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Pierre Jacquemot, auteur de « Se nourrir, le défi de l’Afrique » : « La démarche suggérée dans ce livre est de mettre en valeur l’hétérogénéité et les richesses des pratiques »

26 octobre 2024
Pierre Jacquemot, auteur de « Se nourrir, le défi de l'Afrique » : « La démarche suggérée dans ce livre est de mettre en valeur l'hétérogénéité et les richesses des pratiques »
Universitaire et diplomate, ancien ambassadeur de France dans plusieurs pays d’Afrique, président d’honneur du Groupe Initiatives, expert à la Fondation Jean Jaurès, conférencier à l’Institut d’Études Politiques de Paris et membre de l’Académie des sciences d’outre-mer, Pierre Jacquemot a été en poste successivement au Sénégal, en Algérie, au Burkina Faso, au Cameroun, au Kenya, au Ghana et en République démocratique du Congo. © DR
À l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage et fort de sa riche expérience de terrain, Pierre Jacquemot revient sur l’équation complexe à laquelle les pays africains, et le monde, devront faire face à l’horizon 2050 : répondre à une demande alimentaire en hausse, sous la contrainte climatique et sur des terres dégradées sans aggraver les équilibres macroéconomiques. La réponse revient à réinventer ls politiques agricoles et alimentaires en mettant au en particulier cœur les savoirs paysans, le « manger local » et la valorisation des chaînes de valeur régionales.

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Une contribution de Pierre Jacquemot
Ancien Ambassadeur de France en Afrique

Auteur de « Se nourrir, le défi de la l’Afrique »
(Karthala, 2024)

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En 2023, on estimait que 342 millions de personnes étaient en situation d’insécurité alimentaire grave, ce qui signifie qu’elles n’avaient pas accès à une alimentation adéquate. D’ici à 2050, 60 % de l’augmentation de la population mondiale se fera en Afrique et ce continent sera le seul dont la population rurale aura poursuivi sa croissance (+ 35 %). Le continent devra alors satisfaire une demande alimentaire pour 2 milliards et demi d’Africains. Elle sera plus du double de ce qu’elle est aujourd’hui.

Ce défi revient à résoudre une équation particulièrement complexe : comment répondre à la demande croissante et évolutive en biens alimentaires sains et nutritifs en quantité suffisante, sous la contrainte de limites foncières et d’aléas climatiques, sur des terres souvent dégradées, tout en préservant l’environnement et sans accroître le taux de dépendance aux importations ?

« L’Afrique produit ce qu’elle ne mange pas et mange ce qu’elle ne produit pas ! », un adage simpliste à jeter aux orties !
Le concept de souveraineté alimentaire est mis en avant dans la grande majorité des pays. La souveraineté alimentaire englobe la notion de sécurité alimentaire qui met en avant l’accès, la disponibilité et la qualité de la nourriture, et lui donne une dimension opérationnelle de plus grande envergure (comment y parvenir), territoriale (si possible partout dans le pays ou la région), politique (sur une base indépendante) et juridique (avec un droit pour tous).

Elle porte l’idée de la transformation structurelle des systèmes agricoles et alimentaires, de la fourniture des intrants à la production de l’agriculture, de la pêche et de l’élevage, à la transformation jusqu’à la vente au détail et à la consommation de denrées alimentaires saines et de qualité.

Afin de contribuer à la réflexion, mais aussi de suggérer des pistes de solutions, plusieurs questions ont guidé l’écriture du livre « Se nourrir : le défi de l’Afrique » :
> Quelles sont les tendances lourdes susceptibles de se prolonger et qui vont façonner l’avenir des systèmes alimentaires ?
> Quels sont les germes de changement en mesure d’infléchir ces tendances ?
> Quels sont les agents potentiellement les plus dynamiques, capables de porter la transformation nécessaire ?
> Avec quelles options agronomiques, techniques et financières ?
> Avec quelles réponses aux enjeux démographiques et spatiaux, notamment ceux associés à l’urbanisation rapide ?
> Avec quels leviers d’action pour atténuer les vulnérabilités aux divers chocs (climatique, sanitaire, sécuritaire…) que les systèmes alimentaires subiront ?

