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Au colloque de l’IMRI, à Casablanca :

« Nayda », ou les prémices du Printemps arabe,
« cri d’une jeunesse qui a soif d’avenir »

Tous pays EUROMED-AFRIQUE | 1er juin 2011 | src.LeJMED.fr
« Nayda », ou les prémices du Printemps arabe, « cri d'une jeunesse qui a soif d'avenir »
Casablanca -

L’Institut Marocain des Relations Internationales (IMRI), que préside Jawad Kerdoudi, a tenu son colloque annuel en partenariat avec la Fondation allemande Hanns Seidel, les 27 et 28 mai 2011 à Casablanca, autour d’un thème de forte actualité, « Le partenariat euro-méditerranéen à la lumière du printemps arabe ». Un colloque où l’on a pu percevoir, notamment, que des prémices culturelles annonçaient depuis plusieurs années déjà l’irruption de ce « cri d’une jeunesse qui a soif d’avenir »…

Photo ci-dessus : Jawad Kerdoudi, Président de l’IMRI, lors de son allocution d’ouverture. À sa droite, Sid Ahmed Ghozali, ancien Premier ministre algérien ; Eneko Landaburu, Chef de la Délégation de l’Union Européenne à Rabat ; Nabi Adghoghi, Directeur des Affaires européennes au Ministère marocain des Affaires étrangères et de la coopération ; Mme Juliette Borsenberger, de la Fondation Hanns Seidel, qui a parrainé le Forum © Alfred Mignot - mai 2011


Prise de parole d’une jeune participant au Forum de l’IMRI. © Alfred Mignot - mai 2011

Le panel des orateurs a regroupé responsables politiques, universitaires, chercheurs, entrepreneurs, membres associatifs du Maghreb et d’Europe, et ont accordé une place prépondérante aux événements majeurs qui bouleversent la géopolitique méditerranéenne depuis ces derniers mois. La première journée de débat a été consacrée à l’analyse des causes et aux conditions de succès du printemps arabe avec un éclairage particulier sur le Maroc.

Bien que tous ne soient pas enthousiastes par le qualificatif de « printemps arabe », notamment parce que… le printemps ne dure qu’un temps, ils ont été en revanche unanimes à souligner l’ampleur des événements et leur imprévisibilité. En effet, qui aurait pu prévoir que l’élan populaire lancé par les Tunisiens fin décembre s’étende comme une traînée de poudre, du Maghreb au Machrek et au Proche-Orient ? Pourtant il est vrai que dans toute la région l’on déplore les mêmes symptômes : corruption, népotisme, accaparement des richesses par une élite, libertés fondamentales trop souvent bafouées, chômage endémique et élevé, particulièrement chez les jeunes…

Au Sud comme un Nord : une jeunesse interconnectée

Et c’est cette jeunesse, à l’image de son martyr tunisien Mohamed Bouazizi, diplômé chômeur décédé en s’immolant par le feu, qui crie son désespoir. Une jeunesse éduquée mais désœuvrée, qui a longtemps perçu l’immigration comme seule échappatoire…

Ahmed Ghayet lors de son intervention sur les prémices culturelles de la révolte des jeunes. © Alfred Mignot - mai 2011

Pour Ahmed Ghayet, président de l’Association Marocains Pluriels, c’est bien le cri d’une jeunesse qui a soif d’avenir qui se fait entendre. Mais selon lui, ce cri dépasse les frontières du monde arabe et il convient de le relier aux émeutes des banlieues françaises en 2005, aux manifestations de 2008 en Grèce et à celles qui secouent aujourd’hui l’Espagne. Cette crise de défiance des jeunes envers les politiques n’est que le résultat d’un profond malaise d’une classe d’âge qui n’arrive pas à trouver sa place au sein de la société.

Entre précarisation et peur du déclassement, les générations sacrifiées des mileuristas européens, à l’instar de celles du Sud, réclament leur dignité en utilisant les mêmes outils du Web 2.0, surtout les réseaux sociaux Facebook et Twitter. À la différence de Mai 68, Internet permet aujourd’hui aux jeunes euro-méditerranéens de traverser les frontières en temps réel et de rester interconnectés, sur la rive nord comme sur la rive sud, et de l’une à l’autre.

La Nayda, prémice du cri de la jeunesse marocaine

Pourtant si l’on en croit Ahmed Ghayet, les prémices de ce soulèvement se faisaient sentir depuis quelques années déjà, notamment après l’arrivée au trône du jeune roi Mohammed VI qui avait suscité un immense espoir. Le Maroc avait fait place à un renouveau culturel foisonnant, désigné sous le terme de « Nayda » (qui signifie réveil ou debout en arabe dialectal).

Cette nouvelle scène marocaine, à travers son festival emblématique L’boulevard, fait la part belle à la musique rap avec des groupes comme BIG, Hoba Hoba Spirit dont les chansons sont reprises en chœur comme des slogans dans les cortèges du Mouvement du 20 février. On pourrait également citer le film Casanegra de Nour-Eddine Lakhmari, montrant le quotidien de deux jeunes casablancais au chômage vivant de petites combines et parlant une darija acérée qui avait alors provoqué une véritable polémique dans tout le Royaume, lors de sa sortie.

