Retrouvez AfricaPresse.paris sur :
RSS

Outils

Pr A. MEBTOUL : « Au-delà du nouveau code d’investissement, l’Algérie a surtout besoin d’une stratégie de sortie de crise, évitant le replâtrage et le juridisme »

29 novembre 2021
Pr A. MEBTOUL : « Au-delà du nouveau code d'investissement, l'Algérie a surtout besoin d'une stratégie de sortie de crise, évitant le replâtrage et le juridisme »
En levant certains verrous, comme la loi 49/51, controversée depuis sa création en 2009, le nouveau code des investissements algérien suscite bien des espoirs pour la relance économique. Mais, pour qu’il soit vraiment efficace, c’est tout l’écosystème éco-social du pays qu’il faudrait revoir, estime le Pr Abderrahmane Mebtoul. Explications.

.

Une contribution du Dr Abderrahmane MEBTOUL (Oran),
Professeur des Universités, Expert international

.

Encore un nouveau code d’investissement en Algérie, après tant d’autres qui n’ont eu aucun impact sur la production et exportation hors hydrocarbures, ayant peu attiré les investisseurs étrangers, excepté dans le segment des hydrocarbures, mais avec une chute depuis 2018. Car l’attrait de l’investissement à forte valeur ajoutée ne saurait résulter de lois mais d’une réelle volonté politique allant vers de profondes réformes, une stabilité du cadre juridique et monétaire permettant la visibilité, et les pays qui attirent le plus les IDE n’ont pas de codes d’investissement.

Mon expérience et mes contacts internationaux aux plus hauts niveaux montrent : que le temps est terminé, des relations personnalisées entre chefs d’État ou de ministres à ministres dans les relations internationales où dominent désormais les réseaux décentralisés ; que dans la pratique des affaires n’existent pas de sentiments mais uniquement des intérêts, et que tout investisseur est attiré par le profit, qu’il soit américain, chinois, russe, turc ou européen.

Il appartient ainsi à l’État régulateur, dont le rôle stratégique en économie de marché s’apparente à celui d’un chef d’orchestre, de concilier les coûts privés et les coûts sociaux. C’est par la méconnaissance des nouvelles règles qui régissent le commerce international que s’expliquent les nombreux litiges internationaux, avec des pertes se chiffrant en dizaines de millions de dollars.

.

Soixante ans de changements
de l’écosystème des entreprises publiques

.

L’économie algérienne a connu différentes formes d’organisation des entreprises publiques. Avant 1965, la forme d’autogestion était privilégiée ; de 1965 à 1980, nous avons eu de grandes sociétés nationales et de 1980 à 1988, il y a eu leur restructuration. Comme conséquence de la crise de 1986 qui vit le cours du pétrole s’effondrer, des réformes timides sont entamées en 1988 : l’État crée 8 fonds de participation, chargés de gérer les portefeuilles de l’Etat.

En 1996, l’État crée 11 holdings en plus des 5 régionaux, avec un Conseil national des privatisations ; en 2000, nous assistons à leur fusion en 5 méga holdings et la suppression du Conseil national des privatisations ; en 2001, nouvelle organisation : on crée 28 Sociétés de gestion des participations de l’État (SGP), en plus des grandes entreprises considérées comme stratégiques ; en 2004, ces SGP sont regroupées en 11 et 4 régionaux.

En 2007, une nouvelle organisation est à nouveau proposée par le ministère de l’Industrie et de la Promotion des investissements, articulée autour de quatre grands segments : des sociétés de développement économique qui relèvent de la gestion exclusive de l’État gestionnaire ; des sociétés de promotion et de développement en favorisant le partenariat avec le secteur privé international et national ; des sociétés de participation de l’État appelées à être privatisées à terme et, enfin, une société chargée de la liquidation des entreprises structurellement déficitaires. Cependant, en 2008, cette proposition d’organisation est abandonnée et est émise en 2009 l’idée de groupes industriels. Aujourd’hui, depuis 2018-2020, on semble revenir aux tutelles ministérielles laissant peu d’autonomie aux entreprises…

En montrant clairement la dominance de la démarche administrative et bureaucratique au détriment de la démarche opérationnelle économique, ces changements périodiques d’organisation démobilisent les cadres du secteur économique public, et même les investisseurs locaux et étrangers.

On assiste à un gaspillage des ressources financières ainsi qu’à un renforcement de la dynamique rentière, et cela bloque tout transfert de technologique et managérial. Ainsi l’Algérie a-t-elle les meilleures lois du monde, mais rarement appliquées.

