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Pierre-Yves Pouliquen, DG Afrique, MO et Inde de SUEZ : « Nous travaillons en Afrique avec la même exigence technique et humaine qu’en France » (3/3)

29 juin 2018
Pierre-Yves Pouliquen, DG Afrique, MO et Inde de SUEZ : « Nous travaillons en Afrique avec la même exigence technique et humaine qu'en France » (3/3)
Cette troisième et dernière partie de notre entretien exclusif avec Pierre-Yves Pouliquen est l’occasion de passer en revue certains concepts et modes opératoires dans l’air du temps – les PPP, la RSE, l’environnement sociétal, le DBO, la diplomatie économique… – et d’évoquer comment SUEZ se les approprie sur le continent africain. [Volet 3/3]

Propos recueillis par Alfred Mignot, AfricaPresse.Paris
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La pratique des partenariats public-privé (PPP) est en train de se répandre en Afrique. Est-ce un outil de financement que vous proposez volontiers à vos prospects ?

Pierre-Yves Pouliquen - Le concept de PPP est l’un des schémas possibles, ce n’est pas le seul. À Meknès [Maroc], nous sommes clairement dans un PPP. Nous avons des contrats de construction et d’exploitation en Afrique où la collectivité, avec l’appui de bailleurs internationaux ou nationaux, finance les travaux et confie à une entreprise l’exécution des travaux puis l’exploitation des infrastructures.

Chez SUEZ, nous sommes très sensibles à ce couple « construction-exploitation », car nous considérons que pour opérer il faut être redevable de ce que l’on a construit, et que l’optimisation résulte de l’engagement des deux partenaires, si l’on ne veut pas se retrouver avec un éléphant blanc dans cinq, dix ou quinze ans… Je le souligne car on voit, en Afrique, des usines construites grâce à des financements internationaux, mais mal opérées et ne fonctionnant plus au bout de quelques années.

De ce fait, notre modèle préférentiel est le DBO [Design-Build-Operate ou Concevoir-Construire-Exploiter, ndlr] : parce que nous n’investissons pas, nous sommes des opérateurs privés redevables de la qualité de la construction et de l’exploitation d’un marché public.

Pourquoi préférer le DBO au PPP ?

Pierre-Yves Pouliquen - Cette culture du DBO, classique pour la construction d’usines d’eau et d’assainissement, devient aussi un schéma pour la remise aux normes des réseaux d’eau potable. Nous le constatons en Inde par exemple, où SUEZ a remporté deux contrats importants de ce type.

C’est aussi un modèle que l’on encourage parce que le PPP n’est possible que si vous obtenez la garantie des banques locales pour des prêts accordés à SUEZ sur la base de la signature de la municipalité.
Or, si les banques locales ne veulent pas prêter à SUEZ sur la base d’un contrat municipal, pourquoi notre entreprise ferait-elle crédit à la municipalité ? Les banques locales connaissent mieux leurs clients que nous.

Aujourd’hui, rares sont les systèmes bancaires du Continent permettant ce montage. C’est l’un des défis de l’Afrique, où les banques doivent travailler sur la maturité à long terme de leurs prêts. On peut pallier cette carence par des couvertures de [la MIGA l’Agence multilatérale de garantie des investissements, groupe Banque mondiale, ndlr], les assurances-crédits de la Banque mondiale, de l’AFD, etc., mais le PPP ne pourra se développer que si le système bancaire devient mature et si la crédibilité de la signature locale est acquise.

Comment avancez-vous vos affaires en Afrique ? En général, vos contrats relèvent des marchés publics. Essayez-vous d’aller aussi vers le privé ?

Pierre-Yves Pouliquen - Historiquement, ce sont en effet les marchés d’infrastructures publiques et l’exploitation des usines qui ont constitué notre fil conducteur. Depuis quelques années, nous avons amorcé deux mouvements.

