de la promesse solennelle que nous deviendrions, à l’horizon 1980, le Japon de l’Afrique, avec les lancements du plan triennal 1967-1969, du premier quadriennal 1970-1973 et du second quadriennal 1974-1977.

Rappelons-nous ces discours sur la vertu des fameuses industries industrialisantes et, au niveau international, la vision de l’Algérie leader du nouvel ordre économique international dans sa lutte contre l’impérialisme, cause fondamentale du développement du sous-développement.


1986 : l’effondrement des recettes des hydrocabures

Et voilà qu’après la mort du Président après une longue maladie et une lutte de pouvoir qui se terminera par un compromis, et la venue d’un nouveau président, qu’en 1980, nous apprenons que cette expérience a échoué.

Du fait de la compression de la demande sociale durant la période précédente et surtout grâce au cours élevé du pétrole, les réalisations porteront sur les infrastructures, la construction de logements et l’importation de biens de consommation finale avec le programme anti-pénurie, et la construction sur tout le territoire national des souks fellahs. L’Algérie ne connaît pas de crise économique selon les propos télévisés un d’ex Premier ministre, crise qui touchait à l’époque les pays développés avec un baril équivalent à 80/90 dollars, en termes de parité de pouvoir d’achat 2010.

C’est alors l’application mécanique des théories de l’organisation, car les grosses sociétés nationales ne seraient pas maîtrisables dans le temps et l’espace. Mais, la population algérienne contemple, en 1986, l’effondrement du cours du pétrole, les listes d’attente et l’interminable pénurie : et c’est toujours la faute de l’extérieur.
Et voilà que nous avons un autre discours : les algériens font trop d’enfants, ne travaillent pas assez. L’on fait appel à la solidarité de l’émigration que l’on avait oubliée. Il s’ensuit l’effondrement du dinar dont on découvre par magie que la parité est fonction du cours du dollar et du baril de pétrole, et non du travail et à l’intelligence, seules sources permanentes de la richesse. On loue alors les vertus du travail, de la terre, l’on dénonce les méfaits de l’urbanisation, du déséquilibre entre la ville et la campagne, la priorité devant être donnée à l’agriculture car on constate le niveau alarmant de la facture alimentaire. Et c’est le slogan « de l’homme qu’il faut à la place qu’il faut et au moment qu’il faut », thème reproduit également aujourd’hui.

Octobre I988. Conséquence de la crise de 1986 qui a vu s’effondrer les recettes des hydrocarbures des deux tiers, contredisant les discours populistes, on assiste au début timide d’une presse libre et d’un multipartisme que l’on tente de maîtriser par l’éclosion de Partis (une famille pouvant fonder un parti avec des subventions de l’Etat) avec la naissance d’une nouvelle Constitution en 1989 : elle introduit des changements fondamentaux dans notre système politique monocratique depuis l’indépendance, en consacrant l’existence du multipartisme, conférant ainsi à notre système politique un caractère pluraliste, du moins dans les textes.


1989 / 1990 : les débuts de la crise politique

Sur le plan économique, entre I989-I99O c’est l’application des réformes avec l’autonomie de la banque centrale, la tendance à la convertibilité du dinar, la libéralisation du commerce extérieur, une tendance à l’autonomie des entreprises et l’appel, très timidement, à l’investissement privé national et international sous le slogan « secteur privé, facteur complémentaire du secteur d’État », après le socialisme spécifique, de l’économie de marché spécifique à l’algérienne avec la dominance du secteur d’Etat soumis à la gestion privée, des lois portant autonomie des entreprises publiques.

Effet de la crise économique, nous assistons à une crise politique sans précédent qui commencera entre 1989/1990, crise accélérée par des élections législatives, coordonnées par un nouveau chef de gouvernement issu des hydrocarbures des émeutes dont l’aboutissement sera la démission de ce Président après plus d’une décennie de pouvoir. Le procès est fait cette fois à la décennie noire de 1980 / 1990.

Et c’est la valse interminable de chefs de gouvernement et de ministres, changements successifs dûs à la profonde crise qui secoue le pays. C’est la naissance du Haut Comité d’État (HCE), la venue d’une historique et charismatique figure, qui donnera une première lueur d’espoir, présidera à peine une année le HCE avant d’être assassiné, son remplacement par un autre membre du HCE, avec parallèlement, un Conseil Consultatif faisant œuvre de parlement désigné. L’on rappellera comme chef de gouvernement le père de l’industrie lourde des années I970, qui prônera l’économie de guerre mais avec son départ rapide du fait de la cessation de paiement. Lui succèdera un premier ministre membre du HCE artisan du programme de Tripoli, qui signera l’accord de rééchelonnement avec le FMI, démissionnant tout juste après, l’Algérie étant en cessation de paiement n’ayant pas de quoi acheter un kilo de farine, alors que certains responsables politiques clamaient haut et fort à la télévision et dans la presse que l’Algérie n’irait pas au rééchelonnement. Les accords avec le FMI entraineront une baisse drastique de la valeur du dinar, dévalué. La période qui suit verra un Chef d’Etat avec un parlement de transition à savoir le CNT (Conseil national de transition) combinaison d’associations et de partis politiques.