.

.

Une minorité de blocage à 30 %
préférable à la règle 49/51 %

.

La règle des 49/51 % instaurée en 2009, dont j’avais demandé l’abrogation et que le gouvernement actuel a décidé d’assouplir, n’a pas permis de freiner les importations, ni de réaliser le transfert technologique et managérial. Au contraire, elle a favorisé les délits d’initiés de certains oligarques.

Un bilan serein s’impose avec une réponse précise : dans quels secteurs les quelques participations ont-elles eu lieu et ont-elles permis l’accroissement de la valeur ajoutée, sachant que la croissance de par le monde repose sur l’entreprise initiée aux nouvelles technologies, se fondant sur l’économie de la connaissance à travers des réseaux décentralisés.

Quel est le gain en devises, ou alors quel est le montant des surcoûts supportés par l’Algérie ? Car l’évolution des relations économiques internationales montre que ce qui était stratégique hier peut ne pas l’être aujourd’hui, ni demain – exemple les télécommunications.

Pour les segments non stratégiques mais à valeur ajoutée importante, il serait souhaitable d’appliquer la minorité de blocage de 30 % afin d ’éviter les délocalisations sauvages. Et si demain les réserves s’épuisent, il ne faut pas être un grand économiste pour prédire que ces étrangers qui ont accepté la règle des 49/51% nous abandonneront à notre propre sort avec le risque de faillites, notamment des unités à grandes capacités, l’Algérie ne maîtrisant pas les circuits de commercialisation mondiaux.

L’observation des grands espaces mondiaux montrent clairement que seules quelques grandes firmes contrôlent les circuits du commerce mondial, et il est impossible aux opérateurs algériens de pénétrer le marché sans un partenariat gagnant/gagnant. L’essentiel, ce ne sont donc pas les lois, mais de s’attaquer au fonctionnement du système afin de déterminer les blocages qui freinent l’épanouissement des entreprises créatrices de richesses, qu’elles soient publiques, privées locales ou internationales.

L’investissement hors hydrocarbures en Algérie, porteur de croissance et créateur d’emplois, est victime de nombreux freins dont les principaux restent l’omniprésence de la bureaucratie et la corruption qui freinent la mise en œuvre d’affaires, ainsi que l’extension de la sphère informelle qui contrôle plus de 40% de la masse monétaire en circulation. Le terrorisme bureaucratique représente à lui seul plus de 50 % des freins à l’investissement, son élimination implique "l’amélioration de la gouvernance et une plus grande visibilité et cohérence dans la démarche de la politique socio-économique.

.

La nécessaire réforme
du système financier

.

La réforme du système financier, cœur des réformes, est essentiel pour attirer l’investisseur afin de sortir de la léthargie et de la marginalisation le secteur privé, puisque les banques publiques, qui continuent à accaparer 90 % des crédits octroyés, ont carrément été saignées par les entreprises publiques du fait d’un assainissement qui, selon les données récentes (2021), a coûté au trésor public du premier ministère ces trente dernières années environ 250 milliards de dollars, sans compter les réévaluations répétées durant les dix dernières années de plus de 65 milliards de dollars, entraînant des recapitalisations répétées des banques malades de leurs clients.

Enfin comme frein à l’investissement hors hydrocarbures, l’absence d’un marché foncier où la majorité des wilayas livrent des terrains à des prix exorbitants, souvent sans utilités (routes, téléphone, électricité/gaz, assainissements etc.) et l’inadaptation du marché du travail à la demande, renvoyant à la réforme du système socio-éducatif et de la formation professionnelle, usines à fabriquer de futurs chômeurs.

.

Le mirage d’un bond à court
terme des exportations

.

D’où l’importance de rappeler les principales dispositions de la loi de finances 2022, adoptée par l’APN.
Le PLF 2022 se base sur un cours de 45 dollars le baril du Brent et un prix du marché de 50 dollars. Il faudra être réaliste… si les projets du fer de Gara Djebilet et du phosphate de Tebessa commencent leur production en 2022, l’investissement de ces deux projets étant estimé à environ 15 milliards de dollars, tandis que le coût du projet du gazoduc Nigeria/Algérie est estimé à plus de 20 milliards de dollars par l’Europe.

