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Numérique et code informatique au Maroc : levier d’accélération de l’enseignement supérieur et nouvel ascenseur social ?

21 juillet 2020
Numérique et code informatique au Maroc : levier d'accélération de l'enseignement supérieur et nouvel ascenseur social ?
Et si le numérique et la programmation informatique devenaient le nouvel ascenseur social du Maroc, notamment en réponse aux taux de déperdition scolaire et à l’insertion sur le marché de l’emploi ? Un groupe d’experts de Bearing Point fait le tour des prérequis et des bénéfices d’une approche volontariste.

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Une contribution de
Jean-Michel Huet, Associé Bearing Point, Afrique et développement International,
Saleh Cherquaoui, Senior Manager, Bureau de Casablanca,
Soukaina Kadiri et Marie Heipp, consultantes, Bureau de Casablanca

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La transformation numérique, si elle n’est pas une fin en soi, peut constituer un nouveau paradigme dans la création de valeur par et pour les établissements d’enseignement supérieur. Plus globalement, il est aujourd’hui de notoriété publique que le développement de l’usage des TIC est considéré comme une condition essentielle de l’égalité des chances, de la compétitivité de la croissance économique et de l’emploi.
La maîtrise de l’outil informatique par les étudiants, mais aussi par leurs encadrants, constitue désormais un socle de compétences que nul ne peut ignorer. Nous ne nous attarderons donc pas sur l’impérieuse nécessité de la maîtrise d’un tel outil, aujourd’hui devenue une nécessité ainsi qu’un élément de différenciation, mais plutôt sur les enjeux qui sous-tendent le déploiement de l’usage du numérique dans l’enseignement supérieur.

Ces enjeux sont essentiellement de trois natures :
• Pédagogique,
en utilisant de manière performante les nouvelles possibilités des TIC dans l’enseignement. Des MOOC (1) aux Serious Games, en passant par la réalité virtuelle, les possibilités sont multiples, pour ne pas dire infinies. Elles n’ont de limite que l’évolution de la technologie même. Elles permettent dans un premier temps de répondre à la problématique de la massification et du sous-encadrement, et dans un second temps de proposer de nouvelles techniques d’apprentissage pédagogique, centrées sur l’acquisition de compétences.

Quelques initiatives ont néanmoins le mérite d’exister, notamment celles de :
o l’EMI, qui a mis en place un campus numérique offrant un service de formation à distance et une bibliothèque numérique ;
o l’université Hassan II, qui a déployé une plateforme MOOC ;
o l’initiative Maroc Université Numérique ;
o etc.

Cela implique évidemment que les étudiants et leurs encadrants puissent être équipés en matériel adéquat. À ce titre, il convient de souligner l’existence du programme INJAZ, qui, chaque année, s’appuie sur une offre de services des opérateurs de télécommunications constituée d’un pack étudiant comprenant un service Internet haut débit et un ordinateur portable léger (2).

• Institutionnelle, en offrant aux décideurs les outils leur permettant de maîtriser en temps réel l’actualité des établissements et de piloter leur performance. La transparence, la bonne gouvernance, l’harmonisation et la bonne prise de décision dans un environnement complexe et à multi-composantes impose des défis de taille en termes de suivi et de pilotage. La mise en œuvre d’un système d’information cohérent, articulé et harmonisé constitue sans aucun doute un véritable catalyseur dans la remontée d’indicateurs, à toutes les mailles décisionnelles, permettant de suivre les développements « sur le terrain », de prendre les décisions adéquates, mais également de réaliser un exercice de prospective aux fins d’élaboration des stratégies idoines ;

• Sociale et sociétale, en fournissant aux élèves et aux enseignants des services innovants pour améliorer la vie étudiante, mais aussi en leur donnant les moyens de comprendre les enjeux de société, les enjeux économiques et stratégiques liés à ces technologies. Il s’agit là d’un effet d’entraînement direct, dans la mesure où le numérique devra s’inscrire en filigrane d’un nouveau paradigme socio-économique, dont le domaine éducatif, et l’enseignement supérieur a fortiori, devra être le garant.
De plus, si certains établissements disposent des moyens d’acquérir des ERP universitaires, d’autres se retrouvent dans l’obligation de « faire avec les moyens du bord », afin de proposer aux étudiants des applications leur permettant de consulter les archives de cours en ligne par exemple. L’aspect financier est donc déterminant pour permettre à ces établissements d’entamer leur transformation numérique.

