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Moussa Mara, ancien PM du Mali : « Je salue l’initiative du Président Macron en faveur des économies africaines. D’autres ne l’ont pas fait... »

6 juillet 2021
Moussa Mara, ancien PM du Mali : « Je salue l'initiative du Président Macron en faveur des économies africaines. D'autres ne l'ont pas fait... »
Premier ministre du Mali en 2014 et 2015, Moussa Mara nous a accordé cet entretien exclusif durant son actuel séjour à Paris. Il analyse ici la crise économique que subit de plein fouet l’Afrique et à laquelle le Sommet de Paris a tenté d’apporter des éléments de réponse. Il nous confie aussi son point de vue sur la difficile Transition que connaît le Mali.

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Propos recueillis par Bruno FANUCCHI pour AfricaPresse.Paris (APP)
@africa_presse

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Comment l’Afrique peut-elle sortir de la double crise sanitaire et économique liée à la pandémie de coronavirus qui a frappé de plein fouet l’économie informelle ?

Moussa Mara - Aujourd’hui la crise économique est beaucoup plus grave que la crise sanitaire. Grâce à Dieu et grâce aux spécificités de l’Afrique, spécificités climatiques, géographiques, historiques, sociologiques et humaines sans doute, la pandémie n’a pas été aussi dévastatrice sur le plan sanitaire que ce qui a été annoncé par les Cassandre de toutes sortes. Quelques pays ont été plus touchés aux deux tropiques : en Afrique du Sud comme en Afrique du Nord. Même si je sais que le virus est toujours là et que tant qu’il n’y a pas de vaccination mondiale, il y aura toujours un risque de résurgence de la pandémie au niveau mondial avec les variants qui ne vont pas s’arrêter de sitôt.

Aujourd’hui, il y a une fracture vaccinale, comme il y a une fracture numérique ou une fracture économique de par le monde. L’Afrique est actuellement vaccinée à moins de 5 % alors que dans certains pays les gens sont vaccinés à 70 %. C’est la réalité. Je pense que la solidarité doit jouer pour que l’on puisse arriver à bout de cette pandémie ou réduire son impact sanitaire.

La question économique est plus complexe et plus difficile parce que la pandémie a créé des difficultés aux États qui ont dû faire des efforts importants pour soutenir l’économie. Il y a donc eu beaucoup moins d’efforts sur le soutien aux plus pauvres : le capital humain, la santé, l’éducation. Pour des pays qui sont dans des situations de crise comme le Mali, la situation est encore plus grave. Des efforts importants ont été faits sur la sécurité puis sur les questions sanitaires et le soutien économique. Tous ces efforts se paient par moins de ressources sur les secteurs clés comme la santé, l’éducation, l’emploi, les jeunes, l’accès à l’eau ou à l’électricité...

Une grande partie de l’Afrique n’est-elle pas tombée en récession ?

Moussa Mara - Un deuxième élément est en effet à prendre en compte. Avec la fermeture de l’économie mondiale, il y a eu des difficultés pour les nations exportatrices de matières premières, de ressources pétrolières et autres, qui sont tombées en récession forte comme le Nigeria, l’Angola, etc. Il y a un petit rebond, mais l’ardoise est lourde. Et comme ces grands secteurs structurent un peu l’économie de tous ces pays jusque dans l’informel, ce sont les plus pauvres qui en supportent le prix.

Et les conséquences économiques risquent d’être encore plus dévastatrices dans les années à venir, jusqu’en 2024 ou 2025 au moins, à telle enseigne que tous les États ont accepté que les critères macro-économiques soient un peu laissés de côté, que les États puissent davantage creuser le déficit et leur endettement pour faire face à cette crise.

C’est tout l’intérêt du Sommet qui a été organisé en mai à Paris sur le financement des économies africaines. Laisser aujourd’hui les pays africains à eux-mêmes, c’est les encourager à emprunter la mauvaise direction économique et financière, à s’endetter de plus en plus lourdement et à prendre le risque du surendettement qui était déjà réel avant la pandémie. Et arriver dans 5 ou 10 ans à avoir une crise de la dette sur le Continent avec des pays qui seraient en faillite. Il est donc plus qu’urgent qu’au niveau international on puisse soutenir les économies les plus faibles. On a été capable de mobiliser en Europe plus de 700 milliards d’euros pour soutenir les pays européens qui sont déjà bien solides. En Afrique, on a besoin de beaucoup moins que cela pour soutenir les économies les plus fragiles.