Actuellement cotée autour de 137-138 dinars un dollar (contre 5 dinars pour un dollar en 1970), la monnaie algérienne a subi plusieurs dérapages, pour ne pas dire dévaluations – vers les années 1970-1973, puis entre 2000-2004. Cela n’a pourtant pas permis de dynamiser les exportations hors hydrocarbures, les entrées en devises provenant toujours à 97 % des hydrocarbures et de leurs dérivés.

Dans un tel contexte, prenons garde aux utopies ! L’annonce de 4 milliards de dollars d’exportations hors hydrocarbures pour 2021 doit tenir compte non seulement de la valeur – car certaines produits, comme les engrais et autres ont vu leurs prix augmenter au niveau du marché international de 30 % à 50% – mais aussi en volume : pour établir une réelle en comparaison, le Ministère du commerce devra donc déclarer aussi les volumes (en kg ou en tonnes) des produits exportés lors des années précédentes, de 2017 à 2020. C’est la seule référence pour voir s’il y a eu réellement augmentation des exportations et performances des entreprises algériennes, et pour la balance nette pour l’Algérie soustraire les matières premières importées en devises et des exonérations fiscales.

Comment ne pas rappeler que l’Algérie a engrangé plus de 1 000 milliards de dollars en devises entre 2000 et 2019, avec une importation de biens et services, toujours en devises, de plus de 935 milliards de dollars pour un taux de croissance dérisoire de 2-3 % en moyenne, alors qu’il aurait dû se situer entre 9-10 %… et une sortie de devises de 20 milliards de dollars en 2020 pour une croissance négative de 6%, selon le FMI.

.

Un faible taux de croissance conjugué
à une inflation qui va perdurer

.

Le PLF 2022, prévoit une croissance de 3,3 % contre 3,4 % en 2021 et – 6% en 2020. Mais un taux de croissance se calcule par rapport à la période précédente : un taux élevé en T2 par rapport à un taux faible en T1 donne un taux relativement faible.

Le déficit budgétaire prévu est d’environ 4 175 milliards de dinars (au cours de 137 dinars un dollar), soit 30,50 milliards de dollars, 8 milliards de dollars de plus qu’en 2021.

Le niveau d’inflation devrait s’élever à 4,9 % d’ici à la fin de 2021, contre 2,4% en 2020. Or, l’indice n’a pas été réactualisé depuis 2011 et en 2021 certains produits comme les pièces détachées connaissent une pénurie croissante, et l’inflation pour les produits non subventionnées a enregistré une hausse de 50 % à 100%.

Du fait que plus de 85 % des matières premières sont importées, et du faible taux d’intégration par les entreprises publiques et privées – sans compter l’assistance technique étrangère –, avec la dévaluation du dinar entre 2022 et 2024, l’inflation sera de longue durée.

Selon les prévisions de l’exécutif, le taux de change du dinar sera de 149,3 DA pour un dollar l’an prochain, de 156,8 DA/dollar en 2023 et 164,6 DA/dollar en 2024. La cotation du dinar est passée de 5 dinars un dollar en 1970, à 80 en 2000-2004 et a dépassé la barre des 138 dinars un dollar le 21/11/2021, ayant été coté à 138,6239 dinars un dollar et 157,1579 dinars un euro, et sur le marché parallèle 219 dinars un euro à la vente et 217 dinars un euro à l’achat.

Malgré cette dévaluation, le blocage étant d’ordre systémique, contrairement à l’illusion monétaire, cela n’a pas permis de dynamiser les exportations, dont 97-98 % des recettes en devises proviennent toujours de Sonatrach.

Ce dérapage du dinar permet d’atténuer le montant de ce déficit budgétaire, car si on avait un dollar 100 dinars, il faudrait pondérer à la hausse d’au moins 37 %, et le déficit budgétaire serait pour fin 2022 supérieur à 42 milliards de dollars. L’Algérie, selon le FMI, fonctionnant entre le budget de fonctionnement et d’équipement, a plus de 137 dollars en 2021 et à plus de 150 pour 2022, malgré toutes les restrictions qui ont paralysé l’appareil de production avec des impacts inflationnistes, les réserves de change sont en baisse continue, étant passées de 194 milliards de dollars au 01 janvier 2014 à 62 fin 2019, à 48 fin 2020 et à 44 fin mai 2021, devant tenir compte que le montant des réserves d’or, au cours de novembre 2021, équivaut à environ 11 milliards de dollars.