15 fois le SMIG…

Viendront les élections de ce Président axé sur le rassemblement, pour sortir le pays de la crise et une nouvelle Constitution (1996). Elle crée la seconde chambre, dite Conseil de la Nation, et par le truchement de l’article 120, lui donne pratiquement le pouvoir de bloquer un texte de loi voté par l’APN. Mais, fait nouveau et important, elle limite à deux les mandats présidentiels, étalés sur cinq années. Mais nous sommes toujours dans la même ambiguïté politique en maintenant le caractère dual de l’Exécutif (ni régime parlementaire, ni régime présidentiel), tout en consolidant le système de Conseils existants dont l’institution d’un Haut Conseil Islamique et d’un Haut Conseil de Sécurité qui est présidé par le président de la République.

C’est à cette période que naît le Parti le rassemblement national démocratique (R.N.D) dont le fondement du discours est la lutte anti-terroriste, et qui raflera presque tous les sièges après seulement huit mois d’existence, tant de l’APN que du Sénat, au détriment du Parti FLN, succès qui provoquera par la suite des protestations interminables et une commission sur la fraude électorale dont les conclusions ne verront jamais le jour.
Les parlementaires du fait de la situation sécuritaire de l’époque, auront surtout pour souci de voter pour soi même des rémunérations dépassant 15 fois le SMIG de l’époque, alors que la misère se généralise, oubliant naturellement du fait de la généralisation des emplois de rente, qu’un parlementaire aussitôt sa mission terminée retourne à son travail d’origine, et qu’une retraite automatique revient à afficher un mépris total pour une population meurtrie.

Dans la foulée, la venue de deux chefs de gouvernement. Le premier, technicien, pratiquera le statu quo ; le second, par l’application des accords du FMI, aura à son actif le cadre macro-économique stabilisé mais des retombées sociales négatives du fait de la douleur de cet ajustement. Ce président démissionne et des élections sont programmées le 8 avril I999 avec l’élection d’un nouveau président qui promet de rétablir l’Algérie sur la scène internationale, de mettre fin à l’effusion de sang et de relancer la croissance économique pour atténuer les tensions sociales – ce qui sera matérialisé plus tard par le référendum sur la réconciliation nationale avec un vote massif en faveur de la paix.

2005, 2008, 2009… Les dates-clés des années 2000

Qu’en est-il, sommairement, de 2000 à janvier 2012 ? Un chef de gouvernement est nommé après plus de huit mois d’attente mais son mandat sera de courte durée, à peine une année, du fait des conflits de compétences. Un second chef de gouvernement est nommé, plus politique, qui s’engage également à redresser la situation mais qui démissionne, tout en se présentant candidat à la présidence avec comme conséquence une dualité dans les rangs du FLN dont il est tissu. Il est remplacé par le Secrétaire Général du RND.

Viennent ensuite les élections du 8 avril 2004, qui sont largement remportées par le précédent Président avec trois chefs de gouvernement successifs : premièrement le secrétaire général du RND qui a été chargé des élections de 2004 ; puis le secrétaire général du FLN courant 2007, ce Parti étant devenu majoritaire au fil des élections successives, tant au à l’APN qu’au Sénat, mais cela avec peu de modification dans la composante ministérielle puisque l’ancien chef de gouvernement n’a pu nommer aucun ministre entre mai 2006 et juin 2008 (de 1999 à 2010, on maintiendra d’ailleurs les mêmes personnels, à quelques variantes près, pour les walis et les postes clefs de l’État ), puis à nouveau courant 2008 le retour du secrétaire général du RND qui, précisons-le, a été chargé des élections d’avril 2009. C’est également durant cette période qu’est signé l’Accord avec l’Europe, le 1er septembre 2005, pour une zone de libre-échange constituant un acte politique de première importance politique depuis l’indépendance, postulant ainsi l’irrésistible cheminement vers l’économie de marché.

En novembre 2008 qu’est amendée la constitution, non par référendum mais à la majorité des deux chambres. Cet amendement ne limite plus les mandats présidentiels, tout en supprimant le poste de chef de gouvernement en le remplaçant par celui de premier ministre consacrant un régime présidentiel. Par ailleurs, comme leurs prédécesseurs, les députes et sénateurs se feront voter un salaire de plus de 300 000 dinars par mois.

Dans la foulée l’élection présidentielle s’est tenue le 9 avril 2009 : l’ancien président est réélu pour un nouveau mandat de cinq années (2009 / 2014) en promettant la création de trois millions d’emplois durant cette période et d’augmenter le pouvoir d’achat des Algériens. Aussi, la période de 2004 à 2009 devait être consacrée à asseoir un Etat de droit avec la réforme des institutions, du système financier poumon des réformes, du secteur agricole et l’accélération des privatisations.