La transformation numérique de l’enseignement supérieur marocain nécessitera donc, dans le cadre d’un schéma directeur national du numérique, cohérent et rationnel, de développer de manière concomitante :
• les infrastructures et équipements
 : mettre à disposition de la communauté éducative l’infrastructure et les services adaptés aux usages ;

• les services numériques : généraliser l’accès et l’usage d’espaces numériques de travail et d’administration pour les étudiants et le personnel encadrant (services numériques pédagogiques, administratifs, documentaires, vie universitaire, etc.) ;

• les usages et ressources numériques : en complément des services numériques, le développement des usages nécessite d’être accompagné par une politique de production, de diffusion et de mutualisation des ressources pédagogiques ;

• la formation au numérique et l’accompagnement  : la généralisation de la maîtrise des outils digitaux dans les pratiques pédagogiques implique de fortes actions de formation et d’accompagnement de l’ensemble de la communauté éducative. Les personnels enseignants, les cadres administratifs et bien sûr les étudiants se doivent de développer leurs compétences en la matière.

L’enjeu de la maîtrise des langues

Et si le numérique, et plus particulièrement la programmation informatique, devenait le nouvel ascenseur social du Maroc, notamment en réponse aux taux de déperditions scolaire et à l’insertion sur le marché de l’emploi ?

L’économiste en chef de la Caisse des Dépôts et de Gestion affirme que la polarisation de la société marocaine, qui va bien au-delà du concept d’inégalités, est essentiellement sous-tendue par l’ampleur du chômage des jeunes, qui trouve lui-même son origine dans la maîtrise insuffisante de la langue française, en particulier chez les jeunes diplômés.

Son hypothèse se fonde, entre autres, sur le constat selon lequel le français (ou l’anglais d’ailleurs, ndlr) est la langue d’acquisition des compétences techniques, scientifiques et professionnelles, mais d’abord et surtout celle des employeurs.

L’économiste affirme également que la maîtrise du français est particulièrement faible au sein de la jeunesse marocaine et se trouve fortement déterminée par l’origine sociale. À ce titre, les chiffres du dernier rapport du Programme National d’Evaluation des acquis Scolaires (PNEA) sont accablants : les élèves des écoles publiques maîtrisent seulement 23 % du programme de français, contre 37 % pour les élèves des écoles privées. La démocratisation de l’accès au marché du travail reste donc un chemin long et sinueux, pavé d’embuches politiques, culturelles – voire cultuelles – et sociales.

Le Maroc tente de réformer son secteur éducatif depuis plusieurs années, mais il peine toujours à se relever d’une léthargie pluridécennale, ponctuée par des plans d’urgence dont les effets restent limités. En 2019 encore, les remous politiques provoqués par la loi-cadre sur l’éducation relèvent d’un anachronisme qui prend tout son sens dès lors que l’on observe, même de loin, le produit des systèmes éducatifs étrangers, dont l’excellence se mesure, entre autres, à l’aune des progrès technologiques qui nous envahissent chaque jour : des voitures autonomes à l’expérience client hyper personnalisée, en passant par les thérapies biotechnologiques ; le « numérique » se trouve partout, tout le temps, avec pour substantifique moelle des milliers de lignes de code et d’algorithmes.

