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Ambroise Fayolle, VP de la Banque européenne d’investissement (BEI) :

« Nous sommes prêts
à prendre plus de risques en Afrique » (1/2)

19 août 2017
« Nous sommes prêts à prendre plus de risques en Afrique » (1/2)
Vice-président de la Banque européenne d’investissement depuis février 2015, Ambroise Fayolle est chargé de superviser de nombreux secteurs d’intervention de la BEI, tant en Europe qu’à l’international. Et si on le présente souvent comme la « cheville ouvrière » du plan Juncker, Ambroise Fayolle a aussi la responsabilité des financements de la BEI en Afrique de l’Ouest, une terre « chère à son cœur ». Tour d’horizon (volet 1/2), en exclusivité.

Photo ci-dessus : Ambroise Fayolle, vice-président de la Banque européenne d’investissement (BEI). (© BEI)


Propos recueillis par Alfred Mignot

Quelles sont les caractéristiques de l’action de la BEI sur le continent africain ?

AMBROISE FAYOLLE - Notre engagement en Afrique est presque aussi ancien que la BEI elle-même : l’institution a été créée par le traité de Rome en 1957, et nous venons d’en fêter les 60 ans. Nous avons engagé très tôt des actions en Afrique dans le cadre des accords du Gabon de 1960, puis de la convention de Lomé de 1975... nous sommes une institution mettant en œuvre une partie importante du mandat ACP [Afrique, Caraïbes, Pacifique, ndlr]. Ce n’est pas un mandat communautaire, mais c’est à travers lui que les États membres de l’UE contribuent à des politiques de développement en Afrique.

Je connais très bien l’univers de la Banque mondiale et des banques régionales de développement, et ce que j’ai découvert à la BEI, c’est qu’elle finance avant tout des projets concrets [1]. C’est la spécificité de la BEI et elle le fait depuis toujours.

Nous ne finançons pas, comme le FMI, de l’aide à la balance des paiements ; nous ne finançons pas non plus des projets d’assistance budgétaire ou des programmes dans des secteurs, comme le font la plupart des institutions multilatérales de développement. Nous finançons des infrastructures, des énergies renouvelables, du secteur privé...et ce sont ces projets qui favorisent la création d’emplois, le développement des entreprises, la transition énergétique, ce qui peut contribuer au développement de l’Afrique. Nous intervenons en étroite coopération avec nos partenaires, institutions multilatérales et bilatérales, comme par exemple l’AFD (Agence française de développement).

Quel est le niveau d’encours de la BEI en Afrique ?

À ce jour, l’encours de projets signés en Afrique s’élève à 21,5 milliards d’euros. La plus grande part de cette action concerne l’Afrique du Nord et le Proche-Orient, dans le cadre de mandats spécifiques qui mobilisent une part importante de notre ressource. Pour l’Afrique subsaharienne, l’encours est à ce jour de 7,8 milliards d’euros.

Quelle est la part relative de l’Afrique au regard de votre engagement international ?

L’essentiel de l’activité de la BEI se développe en Europe et 10 % de nos engagements s’effectuent en dehors de l’Union européenne. En termes de chiffres, nous sommes donc de l’ordre de 70 à 75 milliards au sein de l’Union européenne (UE) et un peu moins de 7 milliards d’euros en dehors de l’UE au travers des outils de prêts, de garantie, de microfinance et de prises de participations. L’Afrique représente près d’un tiers de notre activité à l’extérieur de l’UE.

Comment la BEI perçoit-elle l’avenir de l’Afrique ?

Nous pensons que l’Afrique est une priorité essentielle pour l’Europe. C’est dans cet esprit que nous participons à un certain nombre d’initiatives internationales inspirées notamment par l’actuelle présidence allemande du G20, qui a défini l’Afrique comme une priorité majeure [le prochain sommet du G20 se tiendra à Hambourg les 7 et 8 juillet, ndlr]. C’est très important, car si chacune de nos institutions a son histoire et ses objectifs propres, aujourd’hui nous devons pouvoir montrer à nos opinions, à nos responsables politiques - et, encore plus important, sur le terrain - que nous savons travailler ensemble pour le développement de ce continent. L’Afrique a un enjeu démographique et un potentiel économique synonymes d’emploi, d’innovation, de création...

