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Philippe BOHN, ancien DG d’Air Sénégal : « En Afrique, la sécurité au sol est aussi importante que la sécurité en vol »

24 janvier 2020
Philippe BOHN, ancien DG d'Air Sénégal : « En Afrique, la sécurité au sol est aussi importante que la sécurité en vol »
Administrateur d’Air Sénégal, dont il fut le Directeur général, Philippe BOHN est aujourd’hui Président d’une société de Conseil aéronautique. Il parle donc en expert des conséquences du développement du trafic aérien et rappelle que « le premier critère de choix d’une destination et d’un transporteur aérien, c’est la sécurité ! »

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Propos recueillis par Bruno FANUCCHI, AfricaPresse.Paris
@PresseAfrica

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Le marché aérien est en pleine expansion en Afrique où, après Dakar en 2017, et Nouakchott (Mauritanie) en 2016, un nouveau terminal a été inauguré à Addis Abeba en 2019, en raison du développement exponentiel d’Ethiopian Airlines… Pouvons-nous faire un point sur ce sujet ?

Philippe BOHN – Il y a beaucoup d’espoir, justifié en ce sens que le transport aérien (fret ou passagers) est le témoignage du développement économique d’une région ou d’un pays. C’est un point incontestable. Ce sont bien évidemment des investissements lourds et importants pour les États. La réussite par exemple d’Air Sénégal est le résultat de l’investissement voulu, consenti et supporté par le Président Macky Sall qui a une véritable stratégie de développement industriel et une politique de filière, un peu comme ce que nous avons connu en France à l’époque du général De Gaulle, qui avait lui-aussi une vision et une stratégie industrielles.

Mais de nombreux pays d’Afrique ne veulent-ils pas devenir un « hub » aérien ?

Philippe BOHN – Pour devenir un « hub », il y a cependant quelques pré-requis : la situation géographique tout d’abord, l’attractivité du pays ensuite. Mais ces deux points acquis, une troisième condition est cruciale et se pose en ces termes suivants : quand quelqu’un prend l’avion, que ce soit à titre privé ou professionnel, le premier critère de choix d’une destination et d’un transporteur aérien, c’est la sécurité !

Vous pouvez prendre le problème dans tous les sens, l’économie se développe dans le monde sur un seul critère, celui de la sécurité dans tous les sens du terme. État de droit, sécurité juridique, mais aussi sécurité physique et environnement des affaires, qui sécurisent les investissements et le transport des biens et des personnes.

Prenons par exemple les deux pays phares de l’Afrique de l’Ouest, en termes économiques, que sont le Sénégal et la Côte d’Ivoire, des pays frères mais ayant chacun leur spécificité. La réussite du Sénégal est fondée sur le fait qu’il y a une fois de plus un soutien de l’État et dans le respect absolu des normes de sécurité à tous égards. Car on parle des avions, bien sûr, mais la question des aéroports, de la plateforme aéroportuaire et de tout ce qui entoure la gestion de cette plateforme (le « on-line », le fret, les questions de contrôle du fret, des bagages et de la circulation sur l’aéroport lui-même) sont indissociables de la sécurité aérienne.

« Dans l’aérien, il ne faut pas s’aventurer
dans une nouveauté que l’on ne maîtrise pas »

Prenons l’exemple de la Côte d’Ivoire et de l’aéroport d’Abidjan...

Philippe BOHN – Si l’on parle de ce pays qui, avec Air Côte d’Ivoire, a une très bonne compagnie aérienne dont je connais bien le PCA, le général Coulibaly, qui est un ami de longue date pour lequel j’ai le plus grand respect, on ne peut que constater que lui et son équipe ont fait un travail formidable.

Mais aujourd’hui, on voit bien que l’une des limites qui s’imposent à eux, c’est la question de la sécurité. Je me souviens des tristes événements de Grand Bassam qui firent plus d’une vingtaine de morts le 13 mars 2016 sur les plages de cette station touristique.