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« Que l’on restructure la dette et que l’on puisse
ainsi aider les pays africains,... »

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L’objectif était de débloquer 100 milliards de dollars pour l’Afrique, mais les résultats de ce Sommet réuni le 18 mai dernier à Paris par le Président Emmanuel Macron vous semblent-ils être à la hauteur de vos espérances ?

Moussa Mara – Les résultats ne sont jamais à la hauteur des espérances, mais c’est déjà ça. Il a été évoqué le système des DTS (droits de tirage spéciaux) que les pays puissants renoncent à leurs droits au profit des pays africains et je pense que cela est tout à fait positif. Qu’on le mette en œuvre et qu’on aille au-delà. Que les DTS soient utilisés comme effet de levier pour lever des ressources un peu plus importantes, que l’on restructure la dette et que l’on puisse ainsi aider les pays africains, ce serait l’idéal. On ne s’en sortira pas sans solidarité.

Le Président de la BAD, le Nigérian Akinwumi Adesina, vient de faire le constat que « 30 millions d’Africains avaient déjà perdu leur emploi et 30 millions d’autres étaient tombés dans la pauvreté ». N’est-ce pas un premier bilan très alarmant ?

Moussa Mara – C’est un engrenage inquiétant : quand vous avez une difficulté dans une collectivité, les efforts sont souvent inégalement répartis parce que ceux qui sont les plus forts arrivent toujours à tirer leur épingle du jeu, ce sont les plus faibles qui trinquent. Ils sont en effet les bénéficiaires de l’action des puissances publiques et, quand celles-ci sont affaiblies, on en voit aujourd’hui les graves conséquences : les ressources allouées par exemple à faire des forages dans les villages, à construire et équiper les centres de santé, ne sont plus disponibles car toutes ces ressources de l’État sont mobilisées pour parer au plus pressé, faire face à la dette et aux salaires des fonctionnaires.

Quand on a des difficultés financières, on diffère les investissements, qui sont la croissance de demain et moins de pauvreté. Il faut aborder ces questions de manière globale. A-t-on les moyens d’y faire face sur le plan régional : la CEDEAO a-t-elle un plan ? La CEMAAC et l’UEMOA ont-elles un plan ? Il le faudrait rapidement et il serait souhaitable que ces plans soient accompagnés par l’Union africaine et par la communauté internationale.

C’est pourquoi je salue vraiment l’initiative du Président Macron et du gouvernement français. Cela a le mérite d’exister, D’autres ne l’ont pas fait. Maintenant, il faut que tout cela soit suivi d’effets par le FMI, la Banque mondiale et par les grandes puissances afin que nous puissions arriver à faire face aux conséquences économiques de la pandémie.

Bamako a connu ces derniers temps bien des soubresauts. La réaction du Président Macron menaçant de retirer les soldats français du Mali, avant d’annoncer une transformation de l’opération Barkhane étalée jusqu’en 2023, vous a-t-elle surpris ?

Moussa Mara – Moi, j’ai pour habitude de ne pas commenter les propos des chefs d’États étrangers pour la bonne et simple raison qu’ils sont à la tête d’États souverains et qu’ils sont tout à fait libres de prendre les décisions qui leur semblent importantes et pertinentes pour leur pays.

Ce qui s’est passé le 24 mai dernier au Mali, c’est un coup d’État. Un coup d’État est condamnable et doit être condamné. Je l’ai personnellement condamné fortement, en disant que le pays n’en a pas besoin à un moment où nous sommes en crise sécuritaire. Aux prises avec des menaces lourdes, nos forces armées et de sécurité doivent privilégier la sécurisation du territoire plutôt que l’accès au pouvoir à Bamako.