Quelles sont les priorités de la BEI en Afrique ?

Nous avons deux grandes priorités en Afrique. Tout d’abord l’action en faveur du climat conformément aux engagements pris par le Président de la BEI lors de la COP 21, où d’ailleurs l’impact du réchauffement climatique sur l’économie et les mouvements de populations ont une grande incidence sur l’avenir du Continent. La BEI a pris l’engagement, d’ici à 2020, de porter notre action dans le secteur du changement climatique à 35%. Cet engagement-là, nous le tiendrons !

Je citerai deux exemples de notre action dans ce secteur. Le projet du lac Turkana qui, au Kenya, dans une forme de couloir de vent, sera le plus grand champ d’éoliennes d’Afrique. Outre son intérêt écologique et énergétique, ce projet est aussi intéressant pour nous car il est monté sous forme de partenariat public-privé. Ce qui prouve que des formes relativement nouvelles de financement fonctionnent aussi en Afrique.

Le second exemple, c’est notre coopération avec nos partenaires d’autres organisations internationales sur la problématique du recul du Lac Tchad, qui a perdu 80% de sa superficie à la suite de presque trente ans de sécheresse... Ce cas illustre la nécessité de coopérer à un niveau international pour limiter l’impact du réchauffement climatique, particulièrement prégnant dans cette région.

Et la seconde priorité ?

Dans le cadre des débats sur l’immigration, il est extrêmement important de pouvoir développer des actions de dimension pour favoriser la croissance du secteur privé en Afrique. Concrètement, cela signifie que nous sommes prêts à prendre plus de risques en Afrique pour accompagner l’émergence de nouvelles entreprises, contribuer à la création et à l’innovation. Par exemple, en finançant des startups - ce que nous faisons déjà avec la Banque africaine de développement dans le cadre de l’initiative Boost Africa - qui démarrent avec un risque important parce qu’il y a un taux de mortalité élevé parmi ces jeunes pousses, en Afrique comme ailleurs. En même temps, on voit bien qu’il y a là un formidable potentiel, et nous sommes décidés à soutenir l’esprit d’entreprise, voire le goût du risque dans une dynamique de création.

Vous agissez aussi dans la microfinance ?

Oui. Nous soutenons en effet des microprojets, suivis sur place par des institutions financières locales. Je me rappelle que lors d’un récent voyage en Côte d’Ivoire, en compagnie du président de la BEI, Werner Hoyer, nous avons visité quelques micro-entreprises... Par exemple, une toute petite imprimerie dont on avait financé l’achat d’une machine, ou encore une coiffeuse qui travaillait sur le marché et qui avait acheté un ventilateur parce que cela permettait aux clients d’être moins gênés par la chaleur du marché, et ensuite elle a acquis une extension dans ce marché, car son commerce marchait bien.

Les uns et les autres nous ont raconté l’instruction de leur dossier, la mise en place de leur activité, les obstacles auxquels ils faisaient face... Ce sont des actions concrètes, qui ont une vocation sociale évidente, à laquelle nous tenons et que nous développerons.

Revenons sur la question de l’immigration. Vous avez pris une initiative importante en Méditerranée, pour l’Afrique du Nord...

Oui. Notre premier axe d’action est de soutenir le développement de l’activité en Afrique. Le second, c’est d’essayer de favoriser l’emploi des réfugiés dans les pays d’accueil. C’est l’esprit de l’initiative que nous avons prise sur tout le pourtour de la Méditerranée.

