LE DOSSIER DU 1er FORUM AMBITION AFRICA (Paris-Bercy, 22-23 octobre)
Paul BOURDILLON, DGA de SUEZ Afrique, Inde et MO (2/2) : « En Afrique, il faut financer à la fois la construction et l’exploitation des infrastructures »
Propos recueillis par Alfred Mignot, AfricaPresse.Paris
@alfredmignot
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Paul Bourdillon – Chez SUEZ nous avons trois métiers fondamentaux : la gestion de l’eau, le traitement des déchets et la conception, construction et exploitation d’infrastructures, activité anciennement exercée par Degrémont, qui s’appelle maintenant SUEZ Infrastructures de traitement.
C’est par cette dernière activité qu’historiquement SUEZ est très présent et très connu sur le Continent, où nous avons bâti plus de 500 usines d’eau pour environ 90 % des capitales – c’est une belle histoire, qui a commencé par la construction d’une première usine, en Egypte en 1948.
En ce moment même, nous sommes en train de construire des usines dans plus d’une dizaine de pays : au Mali, au Burkina Faso, au Cameroun, au Kenya, en Côte d’Ivoire, en Egypte et en Algérie… Et nous avons gagné cette année plusieurs appels d’offres pour en construire d’autres encore : au Sénégal, en Ouganda…
Cette activité de construction d’usines de traitement est un métier dont nous sommes toujours très fiers, et qui représente pour l’instant notre principale activité en Afrique subsaharienne.
Mais que se passe-t-il une fois que l’usine est construite ? Vous partez… ?
Paul Bourdillon – Historiquement, nous répondions aux appels d’offres des projets de construction financés par des bailleurs de fonds internationaux – AFD, Banque mondiale, etc. – et nous construisions sans devenir pour autant un acteur d’exploitation.
Cependant, au fil du temps, nous avons tissé des relations fortes avec nos clients, nous avons constitué un portefeuille de pays où l’on revient régulièrement, même si bien sûr ils n’ont pas besoin de construire une nouvelle usine chaque année. Mais voici par exemple le cas de notre relation historique avec le Sénégal : à ce jour, nous y avons construit toutes les usines d’eau potable. Sur le site de Keur Momar Sarr, situé à 300 km au nord de Dakar, nous avons réalisé il y a vingt ans la station KMS 1 ; puis KMS 2, il y a dix ans, et grâce à un nouvel appel d’offres gagné, nous construisons en ce moment la station KMS 3.
Donc au-delà de la construction des usines de traitement, envisagez-vous désormais de développer une offre pour leur exploitation ?
Paul Bourdillon – Oui ! Aujourd’hui notre objectif est clairement de pérenniser plus d’activités d’exploitation et de nous renforcer dans la prestation de services de long terme, partout en Afrique.
Par prestation de service, il faut entendre la gestion des usines et des réseaux d’eau potable et d’assainissement. Au Maroc avec Lydec et en Algérie avec la SEAAL, nous gérons les deux à la fois ; en Égypte, c’est plutôt l’exploitation des stations d’épuration, mais là aussi nous cherchons à pérenniser les deux activités.
Quel est votre point de vue sur la question de la gestion de la rareté des ressources en eau, dont chacun s’accorde à penser qu’elle ira croissant, particulièrement en Afrique où Le Cap, par exemple, vient de subir un rationnement de l’eau potable ?
Paul Bourdillon – Selon les statistiques sur la consommation d’eau en général, 70 % de cette consommation va à l’agriculture, à peu près 20 % à l’industrie et environ 10 % à l’usage domestique.
Mais forcément, en cas de situation de grande rareté, une priorisation des besoins s’impose. Lors de la grande sécheresse qui a touché ces dernières semaines la ville du Cap en Afrique du Sud, les autorités ont bien sûr priorisé la consommation domestique et ont demandé aux industries et aux agriculteurs de faire de gros efforts.
Cet épisode de stress hydrique du Cap se reproduira, là et ailleurs sur le Continent… on dit même qu’à l’horizon 2030, 60 % de l’Afrique sera en état de manque d’eau.
Il faudra bien gérer tout cela… Au Maroc par exemple, les autorités travaillent sur des projets de construction d’usines de dessalement, justement pour pouvoir fournir de l’eau aux agriculteurs. L’Algérie, qui est déjà bien équipée, réfléchit à l’opportunité d’en construire d’autres. La Tunisie est également en réflexion, et en Égypte plusieurs usines sont en chantier.