Aujourd’hui, par exemple, sur la plateforme d’Abidjan, la question du « on-line », du fret est opéré par NAS, de façon très professionnelle et très rigoureuse. Mais l’on voit bien aussi qu’il y a parfois des entreprises qui ne sont pas à la hauteur avec la même rigueur professionnelle. Je lisais l’autre jour un article d’Africa Intelligence, publication en général bien informée, sur une société opérant dans ce secteur d’activité, et dont une partie de l’actionnariat est pour le moins opaque. Un cas traité également, ces jours-ci, par La Tribune Afrique

Pour tout développeur de l’aérien, ce type de situation est un « no go ». Tant il est vrai que la sécurité doit toujours être notre première préoccupation.
Des gens qui prendraient la responsabilité de mettre en place des entreprises pour gérer le « on-line » ou le fret sur une plateforme aéroportuaire où il n’y a pas une garantie de sécurité absolue à 100 % prendraient des responsabilités très lourdes par rapport à des événements dramatiques qui pourraient se produire, car cela met à risque l’ensemble de la crédibilité du pays.

En résumé, le transport aérien dans la zone ouest-africaine est lié à la capacité des pays et des plateformes aéroportuaires à démontrer que les passagers (privés, entreprises, fret) puissent travailler et voyager dans une sécurité absolue car c’est le premier critère. Je dirai ainsi qu’en Afrique la sécurité au sol est aussi importante que la sécurité en vol !

Quels sont les pays et les sociétés qui ont les meilleurs habitudes et process en ce domaine ?

Philippe BOHN – La France, bien entendu, a un savoir-faire qui est connu et reconnu. Comme beaucoup d’entreprises françaises. les gens d’Aéroport de Paris savent de quoi ils parlent. Vinci Airport, un leader mondial et la société qui investit le plus dans ce secteur, aussi. Nos amis Turcs qui, sur Dakar par exemple, ont fait un travail très sérieux et de grande qualité ont une bonne expérience professionnelle. Comme la société NAS, une société du Moyen-Orient qui intervient à Abidjan. Ce sont des gens sérieux que l’on connaît.

Mais ce marché doit-il s’ouvrir à la concurrence ?

Philippe BOHN – Pourquoi pas ? Il est vrai cependant que, lorsqu’il y a de nouveaux entrants, il faut être très prudents car c’est un métier sérieux. Une fois passé l’enthousiasme de mettre les gens en concurrence pour faire des économies, il y a la réalité opérationnelle, la réalité du savoir-faire et la réalité – une fois de plus - de la traçabilité et de la sécurité qui reste le seul « maître-mot » dans cette industrie. L’aérien, c’est avec le nucléaire, l’industrie la plus normée au monde.

C’est comme cela que l’on a construit Air Sénégal, dans la rigueur des process et dans la rigueur des normes de sécurité, car c’est la première question que chacun se pose avant de prendre l’avion. On ne peut donc pas dissocier la rigueur avec laquelle on gère la plateforme aéroportuaire, de l’activité quotidienne d’une compagnie aérienne, et donc de son développement.
Tout cela est lié et imbriqué, c’est comme un véritable puzzle. Or, dans cette chaîne, si vous avez un maillon faible, la chaîne casse toujours là. Vous pouvez avoir la meilleure compagnie du monde avec les meilleurs avions, mais si vous avez un maillon faible sur votre plateforme aéroportuaire, cela fragilise l’ensemble du process et l’ensemble de la chaîne industrielle. Il faut donc être très très vigilant sur ces questions.

C’est difficile d’avoir de nouveaux entrants sur ce marché très sensible car – une fois de plus - le mirage que l’on a avec un nouvel entrant qui va être moins cher, à un meilleur coût et que l’on va mettre en soi-disant concurrence, tout cela c’est bien gentil, mais dans ce métier rien ne remplace la solidité des process éprouvés et l’expérience.
Ce qui ne veut pas dire, bien sûr, que les gens qui ont des positions établies doivent les garder ad vitam aeternam, sans être mis sous pression pour revoir leur process en permanence, pour les challenger et les améliorer. Quand on a la chance d’avoir des acteurs professionnels, il faut les forcer à s’améliorer et ne pas s’aventurer dans une nouveauté que l’on ne maîtrise pas.

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