Cette « Resilience initiative », c’est son nom, vise tant à faciliter l’accès aux infrastructures de services que le développement du secteur privé, en particulier des TPE-PME. Nous avions d’ores et déjà prévu d’engager 7,5 milliards d’euros dans ces régions pour la période 2016-2020. L’année dernière, nous avons décidé d’engager 6 milliards d’euros de plus. Avec cet effort supplémentaire, notre objectif est de mobiliser 15 milliards d’euros d’investissements additionnels en attirant des acteurs du secteur privé.

Nous intervenons aussi pour favoriser le développement économique des populations locales. Notamment dans des pays comme le Liban - qui compte 1,5 million de réfugiés pour 4 millions d’habitants -, ou encore la Jordanie. Il est très important de montrer que nous sommes là pour les réfugiés et pour les populations locales.

À qui déléguez-vous l’action concrète de cette « Resilience initiative » ?

Nous avons décidé de faire beaucoup de choses par nous-mêmes, en engageant des personnels d’encadrement, en particulier au niveau local. Nous discutons également avec les autorités des pays, avec nos partenaires sur le terrain.

Cette démarche de « Résilience Initiative » est assez nouvelle, et nous l’engageons dans l’objectif de stabiliser les populations, notamment par le soutien à l’emploi. Les réfugiés ont souvent un niveau de compétences élevé, et leur retour ultérieur "au pays" contribuerait assurément au redressement de celui-ci.

Que le redressement économique stabilise un certain nombre de populations, c’est pour nous une priorité. D’ailleurs, lorsqu’il m’arrive d’échanger sur ce sujet avec des chefs d’État d’Afrique de l’Ouest, ils affirment clairement que c’est la croissance qui permettra d’absorber le flux des migrants, dont l’essentiel des flux se déplace d’ailleurs entre les différents pays d’Afrique de l’Ouest. Les problèmes surviennent le jour où il n’y a plus de croissance...

Nous développons donc notre action simultanément dans ces deux directions, dans le même objectif de développer l’emploi.

Notre expertise sur ces sujets est d’ailleurs reconnue. Selon nous, le développement des infrastructures et du secteur privé participent, en même temps que l’établissement de l’État de droit au développement économique.

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[1] À l’occasion des Journées européennes du Développement (EDD) qui se déroulent les 7 et 8 juin 2017 à Bruxelles sur la thématique "investir dans le développement", le vice-Président Ambroise Fayolle signera deux prêts importants avec le Sénégal (22 M€) et le Mali (50 M€).

Le 7 juin, en présence de Macky Sall, Président de la République du Sénégal, sera signé un contrat de financement de 22 millions d’euros en faveur du nouvel ouvrage « Pont de Rosso » sur le fleuve Sénégal. Il s’agit d’un projet d’envergure à fort impact économique et social. Le pont de Rosso permettra de réduire les coûts et la durée des transports. Il améliorera la mobilité des personnes et des biens entre la Mauritanie et le Sénégal tout en contribuant au développement économique de ces deux pays par l’amélioration des infrastructures de transport, la compétitivité et le partage de la croissance économique.

Le 8 juin, en présence de Boubou Cissé, ministre de l’Économie et des Finances du Mali, sera signé un contrat de financement de 50 millions d’euros pour développer le réseau d’alimentation en eau potable et d’assainissement de la ville de Bamako. Ce financement s’inscrit dans le cadre du Programme Sectoriel Eau et Assainissement (PROSEA) mis en œuvre par les Autorités maliennes, en pleine adéquation avec les Objectifs du Millénaire pour le Développement. Il permettra très concrètement d’assurer un approvisionnement correct en eau potable de la capitale malienne et ses environs mais aussi de la doter d’un système d’assainissement durable et de qualité, l’objectif étant de répondre aux besoins urgents d’accès à l’eau potable des populations et ainsi améliorer leurs conditions de vie quotidienne.
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Lire le volet 2/2 : « L’Afrique, c’est une formidable opportunité économique pour l’Europe » (Ambroise Fayolle, VP de la BEI, 2/2).
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Ce texte a été publié une première fois sur le blog EuroMed-Afrique d’Alfred Mignot, sur LaTribune.fr, le 5 juin 2017.

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