Cette faiblesse du taux de croissance se répercute sur le taux de chômage. En plus du licencient uniquement dans le BTPH de 150 000 emplois en 2021,le faible taux de croissance influe sur le taux de chômage, qui selon le FMI, en 2021 serait de 14,1% et 14,7% en 2022 incluant les sureffectifs des administrations, entreprises publiques et l’emploi dans la sphère informelle entre 6 000 et 10 000 milliards de dinars soit, au cours de 137 dinars un dollar, entre 44 et 73 milliards de dollars.

.

L’urgence d’une nouvelle
politique socio-économique

.

Pour éviter des remous sociaux, tous les gouvernements ont généralisé les subventions, source de gaspillage croissant des ressources financières du pays.

Selon les prévisions pour 2022, les subventions implicites, constituées notamment de subventions aux produits énergétiques et des subventions de nature fiscale, représentent environ 80 % du total des subventions et que les subventions explicites représentent un cinquième du total des subventions, étant dominées par le soutien aux prix des produits alimentaires et aux logements étant prévu 1 942 milliards de dinars, soit 14,17 milliards de dollars et 19,7 % du budget de l’État.

C’est là un dossier très complexe que le gouvernement a décidé de revoir. Mais sans maîtrise du système d’information et la quantification de la sphère informelle, produit de la bureaucratie et favorisant les délits d’initiés – dont l’extension d’ailleurs décourage tout investisseur – et qui permet la consolidation de revenus non déclarés, en temps réel, la réforme risque d’avoir des effets pervers.

En résumé, si l’on veut que le nouveau code d’investissement ait un impact réel, il y a urgence d’une réorientation de toute la politique socio-économique, passant par de profonds ajustements économiques et sociaux donc par de profondes réformes structurelles devant synchroniser la sphère réelle et la sphère financière, la dynamique économique et la dynamique sociale. L’on devra éviter l’illusion des années 1970-1990 de l’ère mécanique, étant à l’ère de l’immatérialité où les firmes éclatent en réseaux à travers un monde turbulent et instable comme une toile d’araignée.

Le retour à la confiance, sans laquelle aucun développement n’est possible, passe par une vision stratégique clairement définie. Ce sont autant de facteurs déterminants. Par exemple, faute de réforme adéquate, l’instabilité du taux de change et dérapage officiel accéléré du dinar freine l’attrait de l‘investissement à moyen et long terme ; le manque de visibilité risque d’amplifier les actions spéculatives, tant dans la sphère réelle (stockage de produits durables) que par l’achat de devises.

Ainsi, l’Algérie a besoin surtout d’une stratégie de sortie de crise, évitant les actions conjoncturelles, le replâtrage et le juridisme devant s’attaquer à l’essentiel, le fonctionnement de la société.

Évitons cependant tant l’autosatisfaction que la sinistrose. Bien que la situation sera de plus en plus difficile sur le plan économique entre 2021 et 2025, l’Algérie a les moyens de la surmonter avec du réalisme, par un propos de vérité évitant les discours démagogiques populistes se fondant sur une vision idéologique dépassée.

Un nouveau code d’investissement en Algérie, sans vision stratégique, une nouvelle gouvernance, de profondes réformes structurelles conciliant efficacité économique et la nécessaire cohésion sociale – supposant une profonde moralité de ceux qui dirigent la Cité – aura un impact mitigé. Le dépassement de l’entropie actuelle, les tensions géostratégiques à nos frontières, où de nouvelles reconfigurations se dessinent, pose la problématique de la sécurité nationale.

.

◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊

.

Cliquez sur ce titre ou l’image ci-dessous et accédez au REPLAY de notre webinaire : « La métropole AIX-MARSEILLE-PROVENCE, un tremplin pour les TALENTS D’AFRIQUE » du 17/11/21 (1 h 32’)

.

◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊

.

Cliquez sur ce titre ou l’image ci-dessous et accédez au REPLAY de notre
DU WEBI 2 DU CAPP : « L’état de la coopération économique
Europe-Afrique et comment la dynamiser » (15 06 2021)

.

◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊ ◊

.

Cliquez sur ce titre ou l’image ci-dessous et accédez au REPLAY de notre WEBI 1 DU CAPP : « LES OUTILS DE LA CONFIANCE POUR ENTREPRENDRE EN AFRIQUE » (21 04 2021)

◊ ◊ ◊

.

CLIQUEZ ICI et INSCRIVEZ-VOUS
pour recevoir gratuitement notre INFOLETTRE VISIONS D’AFRIQUE®


◊ ◊ ◊

Articles récents recommandés