Le premier a consisté à nous tourner vers nos grands clients industriels, comme Total et Danone, qui veulent disposer à l’international du même niveau de services environnementaux qu’en France.
Par exemple, quand Danone a pris le contrôle de la Centrale Laitière du Maroc, elle a changé de prestataire, a augmenté son standard et nous avons pu apporter notre expertise. Aujourd’hui, notre filiale de traitement des déchets industriels au Maroc a eu pour premier client l’usine Renault de Tanger, car pour cette très belle usine, la plus grande d’Afrique, le constructeur voulait une prestation de même qualité qu’en Europe.

À la fin de 2017, nous avons réalisé l’acquisition de GE Water, société américaine qui avait une empreinte en Afrique avec la vente de produits chimiques et d’équipements. Cela nous a donné la capacité de délivrer une offre de services plus large dans le traitement de l’eau industrielle, à partir de laquelle nous allons développer des synergies. C’est le deuxième mouvement que nous avons engagé.


Contrôles de la qualité de l’eau au laboratoire de Lydec de Casablanca, filiale de SUEZ. © William Daniels

On peut lire ici et là que la RSE à la française serait en passe de devenir un plus compétitif pour nos entreprises en Afrique. Comment se positionne SUEZ sur cette question ?


Pierre-Yves Pouliquen - Que cela soit en France, en Espagne ou en Afrique, vous ne construisez pas une usine d’eau ni un centre d’enfouissement sans intégrer les parties prenantes. Cela ne marcherait pas. C’est un savoir-faire et même plus, c’est l’ADN historique de SUEZ : comment travailler pour le bien commun, comment inclure le respect de l’environnement et comment développer des dynamiques humaines inclusives.

Cela s’écrit au cas par cas. Lorsque nous avons créé la Maison pour Rebondir à Bordeaux, nous avons mené une réflexion locale en tant que telle ; quand on prend le contrôle d’une société d’insertion en France, dans le tissu local, nous nous préoccupons d’être inclusifs.
Pour l’Afrique, c’est exactement pareil. Nous y travaillons avec la même exigence technique et humaine qu’en France. Nous ne faisons pas de la « RSE-washing », nous agissons réellement pour l’inclusion, comme le montre l’exemple de la coopérative des chiffonniers de Meknès, dont nous avons provoqué la création.

Cela suffit-il à faire la différence en notre faveur ? Cela dépendra, mais c’est en tout cas devenu un critère significatif. À la fin, c’est le client qui choisit, c’est à lui de savoir quel niveau environnemental et d’inclusion de son projet dans la société il veut… Ces questions nous conduisent bien au-delà de la simple approche technique de la construction d’une usine de traitement d’eau, mais elles nous sont depuis longtemps familières.

Emmenez-vous des partenaires français sur vos marchés africains ?

Pierre-Yves Pouliquen - Oui, nous travaillons avec notre réseau de partenaires industriels. Cela veut dire deux choses. D’abord travailler en équipe avec des partenaires que l’on connaît dans la durée, qu’ils soient des partenaires locaux ou français. Il est certain qu’en ayant construit une quinzaine d’usines avec SOGEA, filiale de Vinci en Afrique, nous avons pris l’habitude de travailler avec eux.
Mais il y a aussi ceux que nous emmenons avec nous : des prestataires techniques, des fabricants d’équipements, des sociétés d’ingénierie complémentaires pour les travaux de génie civil, par exemple Ingérop.

Quelque chose a changé pour les entreprises françaises présentes à l’international, depuis la mise en avant de la « diplomatie économique » par Laurent Fabius ?

Pierre-Yves Pouliquen - Oui, la diplomatie économique nous aide beaucoup ! Depuis la gouvernance de Laurent Fabius à la tête du ministère des Affaires étrangères [2012-2016, ndlr], nous sommes entrés dans une dynamique extrêmement forte du réseau des ambassades pour nous appuyer, en particulier sur la partie marchés publics.

Cela a été le cas au Sri Lanka par exemple, pour un marché de 168 millions d’euros, en partie financé par la Coface, qui avait donc donné son appui. Et lorsqu’il a fallu clarifier des questions de TVA, l’ambassade nous a défendus auprès du ministère du Trésor local, avec lequel nous avions un différent.

