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Au VIe Forum EuroMed Capital de Barcelone (17 et 18 janvier)

Nicolas Eschermann (Siparex) : « Dans notre métier, il faut connaître les hommes et la culture locale »

17 janvier 2018
Nicolas Eschermann (Siparex) : « Dans notre métier, il faut connaître les hommes et la culture locale »
Cofondateur avec Bpifrance et AfricInvest d’EuroMed Captal, Siparex affiche quarante ans de métier dans le capital-investissement et affirme haut et fort ses valeurs : l’enracinement territorial, la proximité, l’accompagnement des dirigeants, les réseaux et le partenariat comme facilitateurs du développement international, en Afrique particulièrement. L’entreprise sera sans nul doute l’un des protagonistes importants du VIe Forum EuroMed Capital, dédié à la numérisation des entreprises, et qui se déroule à Barcelone les 17 et 18 janvier.

Interview exclusive de Nicolas Eschermann
Membre du Comité exécutif de Siparex,
Responsable Investisseurs et Développement

Quid des spécificités de Siparex ?
Nicolas Eschermann -
Siparex est un acteur historique du capital-investissement en France, puisque nous faisons ce métier depuis quarante ans, de façon indépendante. Aujourd’hui nous gérons 1,8 milliard d’euros et nous avons une capacité de financement et d’accompagnement, plus opérationnel, d’un continuum d’entreprises allant de la start-up à l’ETI, acronyme des « entreprises de taille intermédiaire », que nous avons d’ailleurs adopté assez récemment en France, en référence au fameux « Mittelstand » allemand, dont on considère qu’il est au cœur de la réussite industrielle germanique.

Cet intérêt pour des entreprises de tailles et de niveaux de développement très différents caractérise notre activité, avec une spécificité supplémentaire : notre origine régionale rhônalpine, qui nous différencie fortement de nos compétiteurs. Nous sommes ainsi des acteurs qui vivons sur le terrain, avec une dizaine d’implantations en France et plusieurs en Europe depuis les années 2000, du sud au nord et d’est en ouest…

Notre manière spécifique d’exercer le métier est donc d’être au plus près des régions et des entreprises afin d’essayer d’identifier les meilleures d’entre elles, pour pouvoir aussi développer une activité d’accompagnement de leurs dirigeants, être au contact des moments importants de la vie des entreprises.
Et puis, le moment venu, de trouver aussi notre liquidité. Cela se construit dans le temps, de la façon le plus optimisée possible, de manière à offrir le maximum de plus-value à nos investisseurs.

Cette notion de proximité est donc pour nous très importante dans l’identification et l’accompagnement des entreprises. Évidemment, dans notre pays qui fonctionne encore de manière assez centralisée, cela marque une différence assez forte par rapport à des acteurs presque tous basés à Paris.

Et dans ce triptyque référent de l’association EuroMed Capital, que vous constituez avec AfricInvest et Bpifrance, quel est votre rôle, quelle est votre part d’action ?
Nicolas Eschermann -
Nous avons un ancrage très local, mais bien sûr aussi une activité à l’international. En Europe et aussi au-delà, au travers de réseaux, au Canada notamment via le Mouvement Desjardins, qui est le premier groupe financier coopératif du pays, et en Afrique.

C’est dans cette perspective que nous avons été l’un des cofondateurs d’EuroMed Capital, il y a onze ans, avec à l’époque BPI et Tuninsvest, devenu AfricInvest. Notre idée était de créer une sorte d’écosystème euroméditerranéen afin de promouvoir le capital-investissement dans la région, et plus largement du financement et du développement transfrontalier (cross border) des entreprises européennes vers l’Afrique, et africaines vers l’Europe. C’est le sens de notre engagement dans Euromed Capital.

Siparex dispose de trois relais en Afrique du Nord, mais pas en Afrique subsaharienne. Comment opérez-vous ?
Nicolas Eschermann -
Nous sommes un fonds d’investissement, mais bien sûr aussi une entreprise, avec le choix fondateur d’être ancrés localement. C’est pourquoi nous avons choisi de développer des partenariats avec des acteurs implantés sur le terrain. Nous en avons choisi au Maroc, en Tunisie et en Égypte.

