Patrick SEVAISTRE à l’AG du CIAN : « Le fossé se creuse entre l’Union européenne et l’Afrique »
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Une contribution de Patrick SEVAISTRE
Président de la Commission Institutions européennes du CIAN
Version écrite de l’allocution prononcée à l’AG.
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La vision de la Commission européenne s’exprime par :
- Le rapport Draghi sur la compétitivité européenne – suivi par la Boussole de compétitivité de Mme von der Leyen et les nouvelles stratégies de compétitivité interne et d’autonomie stratégique (cf. approvisionnement en matières premières critiques) pour ne pas être broyée par la tenaille sino-américaine ;
- La prise de conscience à Bruxelles (mais reste encore un mélange de naïveté et d’utopie) que l’on est passé d’un libre-échange néolibéral ouvert à un monde fondé sur l’usage de la force
Les besoins de financement qu’entraîne cette nouvelle donne (cf. réarmement de l’Europe, reconstruction de l’Ukraine et remboursement à partir de 2028 du grand emprunt européen post covid…) font l’objet de discussions très serrées entre les 27 s’agissant du futur budget multi-annuel (7 ans) de l’Union (le MFF, Multiannual Financial Framework 2028-2034) dont les négociations vont démarrer avant l’été.

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Un dialogue UE/UA
au plus bas
Ces nouvelles priorités et leur financement pourraient reléguer l’Afrique à une place secondaire dans l’agenda international de l’UE. Le fait est que le dialogue politique UE-UA est aujourd’hui au plus bas :
- Depuis le dernier sommet UE-UA en février 2022 à Bruxelles (quelques jours avant l’invasion de l’Ukraine) c’est peu dire que le monde a changé – on est passé d’un monde compliqué (relativement stable et relativement prévisible) à un monde complexe (totalement instable et totalement imprévisible).
- L’Afrique de son côté est aussi en train de changer : une Afrique dominée est en train de faire place à une Afrique souveraine, qui est libre de choisir ses partenaires et qui n’accepte plus les leçons que veut lui donner l’Occident – cf. les BRICS, dont sont membres l’Afrique du Sud (depuis 2010) et depuis 2024 l’Égypte et l’Éthiopie, tandis que Nigeria et Algérie frappent à la porte.
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Dans ce contexte le fossé de creuse entre l’UE et l’Afrique.
La sémantique a changé à Bruxelles : dans les premières discussions sur le prochain MFF, on trouve peu de référence diplomatique aux ODD. La Commission ne parle plus de « partenariat d’égal à égal » avec l’Afrique, mais de « partenariats mutuellement bénéfiques égalitaires », et sans bien dire ce qu’on y met. On ne parle plus d’aide, mais d’investissement.
Le débat est vif aujourd’hui à Bruxelles (comme dans beaucoup de pays d’Europe) entre :
– D’un côté, les acteurs de la coopération au développement, traditionnellement tenus à l’écart des considérations géostratégiques, qui craignent une dilution de l’agenda de l’efficacité de l’aide, des principes et des valeurs du développement, ainsi qu’une captation de l’aide européenne par des intérêts particuliers européens.
– De l’autre, certains qui estiment que les intérêts géostratégiques des entreprises doivent primer, que l’UE a été trop naïve, et qu’elle doit chercher à rétablir des conditions équitables, non seulement vis-à-vis de ses rivaux systémiques (lire : la Chine), mais aussi face à certains de ses partenaires partageant les mêmes idées, parmi les autres pays de l’OCDE et du G7 (comme les États-Unis ou le Japon, par exemple).
Tout l’enjeu de l’UE aujourd’hui est de trouver un équilibre entre les deux, entre coopération au développement et soutien public hors APD à l’investissement et à la promotion des intérêts géostratégiques des entreprises européennes.
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L’échec
du Global Gateway
C’est dans ce contexte qu’a été proposée la stratégie du Global Gateway, à la fin de 2021, avec l’objectif de mobiliser 300 milliards € sur le budget 2021-2027, dont 150 milliards € pour l’Afrique.
Un des exemples de cette synergie entre intérêts stratégiques des entreprises européennes et les besoins de développement : faire en sorte que la dizaine de projets de corridors de transport du Global Gateway en Afrique (Flagship projects) destinés à servir de couloir d’évacuation des minerais stratégiques au profit de l’Europe, soient des corridors de développement pour les pays traversés, des espaces multipolaires fédérateurs de projets agroindustriels, d’infrastructures (routes, énergie) en co-investissement avec entreprises africaines.
Mais le fait est que le secteur privé, sans être absent, n’est pas jusqu’ici au rendez-vous au niveau auquel il était attendu dans le Global Gateway. Or sans le secteur privé européen, c’est l’échec assuré de cette stratégie, échec dont la Commission et États membres se rejettent mutuellement la responsabilité.
C’est sur ce thème de l’engagement du secteur privé UE dans le Global Gateway que EBCAM** (présidé par le CIAN) travaille actuellement avec nos homologues européens, là aussi dans un environnement instable que nous nous efforçons de consolider en faisant venir ou revenir de nouveaux membres, en particulier chez nos voisins sud-méditerranéens – je pense aux Italiens que nous avons remis dans la boucle et aux Portugais avec lesquels notre président Étienne Giros vient de renouer des contacts très prometteurs, et ce tout en évitant que d’autres, plus au Nord, ne nous quittent car les priorités et les intérêts ne sont pas les mêmes entre le nord et le sud de l’Europe vis-à-vis de l’Afrique.
Avec nos homologues européens, nous travaillons actuellement sur des recommandations très concrètes et des propositions opérationnelles permettant d’engager efficacement et systématiquement le secteur privé européen, dans le contexte du Global Gateway, dans une stratégie de co-investissement qui réponde aux priorités et aux besoins des pays partenaires
Nous sommes sur le point d’échanger avec la Commission sur ces recommandations et propositions
Le dialogue avec la Commission n’est pas simple – Il nous faut jouer des coudes pour être écouté… mais sera-t-on entendu ?
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* Le CIAN, Conseil français des investisseurs en Afrique (Paris), est membre de l’EBCAM** (European Business Council on Africa, Bruxelles). Les deux entités sont actuellement présidées par M. Étienne Giros.
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LIEN DE REPLAY de la CAAP 17,
XVIIe CONFÉRENCE DES AMBASSADEURS AFRICAINS DE PARIS
https://youtu.be/gmRQtTrRfNs?si=6BArnz8dQqBYd1wO
La photo de famille des panélistes. De gauche à droite : M. Foulo BASSE, Directeur général de la Fondation Brazzaville ; M. Zied LOUKIL, Partenaire associé chez Forvis Mazars et responsable Afrique ; Mme Joly ANDRES, Directrice adjointe chez Engie, membre de la Commission Afrique des CCE (Conseillers du Commerce extérieur de la France) ; M. Samuel GOLDSTEIN, Meridiam, Directeur du Développement Afrique ; M. Alfred MIGNOT, producteur et modérateur des CAAP, Directeur-fondateur AfricaPresse.paris ; SEM Émile NGOY KASONGO, Ambassadeur de la RD CONGO à Paris ; Mme Siby DIABIRA, IFC/Banque Mondiale, Responsable Ouest Europe ; M. Rémy RIOUX, DG de l’AFD ; M. Étienne GIROS, Président du CIAN ; Me Pierre Jean MEYSSAN, Premier Vice-Président du Conseil supérieur du Notariat ; M. Philippe BOZIER, Partenaire Forvis Mazars, Responsable Financement de projets. © Hady Photo/APP - CLIQUER SUR L’IMAGE POUR L’AGRANDIR.
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