Donc le dessalement serait une voie d’avenir pour obtenir de l’eau potable, ou à usage agricole ?
Paul Bourdillon – SUEZ maîtrise cette expertise depuis les années 1970, nous avons construit environ 3 300 usines de dessalement dans le monde – et d’ailleurs nous en avons livré une très belle cet été à Barka, ville du sultanat d’Oman…
Reste le problème du coût du dessalement, encore assez élevé, même si nous travaillons à le réduire. C’est un processus très gourmand en termes de consommation électrique, tant pour le fonctionnement des membranes que pour le pompage.
Mais l’important pour nous, dans un contexte de forte croissance de la population – l’Afrique va passer d’ici à 2050 de 1,2 milliard à 2,5 milliards d’habitants –, d’urbanisation galopante et des effets du changement climatique sur les ressources, les besoins d’eau des populations ne seront pas satisfaits à la même vitesse. Notre priorité, dans cette perspective, c’est la préservation et la bonne gestion de la ressource.
Comment entendez-vous relever ces défis de la préservation des ressources et de la réutilisation des eaux usées ?
Paul Bourdillon – Le premier défi, c’est évidemment de réduire les pertes d’eau, éviter le gaspillage, améliorer sans cesse l’état du réseau, anticiper les fuites et le renouvellement nécessaire.
En Algérie, dans le cadre du nouveau périmètre du contrat [voir notre article : P. BOURDILLON, DGA SUEZ Afrique, Inde et MO (1/2) : « Le développement inclusif est au cœur des activités de SUEZ en Afrique » ], nous allons déployer nos solutions AquadvancedTM, avec des capteurs pourvus d’intelligence artificielle, analysant en permanence et en temps réel ce qui se passe partout sur le réseau. Et qui nous alertent dès qu’ils observent un indicateur anormal… ce qui nous permettra de réduire et réparer aux plus vite les fuites, et donc éviter les pertes.
Par ailleurs, les eaux usées traitées représentent aujourd’hui une ressource peu exploitée en Afrique. Nous avons en effet la capacité de réaliser un traitement complémentaire, dit tertiaire, qui permet que l’eau recyclée soit réutilisable directement pour divers usages, comme l’arrosage des parcs et jardins, ou encore l’irrigation agricole.
C’est un point très important pour nous, que nous proposons aux autorités. En Jordanie par exemple, nous avons réalisé une très belle installation, As Samra, qui traite la plupart des eaux usées de la capitale Amman avec un recyclage des eaux, utilisées par 4 000 fermes de la région.
Séance inaugurale du grand Forum Ambition Africa, lundi matin 22 octobre à Paris-Bercy, au ministère de l’Économie et des Finances, avec les allocutions de : Christophe LECOURTIER, Directeur Général de Business France, opérateur de l’événement ; Agnès PANNIER-RUNACHER, Secrétaire d’Etat auprès du Ministre de l’Economie et des Finances ; Jean-Baptiste LEMOYNE, Secrétaire d’Etat auprès du Ministre de l’Europe et des Affaires Etrangères ; Rémy RIOUX, Directeur Général de l’Agence Française de Développement (AFD) ; Sambou WAGUE, Ministre de l’Energie et de l’Eau du Mali ; Amadou KONE, Ministre des transports de la République de Côte d’Ivoire. © AM/AfricaPresse.Paris
? On en entend peu parler… Or on sait qu’en Afrique les villes croissent très vite, et qu’elles disposent de moyens très insuffisants pour ce type de besoins. Comment faire pour avancer ?
Paul Bourdillon – Comment avancer, oui ! … Évidemment, l’accès à l’eau potable est la première nécessité à satisfaire ! Tous les États placent l’eau potable parmi des cinq besoins primaires à combler, avec l’électricité, l’éducation, la santé et l’emploi. Donc, effectivement, le traitement des déchets ne figure pas dans cette liste du top 5 des priorités !
Cependant, depuis quelque temps, nous constatons un changement d’attitude sur cette question. Les responsables politiques en parlent plus souvent, cela commence à devenir une préoccupation majeure des populations.
Notamment parce que si dans le passé les décharges se trouvaient loin des centres-villes et donc étaient peu visibles, aujourd’hui, avec la très forte croissance de l’urbanisation, ces sites se retrouvent en pleine ville, entourés par les habitations construites parfois pour les classes moyennes.