Il se trouve que la relation la plus féconde s’est développée avec la Tunisie, grâce à quoi nous pouvons mettre à disposition de nos entreprises le réseau d’expertise et les connexions d’AfricInvest, très présent en Afrique subsaharienne. Voilà comment nous opérons aujourd’hui, et c’est un mode partenarial que nous entendons développer, plutôt que d’ouvrir de nouveaux bureaux ici ou là.

C’est une illustration de la volonté de réseautage que met en avant l’association EuroMed Capital…
Nicolas Eschermann -
Oui, nous tenons beaucoup à cette approche partenariale, car nous considérons que dans notre métier à l’adresse des PME, il faut connaître les hommes et la culture locale.

Personne n’est mieux placé que des opérateurs natifs de ces pays pour apporter l’accompagnement pertinent aux entreprises partenaires européennes, comme ils le font avec leur propre portefeuille local. C’est une dimension à laquelle nous sommes très attachés, je dirais même philosophiquement, c’est l’enseignement que nous retenons d’une vingtaine d’années d’action à l’international.

Êtes-vous satisfait de ce que l’association a pu accomplir jusqu’à ce jour ?
Nicolas Eschermann -
Oui, nous le sommes, car de bonnes bases ont été posées et au-delà de l’association elle-même, le triptyque des fondateurs travaille la main dans la main sur d’autres sujets d’intérêt international, ce qui contribue aussi à fortifier la base relationnelle qu’est l’association.
Je pourrais ainsi citer plusieurs entreprises de nos portefeuilles respectifs qui ont pu bénéficier de ces liens forts. Nous avons aussi parfois co-investi, avec AfricInvest, et avec l’accompagnement de Bpifrance.

Cela dit, il y a bien sûr dans l’association d’autres partenaires qui réfléchissent aussi à la façon de fortifier les relations économiques dans l’Euro-Méditerranée. Des institutionnels, des intellectuels, des hommes d’affaires qui sont venus s’agréger autour des trois partenaires fondateurs.

Venons-en au thème de votre VIe Forum, la numérisation des entreprises… Bpifrance va présenter en détail l’étude qu’elle a fait réaliser sur ce sujet, mais l’on sait déjà que 87 % des 1 800 dirigeants de PME et d’ETI interrogés ne ressentent pas l’urgence de cette transition. Qu’en pensez-vous, vous qui revendiquez notamment l’accompagnement de cette transformation vis-à-vis de vos entreprises ?
Nicolas Eschermann -
L’éclairage qu’apporte l’étude de Bpifrance est intéressant, car notre vision n’était peut-être pas assez en conformité avec la réalité. Je crois que l’on est face à un système à deux vitesses, et les gens qui exercent nos métiers sont sans doute plus sensibilisés à l’aspect élitiste des startups formidables qui se font remarquer brillamment, en particulier en ce moment au CES [Consumer electronic show] de Las Vegas…

Sans doute subissons-nous un effet de loupe, du fait que notre métier d’investisseur nous conduit à privilégier la sélectivité, à rechercher toujours les « meilleurs de la classe »… lesquels sont souvent en avance sur ces thématiques structurantes du développement d’une entreprise ou, pour le moins, ont élaboré des orientations stratégiques, cela grâce à une ouverture qui leur fait prendre en considération les grands enjeux, même dans les PME.

C’est le cas pour l’essentiel du portefeuille de Siparex. Mais pour accélérer ce mouvement, nous venons de créer un poste de responsable numérique [digital officer] au niveau du groupe – donc aussi bien pour nos startups que nos PME et ETI. Son travail à temps plein consistera à identifier les besoins et les solutions de transformation digitale de notre portefeuille et de notre système d’innovation, rassemblé sous la marque XAnge. Cette personne doit avoir un impact d’accélération sur notre transition numérique, c’est le sens concret de sa mission.