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Réinventer les politiques agricoles
et alimentaires en Afrique

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La réinvention des politiques agricoles et alimentaires ne pourra pas être obtenue sans faire dévier hors de son sillon la trajectoire agricole tracée en Afrique depuis des décennies. Il faudra une disruption des pratiques de gestion de l’eau, des sols, des semences, des nutriments et des autres ressources pour stimuler les facultés d’adaptation de l’agriculture, de la pêche et de l’élevage. Sachant que, dans ces domaines, il n’existe aucune démarche de transformation qui n’est pas inscrite dans le temps long.

Quelles orientations pour guider la stratégie de souveraineté alimentaire du continent ? Mettre en son centre l’économie paysanne et ses éminentes fonctions, et aussi ses savoirs propres, pourra permettre de faire évoluer positivement les conditions de la couverture des besoins tant ruraux qu’urbains. On retrouve ici les revendications de nombreuses associations paysannes : la transition vers des systèmes alimentaires résilients nécessitera de mettre l’accent sur l’équité, le bien-être social et l’inclusion des agriculteurs et des communautés dans la conception et la mise en œuvre de solutions appropriées au niveau local.

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Intensifier la production n’est pas
une option, mais une exigence

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Comment doubler la production agricole en produits de la pêche et de l’élevage d’ici à 2050 ? Les limites foncières sont avérées. Notre estimation porte sur une croissance des disponibilités réelles à des conditions de rendement acceptables de l’ordre de 50 à 100 millions d’hectares. Guère plus. Les pratiques associant diversification et intensification donneront les meilleurs résultats.

L’agriculture africaine dispose déjà devant d’un spectre assez vaste de solutions soit alternatives, soit complémentaires, empruntant à l’un, à l’autre, voire aux trois modèles (conventionnel, transgénique, agroécologique). Les potentialités de la combinaison de l’ingénierie génétique et de l’ingénierie écologique sont importantes pour construire une « agriculture écologiquement intensive ».
Cela se fera avec des techniques nouvelles dont le foisonnement est déjà impressionnant, que celles-ci portent sur des itinéraires agroécologiques ou sur la transformation des produits pour favoriser le « consommer local » en produits nutritifs et sains de qualité et accessibles au plus grand nombre, et ainsi lutter contre le triple fardeau de la malnutrition (carence en aliments, carence en nutriments, obésité).

L’adoption, au fur et à mesure de l’urbanisation, de modèles de consommation alimentaire importés n’est pas une fatalité. Les consommateurs urbains auront, comme c’est déjà la tendance, de plus en plus besoin de produits rapides à consommer et plus simples d’utilisation, nécessitant souvent au moins une étape de transformation entre le champ et le panier du consommateur. Il est important que la part des aliments non sains et ultra-transformés soit limitée autant que possible par des mesures politiques. Développer un tissu d’entreprises artisanales ou industrielles de transformation, s’approvisionnant localement, demandera d’intensifier les efforts d’accompagnement et de soutien à l’investissement.

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Conquérir le manger local
avec le produire local

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Les « évolutions sous contraintes » pourront profiter à la consommation de denrées locales. Infléchir durablement les habitudes alimentaires en substituant par exemple les mil et sorgho aux céréales importées dans les pays sahéliens ou en valorisant davantage les légumineuses n’est plus un obstacle infranchissable. Grâce à l’ingéniosité dont font preuve en particulier les femmes, certains amylacés locaux parviennent à conquérir une place au titre du « manger local » : céréales sèches et plantains, légumineuses qui peuvent contenir de grandes quantités de protéines et de calories.

Ces produits doivent intégrer les qualités appréciées dans les produits importés (goût, présentation, facilité de préparation), mais tenir également compte de la « culture alimentaire » locale dont les femmes sont toujours les garantes au sein du ménage et des communautés. La recherche appliquée a une opportunité à saisir si elle repose sur des enquêtes de comportements alimentaires débouchant sur les thèmes publicitaires pertinents et si elle associe pour la transformation les artisans et les entreprises locales.