L’objectif était une dynamisation de la production et des exportations hors hydrocarbures. Le pré-programme de soutien à la relance économique reposant sur les dépenses publiques (plus de 7 milliards USD) ayant eu lieu avant 2004, celui programmé entre 2004 / 2009 clôturé en principe à 200 milliards USD, mais dont le bilan n’a pas été rendu public. Durant cette période, comme durant la période 1980 / 1985, du fait de la compression de la demande sociale pendant les années du terrorisme, la priorité a été accordé aux infrastructures, comme le logement, qui ne sont qu’un moyen du développement, et non au management stratégique de l’entreprise, seule source permanente de richesse.

C’est durant cette période que nous assistons à des déballages sur la corruption qui a d’ailleurs toujours existé mais qui prend des proportions alarmantes avec une corruption socialisée de la BADR, de Khalifa, de la BCIA, BNA, BEA, BDL, bon nombre d’agences du CPA et d’autres banques et d’entreprises publiques dont Sonatrach, le « projet du siècle » de l’autoroute Est-Ouest… Bien entendu cette corruption touche presque tous les autres secteurs de l’économie nationale ce qui a fait dire aux observateurs que le risque est de passer de l’ancien terrorisme à un autre – la corruption – plus mortel pour le pays .


Deux politiques économiques contradictoires

Entre 2000 et 2012 nous assistons à deux politiques économiques contradictoires.
La première période de 2000 / 2006 a vu la signature de l’Accord d’association avec l’Union européenne, l’adoption de la loi sur les hydrocarbures, des mines, de l’électricité et du gaz et une volonté de faire appel à l’investissement privé international mais sans vision stratégique.

La deuxième période, de 2007 à 2012, est caractérisée, outre par l’amendement de la loi des hydrocarbures de 2006 (loi qui selon les déclarations des responsables en 2011, serait à nouveau amendée car n’ayant attiré aucun investisseur potentiel), par le retour au tout Etat gestionnaire avec une dépense publique sans précédent depuis l’indépendance politique. Mais sans que l’on ait établi au préalable les mécanismes de contrôle, tant politiques qu’économiques, comme le gel de la Cour des Comptes, la loi budgétaire au niveau des assemblées (APN et Sénat) qui vient d’être seulement adoptée, fin 2011.

Ainsi a été programmée une nouvelle enveloppe de 280 milliards de dollars entre 2010 et 2014 – dont j’aurai l’occasion d’analyser l’impact – et la question se pose : l’Algérie aura-t-elle la capacité d’absorption de cette importante masse monétaire ? ne risque-t-on pas d’assister au divorce entre des objectifs ambitieux et des moyens de réalisation limités – surtout par la ressource humaine dévalorisée et la faiblesse d’une régulation claire, ainsi que faute d’institutions adaptées à la transition, et à l’accélération de la mauvaise gestion pour ne pas dire corruption ?

Le constat à travers ce cheminement historique est que durant cette période de transition difficile d’une économie étatisée à une économie de marché concurrentielle, l’État de droit et la démocratie, en tenant compte de notre anthropologie culturelle, est que les réformes sont timidement entamées malgré des discours apparemment libéraux, et moralisateurs que contredisent journellement les pratiques sociales.

Les banques, lieu de distribution de la rente, continuent de fonctionner comme des guichets administratifs, et du fait des enjeux les réformes souvent différées s’attaquant plus aux aspects techniques qu’organisationnels (alors qu’elles sont le moteur des réformes), la privatisation et le partenariat comme moyens d’investissement et de valeur ajoutée piétinent faute de cohérence et de transparence ; la facture alimentaire continue d’augmenter malgré le fameux programme agricole (PNDA) dont il conviendra de faire le bilan des milliards de dollars dépensés ; la bureaucratie et la corruption continuent de sévir.

Comme conséquence, résultats de la pratique de plusieurs décennies et non seulement de la période actuelle, nous assistons à des tensions à travers toutes les wilayates contre la hogra – la corruption, le mal vivre –, d’une jeunesse dont le slogan « Nous sommes déjà morts ! » traduit l’impasse du système économique rentier à générer une croissance hors hydrocarbures, seule condition d’atténuation des tensions sociales pour faire face au malaise social.
Nos responsables ont-ils analysé le désespoir des harragas, ces jeunes qui, souvent avec la complicité de leurs parents, bravent la mort et l’impact de l’exode, partageant le rêve de s’enfuir du pays, comme en témoignent, de l’aube au crépuscule, les longues filles d’attente auprès des ambassades pour la demande de visas.

Pourquoi ces séminaires sur la diaspora à coup de millions de dollars ? Un opérateur, un cadre ou intellectuel étant liés au sort de leurs concitoyens, il faudrait retenir le peu qui existe déjà.


Professeur Abderrahmane MEBTOUL
avec le groupe des Experts de l’ADEM


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Du même auteur :

 Pr Abderrahmane Mebtoul : « Réhabiliter la morale comme facteur stratégique de développement » (décembre 2011)

 La coopération Algérie-France : pour une prospérité partagée dans le cadre de l’espace euromed (novembre 2011)

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