Si maintenant on veut regarder le marché dans son ensemble – nous avons en France la chance de disposer d’un tissu de PME très important –, il est évident qu’au sein d’une PME, disposant souvent de peu de moyens humains, déjà mobilisés pour un grand nombre de tâches, les problématiques industrielles et commerciales immédiates prennent le plus souvent le pas sur les défis de l’avenir.

Il y a donc un besoin pressant de conscientisation de ces enjeux de digitalisation. Comme déjà évoqué, je crois que nous sommes vraiment dans un système à deux vitesses, avec d’une part un haut du panier dynamique avec une approche assez élitiste, et d’un autre côté la nécessité d’un effort de faire savoir et de rattrapage à accélérer.

Sur ce point, Bpifrance propose des solutions très concrètes en matière d’accompagnement – et donc de financement, car il faut bien sûr embaucher des personnels ou en appeler à des prestataires nouveaux pour déployer concrètement le changement numérique. Tout cela est bien sûr très important, puisque c’est l’avenir que l’on prépare.

Depuis combien de temps aviez-vous décidé de créer ce poste de responsable de la transition numérique, au bénéfice de l’ensemble des entreprises de votre portefeuille ?
Nicolas Eschermann -
Il y a dix-huit mois… C’est une idée de notre président, qui est très sensible à cette problématique. Je crois aussi que cela représente une réelle valeur ajoutée pour le Groupe Siparex, et illustre aussi la philosophie que nous avons de notre métier : oui, nous sommes là pour apporter de l’investissement ; mais oui, nous sommes là aussi pour accompagner les entreprises, et mettre en œuvre concrètement des moyens humains. Montrer cela est très important pour nous, c’est une sorte de capital-développement 2.0, car aujourd’hui les enjeux du développement passent par la transition numérique.

Quelle est votre perception sur ce thème aujourd’hui très discuté de la coproduction nord-sud, du partage de la chaîne de valeur ? Vos partenaires vous en parlent ? Et comment appréhendez-vous le risque politique ?
Nicolas Eschermann -
C’est une thématique très intéressante… Oui, il y a les difficultés connues du contexte politique, et encore une fois le fait de disposer d’un partenaire local, parfaitement connaisseur des faiblesses et forces de son territoire et de son environnement – comme l’est pour nous AfricInvest [ICI lien vers l’article] –, permet sans doute de mieux faire face à ce type d’aléas.

La Tunisie, par exemple, est un petit pays par sa taille mais je dirais un grand pays par ses structures, la formation de son capital humain, ses savoir-faire, et donc on y trouve de la compétence, de la valeur ajoutée locale, une capacité dans le digital, le facturing 4.0… Tout cela permet notamment à des entreprises françaises de réaliser des produits dans ce pays, de déployer une chaîne de valeur répartie entre les deux rives de la Méditerranée. Pour autant, cela ne s’improvise pas. Et il faut être bien accompagné !

Vous avez été sollicité en ce sens ?
Nicolas Eschermann -
Certaines entreprises que nous avons accompagnées, dont nous sommes actionnaires, ont développé ce type d’approche industrielle avec des partenaires tunisiens ou marocains, notamment dans les domaines du génie électrique. Il y a aussi des opportunités très intéressantes dans le secteur numérique, évidemment, avec d’étonnants effets de rattrapage bien connus, par exemple dans le paiement et la banque mobile, en plein développement sur le Continent.

Qu’attendez-vous de cette rencontre du VI Forum ?
Nicolas Eschermann -
Après le Ve Forum de Casablanca, il y a deux ans, ce VIe Forum se déroule donc sur la rive nord, à Barcelone. C’est une alternance à laquelle les membres de l’association sont attachés.

Sur le fond, je constate avec mes collègues que la reconnaissance de notre action est plus forte sur la rive sud, et c’est bien normal, puisque l’écosystème y est moins mature qu’en Europe, et les opérateurs moins nombreux.
Nous avons cependant un rôle de communication toujours très fort à assumer côté nord, et ce type de Forum permet aussi de devenir plus visible pour renforcer l’action vers le sud.

Propos recueillis par Alfred Mignot

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