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Investir pour faire face au « premier
kilomètre » tout en protégeant les marchés

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Le besoin d’une meilleure infrastructure de transport rural en Afrique subsaharienne est pressant et évident. Les stratégies du transport rural obéissent toutes aux mêmes objectifs : faire face à la contrainte du « premier kilomètre » dans le transport des produits agricoles en provenance de la ferme ; assurer la bonne gestion du « dernier kilomètre », car c’est à ce moment-là que se produit le contact avec les clients finaux ; augmenter la résistance aux aléas climatiques, notamment à travers l’amélioration des routes en milieu rural ; mettre en place des dispositifs efficaces d’entretien des pistes et des routes…

Une protection aux frontières est structurante si elle est bien conçue et bien ciblée. Les arguments pour une augmentation raisonnée des droits de douane sur les produits agricoles en Afrique, au moins à hauteur des mesures de sauvegarde pour les produits sensibles autorisés par l’OMC, ne manquent pas : réduction de la concurrence des importations à bas prix pour renforcer les chaînes de valeur locales, baisse du déficit commercial, moindre dépendance alimentaire à l’égard des marchés mondiaux. Et suppression des « rentes à l’importation » dont jouissent nombre de grands commerçants.

Tant il est vrai que les agricultures africaines sont diversifiées, la logique de l’intégration des marchés régionaux sonne comme une évidence. L’échelon régional sera pertinent pour penser l’avenir. Les attentes sont grandes et la marge de progression des échanges au sein du continent est importante. La demande régionale croissante de produits alimentaires de qualité offrira une occasion d’impulser la transformation durable du secteur agroalimentaire. La création de chaînes de valeur régionales (CVR) peut devenir un objectif réaliste.

Elle répond à trois objectifs : tirer parti des complémentarités entre pays et acteurs économiques de la région, exploiter la demande croissante de produits alimentaires frais et transformés et se protéger contre les distorsions transmises par les marchés internationaux.

L’expérience montre que la cohérence entre les réponses à court terme aux crises récurrentes ou exceptionnelles et les changements transformationnels qui relèvent du long terme doit être au centre des politiques. Pendant longtemps, la main droite (l’appui à la production céréalière) ne savait pas ce que faisait la main gauche (les délivrances de licence d’importation). Le caractère contradictoire d’une politique volontariste pour développer la production locale, mais qui reste en même temps sous l’influence des importateurs en quête de rentes, illustre le dilemme dans lequel se trouvent pratiquement partout les pouvoirs politiques, alternant entre la protection des intérêts des producteurs ruraux et la libéralisation des importations.

Pour autant, les leviers d’action de la transformation structurelle sont à la portée des gouvernants africains. Pour peu qu’ils laissent se déployer la multitude d’initiatives et qu’ils facilitent leur floraison, avec au premier rang les femmes en quête d’autonomie et les jeunes en quête d’intégration.

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Une réalité s’impose :
l’Afrique est plurielle

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Tous les acteurs et actrices ne sont pas enfermés de la même manière dans le jeu des contraintes de leur écosystème et insérés de façon identique dans le système marchand. Il n’y a rien de comparable entre l’Afrique de l’arganier et de l’olivier du Maroc, l’Afrique des greniers et de la daba du Burkina Faso, l’Afrique des bananiers et des euphorbes des Grands Lacs, l’Afrique des larges plaines irriguées d’Égypte ou celle des rizicultures étagées malgaches…

Sur ce constat de la diversité, l’analyse des systèmes agricoles et alimentaires débouche sur l’existence de pas moins de quinze grands systèmes différents en Afrique subsaharienne et huit systèmes en Afrique du Nord. Chacun de ces systèmes comprend des millions de ménages agricoles avec des niveaux contrastés de ressources, d’accès aux services et de stratégies d’adaptation. Devant des réalités si bigarrées, la démarche suggérée dans ce livre est de mettre en valeur l’hétérogénéité et les richesses des pratiques, le caractère multiple et parfois paradoxal des logiques qui président à l’action des acteurs et actrices, même si l’exercice de synthèse oblige parfois à une certaine forme de généralisation.

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LA XVe CONFÉRENCE DES AMBASSADEURS AFRICAINS DE PARIS se tiendra le MARDI 26 NOVEMBRE 2024, à partir de 17 h,
au Conseil supérieur du Notariat, 60 boulevard de La Tour-Maubourg, 75007 Paris, sur le thème :

« Les réalisations et projets de réseaux ferrés,
infrastructures d’avenir pour l’Afrique »

> SEM Alaa YOUSSEF, Ambassadeur d’Égypte
> SE Mme Samira SITAÏL, Ambassadeure du Maroc
> SEM Mohamed Yahya TEISS, Ambassadeur de Mauritanie
> SE Mme Guilhermina PRATA, Ambassadeure de l’Angola

ont déjà confirmé leur participation au panel.

Candidats panélistes experts et entreprises sponsors souhaitant participer, faites-vous connaître auprès de : contact@africapresse.paris

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