Je comprends parfaitement qu’un pays comme la France soit choqué parce qu’au moment où leurs soldats se battent sur le terrain et meurent au côté des nôtres, qui tombent parfois par dizaines, d’autres militaires maliens soient en train de chercher des postes à Bamako. Et je l’ai dit.

Mais le plus important aujourd’hui, c’est que le Mali se sorte de ces difficultés et que nos partenaires nous y accompagnent au niveau qu’ils estiment être le leur, en respectant tout à fait leur souveraineté. Cela dit, la France, qui avait suspendu sa coopération militaire avec le Mali le 3 juin, vient de décider de la reprendre un mois après. Tant mieux car cette coopération militaire a connu des succès même si elle n’est pas suffisante pour régler les problèmes au Mali. Cela est positif. Le plus important, c’est que le Mali s’organise pour pouvoir assurer demain seul sa sécurité.

Le président Macron a également initié une nouvelle « diplomatie économique » en Afrique. Celle-ci vous semble-t-elle efficace et correspondre à l’attente de vos pays ?

Moussa Mara – Par rapport aux relations économiques avec l’Afrique, je pense que le Président Macron, dans les grandes lignes, va dans la bonne direction. Évidemment, une puissance économique comme la France, il est difficile de l’impacter en 4 ou 5 ans. Avec deux grandes lignes de force. La première c’est d’aller partout où il y a du dynamisme économique, des opportunités pour les entreprises françaises et il faut reconnaître que les pays les plus dynamiques en Afrique sont majoritairement des pays anglophones et, à l’exception du Ghana et du Nigeria, plutôt en Afrique centrale et en Afrique de l’Est comme le Kenya, l’Éthiopie, etc. Il a développé toute une stratégie pour être davantage avec ces pays et je pense que c’est positif.

L’économie, c’est d’abord les entreprises qui ont des relations avec d’autres entreprises, qui investissent, créent de la richesse, paient des impôts et créent des emplois.

Sa seconde ligne de force, c’est de mettre les Africains devant leurs responsabilités, de les responsabiliser davantage. Toutes les réformes du France CFA, la volonté d’ouverture vers d’autres horizons et d’internationaliser les questions économiques comme l’a fait le Sommet de Paris en mai vont dans le bon sens. Stratégiquement, c’est bien vu car il faut sortir du « be to be ».

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« Il faut que le Mali
puisse renaître grâce à ses terroirs »

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Bien des projets de l’AFD (Agence française du développement) comme des sommes allouées par l’Alliance Sahel s’enlisent ou s’évaporent au Mali...

Moussa Mara – Au Sahel, beaucoup de choses ressemblent un peu à des « usines à gaz ». J’aurai souhaité que l’on soit plus pragmatique et que l’on mettre en avant les collectivités territoriales dans les programmes économiques. Que ce ne soit pas des actions étatiques, mais des relations entre agences de développement et collectivités territoriales avec des programmes plus adaptés et plus précis. L’Alliance Sahel doit davantage en tenir compte. Il faudrait aussi être plus précis dans le ciblage car souvent les programmes sont standardisés.

Au Sahel, il convient de privilégier l’eau et des questions plus spécifiques comme l’emploi des jeunes et l’entrepreneuriat y compris dans les zones rurales et travailler avec certaines ONG ou structures qui ne sont pas forcément de structures lourdes mais qui travaillent efficacement sur le terrain. Avec l’objectif d’être beaucoup plus efficaces et d’éviter que des sommes importantes annoncées se traduisent finalement par du vent de sable...

Quelles sont aujourd’hui les priorités politiques et économiques de la Transition ?

Moussa Mara – La Transition est essentiellement politique et n’a pas vocation à faire en huit mois des miracles sur le plan économique. La Transition est arrivée par la chute des institutions de manière brutale et irrégulière. Ce que nous avons de mieux à faire, c’est de rétablir ces institutions de manière démocratique afin qu’elles puissent être légitimées par la population à la suite d’élections démocratiques. La priorité de la Transition, c’est de sortir de la Transition, de clore cette période de manière heureuse.