Une urgence sociale pour la dignité

Sid Ahmed Ghozali, ancien Premier ministre algérien. © Alfred Mignot - mai 2011

Les jeunes maghrébins, comme ceux du Machreck et du Proche-Orient, veulent s’émanciper et ne plus être relégués, marginalisés. Il s’agit d’un combat contre la hogra, ce mélange d’humiliation et de mépris qui mine la société de l’intérieur, rappellent les intervenants. Mais, d’ailleurs, peut-on parler du problème de « la jeunesse », alors que celle-ci représente jusqu’à 80 % de la population dans certains pays sud-méditerranéens, questionne pertinemment l’ancien Premier ministre algérien Sid Ahmed Ghozali.

Le débat sur « les jeunes » dépasse donc cette question, car d’ici à 2025 ce sont 25 millions d’emplois qui devront être créés sur la rive sud, et cela uniquement pour maintenir le taux de chômage actuel, tandis que pour le diviser de moitié il en faudrait 60 millions...

Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire que l’État entreprenne des réformes structurelles, notamment en s’attaquant au secteur sinistré de l’éducation, comme l’indique Hammad Kassal, universitaire et ancien Président de la Fédération des PME et de la CGEM. En effet, ce dernier regrette l’absence de formations qui inculqueraient la prise d’initiative individuelle, ce qui conduit à laisser se répandre un état d’esprit d’assistanat, notamment chez les étudiants, comme l’illustrent les manifestations de diplômés chômeurs devant le Parlement marocain.

Un mouvement en perte de vitesse

Pour Abdellatif Fekkak, Président des Grandes Écoles de Management Plus, la crise économique et le Printemps arabe représentent une chance pour un changement de fond. Il met en exergue la nouveauté des revendications : il ne s’agit plus d’émeutes de la faim, mais de manifestations de jeunes qui se réclament, pour la première fois, des valeurs universelles.

C’est également l’avis du Professeur Driss Benali, qui reconnaît au Mouvement du 20 février le mérite d’avoir ouvert la voie à la libération de la parole et ainsi permis l’émergence d’un vrai débat démocratique sans tabou. Selon lui, les gouvernants doivent saisir cette occasion, car un tel contexte ne se représentera pas de sitôt.

Cependant, l’économiste estime que le mouvement pèche par son manque d’organisation : les jeunes savent ce qu’ils ne veulent pas, mais pas ce qu’ils veulent. Et c’est là où le bât blesse : comment passer au-delà de la contestation et se transformer en force de proposition ? Ils sont ainsi plusieurs à craindre que le mouvement des jeunes ne soit récupéré par d’autres forces pour le siphonner – ce soupçon visant particulièrement « les barbus » – tandis que la pluralité des manifestants et l’absence apparente de dénominateur commun entre eux laisse présager un délitement du mouvement.

Une refondation du partenariat euro-méditerranéen

Eneko Landaburu, Chef de la Délégation de l’Union Européenne à Rabat, lors d’une intervention très appréciée. A sa droite, Jawad Kerdoudi, Président de l’IMRI. © Alfred Mignot - mai 2011

Tous ces bouleversements dans le Monde arabe ne laissent pas indifférents les dirigeants européens, inquiets par la révolte de la jeunesse du Sud qui pourrait signifier un afflux de population vers l’espace Schengen. C’est ce qu’a exposé sans langue de bois Eneko Landaburu, Chef de la Délégation de l’Union Européenne à Rabat.

Dans un discours très remarqué et apprécié, il a reconnu les erreurs de jugement des Européens et a confirmé l’adoption d’une nouvelle approche, qui privilégiera les rapports avec les pays en transition démocratique. Parmi les réformes de la Politique Européenne de Voisinage, une attention particulière sera apportée au secteur de la jeunesse, à travers un renforcement des programmes de mobilité comme Erasmus mundus et Tempus, ce qui sera également l’un des objectifs du futur Office Méditerranéen de la Jeunesse (OMJ), qui sera opérationnel dès septembre 2011 (les candidats boursiers snt en train d’être sélectionnés). Dans le même esprit, le projet de création d’une université euro-méditerranéenne, implantée à Fès, est aussi à l’ordre du jour.

Autant de perspectives qui font espérer une refonte des relations euro-méditerranéennes, fondée sur plus d’égalité entre les partenaires et avec comme socle le facteur humain, resté trop longtemps ignoré. À n’en pas douter, la réussite du Printemps arabe sera une condition de ce renouveau pour bâtir une Méditerranée prospère – telle que souhaitée déjà dans les Accords de Barcelone en 1995, et confirmée par la création de l’Union pour la Méditerranée (UPM) en juillet 2008 – et qu’il faut s’atteler à concrétiser. Dès maintenant.

Marianne Roux-Bouzidi, à Casablanca
LeJMED.fr

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Site de référence :

 Site de l’IMRI, Institut marocain des relations internationales

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