C’est donc devenu une réelle préoccupation, car les sites ne sont pas gérés, le biogaz toxique n’y est pas collecté, ni les lixiviats, les jus produits par la décomposition des déchets de ces sites, qui potentiellement peuvent polluer des sources d’eau ou des nappes phréatiques, sans parler des incendies et des éboulements… C’est donc en train de devenir un problème bien plus sérieux.
Alors, comment faire, en termes de moyens ?
Paul Bourdillon – Effectivement se pose la question des moyens de ces villes à financer l’exploitation d’un service d’eau potable et aussi d’un service de gestion des déchets.
Comme je vous le disais, nous avons bien réussi en Afrique dans notre activité de construction d’usines de traitement des eaux… Mais nous avons constaté que souvent, une fois la construction réalisée sur la base de financements de bailleurs de fonds internationaux, l’exploitation revient à la ville ou à l’entité qui gère les eaux localement. Et en fait, celles-ci ne disposent pas forcément des budgets pour bien gérer l’outil comme il le faudrait, notamment en termes de maintenance préventive, point très important si vous voulez faire perdurer une usine le plus longtemps possible.
Parfois, les autorités locales nous demandent d’assurer deux ou trois ans de formation des personnels locaux et de transfert de savoir-faire, ce que l’on fait évidemment avec plaisir, mais ensuite assurer le service… cela demande un minimum de moyens.
Or les bailleurs de fonds ont pour principe de financer le seul investissement, amortissable sur le long terme, et non les coûts d’exploitation, qui doivent être financés par les budgets d’exploitation des entités locales. Finalement, s’il y a un manque de moyens pour la maintenance préventive de l’usine, cela peut conduire à une défaillance. Et parfois, quelques années plus tard, il peut s’avérer nécessaire de construire une nouvelle usine !
Il faudrait donc coupler le financement de l’investissement et de l’exploitation, cesser de les dissocier. C’est le message que nous partageons avec les bailleurs de fonds internationaux.
Cette idée de coupler le financement de l’investissement et celui de la maintenance d’une usine paraît d’une logique implacable, en effet ! Mais les bailleurs de fonds sont-ils sensibles à votre argumentation ?
Paul Bourdillon – Mais, oui ! Certains bailleurs de fonds ont désormais accepté de financer une partie de l’exploitation ! Par exemple, l’Agence française de développement (AFD) qui s’implique sur un très beau projet que nous sommes en train de réaliser en Égypte, sur le site d’Alexandrie Est.
Il s’agit d’une grande station d’épuration de traitement d’eaux usées – 800 000 mètres cubes par jour – que nous avons construite à partir de 2008, que nous exploitons depuis et dont nous avons signé un projet d’extension incluant l’installation d’un nouveau processus de digestion des boues qui étaient précédemment traitées ailleurs – avec aussi la co-génération d’énergie sur le site… Donc tout ce projet – la construction et deux ans et demi d’exploitation – est financé par l’AFD.
Cela rentre dans le cadre de la nouvelle politique de la AFD de financer plusieurs années d’exploitation, tout comme d’autres IFIS, tels la Banque mondiale et un certain nombre d’autres bailleurs…
Pour en finir sur ce sujet, je dirai que la prise en charge du financement de l’exploitation est en effet une solution, mais il y a aussi d’autres. L’AFD est justement en train de tester une idée de garantie de paiement d’exploitation… Une hypothèse où c’est donc au client de payer, mais où l’AFD l’accompagnerait en mettant en place une garantie opérateur. Et d’autres solutions sont encore envisageables, par exemple le financement d’une quote-part d’exploitation… Mais mon message, très clairement, c’est : aidons-nous les uns les autres à trouver une solution viable, qui sécurise et qui nous fasse travailler tous ensemble, client, bailleur et prestataires.
Donc vous portez cette nouvelle approche sur la nécessité de lier le financement de l’infrastructure et celui de son exploitation ?
Paul Bourdillon – Oui, en effet ! Nous portons cette vision stratégique que nous portons depuis quelques années auprès des bailleurs comme des clients, car il est absolument fondamental de prendre en compte les coûts totaux du cycle de vie de l’outil, et pas seulement l’investissement d’infrastructure.
Qu’il s’agisse de la gestion de l’eau ou du traitement des déchets, la problématique est d’ailleurs exactement la même !
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er FORUM AMBITION AFRICA
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