À titre d’exemple, l’intelligence artificielle, ou le machine learning, qui est aujourd’hui sur toutes les langues, est une compilation informatique d’algorithmes capables d’auto-apprentissage, c’est-à-dire en mesure de progresser « intellectuellement » et de manière autonome dans l’exercice de la fonction qui leur est assignée. Par exemple parvenir à répondre en ligne et en temps réel aux questions d’un client mécontent, sans aucune intervention humaine.
Les Américains ont très vite compris qu’il était encore plus pragmatique d’apprendre aux enfants à programmer le numérique, au-delà de simplement l’utiliser.
En 2013, Barack Obama a lancé la semaine de l’informatique à l’école, au cours de laquelle tous les jeunes américains devaient créer leur propre jeu vidéo. « Cette compétence n’est pas seulement importante pour votre avenir, elle est importante pour l’avenir du pays » a-t-il dit. En 2014, le Royaume-Uni a donné le top départ d’un programme d’initiation pour les enfants à partir de l’âge de 5 ans. Ils étudient les bases de la programmation et apprennent deux langages à partir de 11 ans.

Sans vouloir surfer sur les nouveaux paradigmes pédagogiques qui ont aujourd’hui pignon sur rue, et qui sont d’ailleurs le fer de lance des nouveaux marchands de l’éducation au Maroc, une question simple se pose : pourquoi ne pas faire du code un langage d’enseignement universel au Maroc, sans bien sûr occulter les autres disciplines scolaires telles que les sciences humaines, l’art et la culture, et plus généralement ce que l’on appelle les soft skills ?

Il ne s’agit pas là de remettre en question la pédagogie des langues, mais plutôt d’introduire une nouvelle discipline en mesure de faire éclore des compétences jusque-là inexploitées, capables de catalyser un parcours de carrière, ou de vie. Pour ce faire, il conviendrait :

• d’introduire la programmation informatique comme véritable langue vivante et d’intégrer dans le cursus pédagogique des jeunes élèves dès les premières classes. Cela implique, entre autres, toute la préparation en amont, et notamment la formation des formateurs ;

de mettre en place des programmes de formation courts, à une maille régionale, en mesure d’inculquer les fondamentaux du code et capables d’offrir une réelle compétence aux apprentis. Des programmes comme le « Wagon », une formation intensive au développement Web de 9 semaines qui apprend à coder entièrement des applications Web, en sont une belle illustration.
L’OFPPT a lancé des initiatives dans ce sens, mais qui nécessitent d’être enrichies, renforcées et déployées dans le cadre d’un schéma synergétique national et d’une approche systémique ;

• de généraliser l’apprentissage du code dans l’enseignement supérieur, notamment via un modèle pédagogique dédié, s’appuyant sur des cycles de formation courts, professionnalisants et « agiles ». Par « agile », nous entendons une adaptation permanente aux exigences du marché de l’emploi marocain. Des instituts tels que l’école 42 à Paris, ou l’école 1337 à Ben Guerir ont montré la voie.

Face à une jeunesse marocaine à deux vitesses, dont une grande partie est sacrifiée sur l’autel des langues étrangères, la généralisation et la maîtrise de la programmation informatique permettrait à terme de :

• disposer d’une nouvelle génération de capital humain, spécialisée et formée rapidement, disposant des qualifications nécessaires pour accompagner la transformation numérique de la société marocaine ;

• renforcer l’équité dans l’insertion professionnelle, face aux nouvelles exigences du marché de l’emploi, permettant, à terme, de réduire la dichotomie sociétale qui accentue cette polarisation socio-économique du Maroc ; en offrant des passerelles créatrices de valeur et d’opportunités ;

• promouvoir la fibre entrepreneuriale de jeunes apprentis possédant désormais les armes pour mettre à exécution leurs idées, dans une société qui se numérise de plus en plus, constituant par effet d’entraînement un véritable levier de création d’emplois ;

• pallier le départ massif de ces compétences tant prisées par les employeurs étrangers, et transformer cette tendance en avantage pour le Maroc : produire des ambassadeurs au lieu d’envoyer des immigrés ;

• capter les nouvelles compétences africaines, dans la mesure où le continent a pris le virage numérique de façon plus avancée dans certains pays (Kenya, Rwanda, Ghana, etc.), et faire ainsi du Maroc un véritable hub des emplois et compétences africains.