Mais pendant la Transition, pour assurer la continuité de l’État, il y a des réformes à faire sur le plan institutionnel, sur le pan électoral pour que les élections soient les plus transparentes et les plus crédibles possibles et, si l’on peut faire d’autre réformes de type sécuritaire, pourquoi pas ?

Les échéances électorales prévoyant une présidentielle et des législatives le 27 février vous semblent-elles réalistes ? Peuvent-elles se tenir ?

Moussa Mara – Je pense que ces élections doivent se tenir et qu’elles pourront se tenir. J’ai vécu les élections législatives de mars/avril 2020, il y a un an. Nous les avons organisées sur l’ensemble du territoire et des circonscriptions électorales. Il y a eu quelques endroits qui n’ont pas pu voter, mais il n’y a pas eu de circonscriptions où ces élections n’ont pu avoir lieu.

On a ainsi élu les députés puis, après, il y a eu la crise. Mais celle-ci n’est pas venue du fait des élections, mais de l’action inopportune et irrégulière de la Cour constitutionnelle qui a jeté de l’huile sur le feu. Aujourd’hui, je pense que les conditions sécuritaires – bien que graves – ne sont pas catastrophiques et que l’on peut donc organiser ces nouvelles élections partout, même si environ 10 % du corps électoral ne pourra pas voter. Il vaut mieux des élections avec 90 % des électeurs que pas d’élections du tout. Si nous nous y mettons tous, non seulement l’État malien et les forces de sécurité, mais aussi les partenaires, nous pouvons sécuriser ce processus électoral de façon à ce que 90 % des électeurs aient la possibilité de voter.

J’y crois et c’est indispensable car une Transition, plus elle dure et plus elle est risquée et lourde de menaces et de troubles, comme ce que l’on a vu avec le coup de force du mois de mai. Il vaut mieux donc en sortir au plus vite tous ensemble et de manière positive.

Vous sillonnez depuis plusieurs mois le Mali à l’écoute des populations et vous êtes déjà parti en campagne sur trois thèmes principaux : la sécurité, bien sûr, mais aussi la lutte contre la corruption et la décentralisation. Quels sont vos premiers retours de ce voyage à l’intérieur du pays ?

Moussa Mara – En réalité, c’est depuis plusieurs années. Je suis en campagne en permanence. C’est ma conception de la politique : un homme politique doit être tout le temps au contact, en phase et à l’écoute des populations. Ce que je fais depuis toujours s’est encore intensifié en raison, bien évidemment, des prochaines échéances électorales. La question de la gouvernance et celle de la décentralisation sont au cœur des problèmes à résoudre dans le pays parce que le Mali est un très pays divers territorialement, ethniquement, sur le plan communautaire, et on ne pas le gérer uniquement à partir du centre, ce n’est pas possible.

Même le terrorisme, aujourd’hui au Mali, est local et doit se résoudre de manière locale. Le Mali de demain se construira d’abord au niveau local et il faut le faire au mieux avec des collectivités décentralisées, avec une démocratie et une citoyenneté locales bien vivantes qui vont porter le pays à partir de nos terroirs. L’Accord d’Alger est un accord de décentralisation, c’est pourquoi j’ai toujours dit que cet Accord contient des éléments positifs importants, à côté des limites qu’il recèle, il ne faut pas l’oublier. Le Mali a tellement de dynamisme au niveau local, qu’il ne faut pas se priver de ces atouts.

Je suis moi-même un élu local et j’ai vu tout ce qu’une collectivité locale est en mesure de réaliser. J’y crois fermement et les populations me font comprendre qu’elles y tiennent. Je vais donc me battre pour que ces questions soient au cœur du débat sur la refondation du pays et des élections : que le Mali, qui a rayonné dans le monde à partir de ses terroirs, puisse renaître grâce à ses terroirs !

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DU WEBI 2 DU CAPP :
« L’état de la coopération économique
Europe-Afrique et comment la dynamiser »

(15 06 2021)

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« LES OUTILS DE LA CONFIANCE POUR ENTREPRENDRE EN AFRIQUE »

(21 04 2021)

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