Aujourd’hui on peut le dire, les entreprises françaises à l’international bénéficient d’un soutien et d’outils de financement, de garanties de crédits et d’une dynamique forte de la diplomatie économique et politique.

Pensez-vous qu’il y a un momentum français, « un effet Macron » à l’international, comme on l’entend dire ?

Pierre-Yves Pouliquen - Quand nous avons signé au Qatar un contrat de dépollution des sols devant notre président et l’émir, notre client est aussi mis en valeur parce qu’il signe devant les plus hautes autorités des pays. C’est une dynamique vertueuse qui permet d’accélérer les décisions et de faciliter les déblocages.
Alors oui, il y a un « momentum français », l’image de la France a commencé à changer, c’est sûr ! Nous avons un président jeune, reconnu, énergique et très investi dans la politique internationale.

Il est sûr que le charisme du président aide à façonner une image positive de notre pays. Pour autant, il ne faut pas oublier les fondamentaux : si vous n’êtes pas compétitif, si votre technologie et votre plan d’affaires ne sont pas adaptés au pays, tout le dynamisme du président de la République ne suffira pas à vous faire gagner un marché.

Quelle est la réalisation dont vous êtes le plus satisfait ?

Pierre-Yves Pouliquen - C’est une question compliquée, car nous sommes tellement fiers de nos équipes ! C’est vrai que Meknès est un bel exemple, surtout pour la partie coopérative.
L’intéressant, c’est d’avoir pu réaliser une installation aux standards européens adaptée au Maroc, et d’avoir en même temps porté le projet inclusif d’une coopérative pour des chiffonniers. C’est en cela que ce projet est extrêmement porteur de sens pour nos équipes locales, ainsi que d’une manière générale pour l’ensemble du groupe SUEZ. Parce que nous sommes tous à la recherche de sens, de pouvoir concilier notre énergie professionnelle et personnelle, et que nous avons la chance de travailler dans un métier qui permet de réconcilier les deux.

Mais, voici un autre exemple de grande satisfaction : quand on apporte tous les jours l’eau potable jusqu’à Alger, où avant elle manquait plusieurs jours par semaine, on se dit que c’est absolument magnifique ! On oublie en Europe ce que cela signifie d’avoir de l’eau au robinet tous les matins et tous les soirs. Lorsque nous avons approvisionné en eau potable 24h/24 un quartier de Delhi, ce sont encore les femmes du quartier qui en parlent le mieux, car c’étaient elles qui, avant, se levaient à 3 heures du matin pour récupérer l’eau dans le réservoir, et pomper quand l’eau se perdait…
Oui, nous faisons un métier très gratifiant ! Nous travaillons pour sauvegarder la planète, il n’y a donc pas de plus beau métier !

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LES 3 VOLETS DE L’ENTREVUE :

 Pierre-Yves Pouliquen, directeur général Afrique, Moyen-Orient et Inde de SUEZ : « Le traitement des déchets est l’une des urgences de l’Afrique » (1/3)

 Pierre-Yves Pouliquen, DG Afrique Moyen-Orient Inde de SUEZ :
« L’Afrique nous oblige à réinventer nos modèles d’action et d’inclusion » (2/3)

- Pierre-Yves Pouliquen, DG Afrique Moyen-Orient Inde de SUEZ :
« Nous travaillons en Afrique avec la même exigence
technique et humaine qu’en France » (3/3)

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LIENS UTILES :

 MIGA :
https://www.miga.org/Documents/miga_documents/IGGfr.pdf

 Danone et Centrale laitière
https://www.usinenouvelle.com/article/maroc-et-centrale-laitiere-devint-centrale-danone.N358997

 Suez / GE Water
https://www.suez.com/fr/Actualites/Acquisition-de-GE-Water

http://www.lemonde.fr/economie/article/2017/03/09/suez-acquiert-la-branche-eau-de-general-electric_5091921_3234.html

 SOGEA
https://sogea-satom.com/sogea-satom/sogea-satomv2.nsf/web/index.htm

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