Ainsi, à l’heure où l’on parle de leapfrog digital africain (3), ou « d’accélération industrielle numérique » au Maroc (4), l’apprentissage généralisé du « code » semble être une fantastique opportunité pour réaliser le bond en avant tant espéré.
Si la reconstruction d’un système éducatif fiable, efficient et pérenne est une affaire de générations, l’implémentation d’une culture du code peut se révéler moins fastidieuse, plus rapide et avec des résultats concrets à court terme, à condition d’un véritable engagement politique, académique et social.

Deux recommandations, sur le numérique au Maroc, pourraient être suivies :

• développer les budgets associés à l’investissement numérique. Le déploiement de tels moyens nécessitera indéniablement la conception d’un schéma directeur numérique national pour l’enseignement supérieur, cohérent, rationnel, et préconisant le développement de manière concomitante des infrastructures et équipements (notamment en mutualisant les Systèmes d’Information hétérogènes en vigueur actuellement), les services numériques (comme par exemple l’université numérique marocaine), les usages et ressources numériques ainsi que la formation au numérique ;

• instaurer le code informatique comme une langue vivante à part entière et en faire un véritable levier « d’accélération académique ». Son apprentissage nécessite peu de prérequis, et offre une seconde chance, notamment pour les lauréats déclassés, de réintégrer le circuit professionnel à travers des formations professionnalisantes, agiles et de courte durée (6 mois en moyenne).
Former une nouvelle génération de capital humain orientée « numérique » permettra non seulement de pallier les départs massifs de cette ressource rare, mais aussi de donner les moyens techniques et technologiques aux futurs entrepreneurs de mettre leurs idées à exécution, tout en répondant à une demande pressante du tissu économique pour cette catégorie de capital humain.

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1 - MOOC, Massive Open Online Course : type ouvert de formation numérique à distance capable d’accueillir un grand nombre de participants. L’appellation MOOC est passée dans le langage courant en France ; elle est désormais reconnue par les principaux dictionnaires
2 – Sont bénéficiaires, une seule fois, tous les étudiants (élèves ingénieurs et assimilés) inscrits en vue de l’obtention d’un diplôme national dans les établissements d’enseignement supérieur public partenaires de l’initiative « 10.000 Ingénieurs », à savoir : Ecoles d’ingénieurs, Facultés des Sciences et Facultés des Sciences & Techniques
3 - Huet, Jean-Michel, Africa and the digital leaprog, Pearson, 170 pages, 2018
4 - Déclaration de Moulay Hafid El Alami, Ministre de l’Industrie, de l’Investissement, du Commerce et de l’Économie Numérique, au salon Vivatech 2019.

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À PROPOS

LA PLATEFORME MAROC UNIVERSITÉ NUMÉRIQUE

La plateforme Maroc Université Numérique, dédiée à des cours en ligne ouverts et massifs, a été officiellement lancée au Maroc le 12 juillet 2019 à Rabat.
Développée en partenariat entre le ministère de l’Éducation nationale et le groupement français d’intérêt public « GIP FUN-MOOC », cette plateforme, première en son genre au Maroc et en Afrique, vise aussi à développer des cours en ligne privés à des petits groupes (SPOC) et à promouvoir la coopération entre les universités marocaines et françaises en matière de formation à distance commune, adaptée aux spécificités de l’enseignement supérieur au Maroc.
La plateforme propose des contenus dans des domaines variés : l’éducation et la formation, les sciences de l’ingénieur, l’informatique, l’économie et les finances, les sciences fondamentales, la santé, les langues, le management et l’entreprenariat, l’environnement, les sciences humaines et le droit.
La plateforme, dont l’accord de création a été signé en juillet 2016, vise à fédérer les projets des universités et écoles marocaines pour leur donner une visibilité internationale.

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(Site d’information du gouvernement)

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