Retrouvez AfricaPresse.paris sur :
RSS

Outils

Moussa MARA, ancien PM du Mali, devant le CEPS (Paris) : « Si l’on ne regagne pas la confiance des populations, on ne vaincra pas le terrorisme, on ne le réduira même pas ! »

12 mars 2020
Moussa MARA, ancien PM du Mali, devant le CEPS (Paris) : « Si l'on ne regagne pas la confiance des populations, on ne vaincra pas le terrorisme, on ne le réduira même pas ! »
S’il est opposé à l’ouverture de négociations avec les terroristes, préconisée le président IBK, et qu’il « ne croit pas au G5 Sahel », l’ancien PM Moussa Mara ne manque pas de vision pour construire l’avenir de la région. Selon lui, regagner la confiance des populations et refonder la légitimité des États sont deux préalables incontournables. Mais pas seulement…

.

Alfred Mignot, AfricaPresse.Paris (AP.P)
@alfredmignot | @PresseAfrica

.

Désormais, il ne se passe presque plus de semaine sans que la question du Sahel ne s’impose dans l’actualité française. Ainsi dimanche 8 mars, un groupe djihadiste malien a-t-il fait savoir qu’il était disposé à engager des négociations avec le président Ibrahim Boubakar Keita, mais à la condition que les soldats français de « Barkhane » et les casques bleus de la Minusma quittent le pays. Cet énième épisode rehausse encore plus l’intérêt de la récente intervention de Moussa Mara devant le Centre d’Étude et de Prospective Stratégique (CEPS, Paris) que dirige Loïc Tribot La Spiere.

Pour l’ancien Premier ministre malien – qui avait d’ailleurs fait connaître par une tribune publiée sur notre site son opposition à la proposition de dialogue avec les terroristes, avancée le 12 février par le président IBK –, au-delà des préoccupations immédiates de sécurité, on ne saurait considérer les questions sahéliennes sans prendre en compte « quatre paradigmes structurants » : l’amenuisement des ressources naturelles, en rapport avec le changement climatique ; l’essor démographique du Sahel, le plus dynamique au monde : 4,3 % de croissance annuelle au Mali, avec 67 % de la population qui n’a pas 20 ans, précise Moussa Mara ; le dysfonctionnement des États ; la pauvreté, qui place les pays du Sahel tout à la fin du classement mondial de l’indice de développement humain (IDH) : en 2019, le Niger occupe encore la dernière place (sur 189 pays classés) le Tchad est 187e, le Mali 184e, le Burkina Faso 182e.

Ainsi, « quoi que nous essayerons de faire pour la sécurité, ces quatre paradigmes structurants s’imposeront à nous. Et si nous ne les abordons pas de manière holistique, il ne sera pas possible de sortir le Sahel de l’œil du cyclone dans lequel il est aspiré », a commenté l’ancien Premier ministre du Mali devant la centaine de convives invités à ce dîner-débat du CEPS à la Maison de l’Amérique latine, mercredi 26 février.

Tenir face au risque de l’effondrement des États

Que faire face à la violence terroriste qui a atteint « un niveau que nous n’avions jamais imaginé » ? « D’abord, tenir ! s’exclame Moussa Mara. Tenir, parce que les terroristes, premiers fauteurs de violence dans cet espace, ont bien compris que les attaques contre nos forces armées et de sécurité, les destructions perpétrées ont des implications sociopolitiques, avec le risque que les États s’effondrent de l’intérieur, comme au Mali en 2012.

C’est leur objectif. Ce que nous avons à faire, c’est donc d’abord de tenir, de faire en sorte que les coups de boutoir des groupes armés ne puissent pas entraîner la débandade d’une armée ou d’une partie de nos armées, au point de menacer la stabilité institutionnelle du pays. »

Dans cet effort, explique Moussa Mara en allusion directe à la campagne de dénigrement anti-française qui perdure, voire s’amplifie, « les forces étrangères doivent appuyer, aider, et non pas se substituer » aux forces des pays sahéliens.

Autrement dit, « nous avons besoin que les forces extérieures, comme la France par exemple, soient de moins en moins visibles, qu’elles soient de plus en plus dans l’appui, dans l’assistance, et que nos armées nationales connaissent des succès au travers de ces interventions (…) que nos armées nationales soient sur le devant », souligne-t-il.

Cette nouvelle attitude, relève Moussa Mara pour s’en réjouir, est celle qui s’est mise en place à la suite du récent sommet de Pau entre la France et les pays du Sahel – sommet si décrié par les détracteurs de la France mais qui marque un tournant de posture pleinement revendiqué par l’entourage diplomatique du président Emmanuel Macron.

Une vue de la salle durant le propos liminaire de Loïc Tribot La Spiere, Délégué général du CEPS. © AM/AP.P

Distinguer rebelles et terroristes,
regagner la confiance des populations

Agir pour abaisser les tensions et affrontements intercommunautaires est un autre axe d’action tout aussi prioritaire pour les États, considère l’ancien PM, car ces tensions sont instrumentalisées par les groupes terroristes et « on a du mal, aujourd’hui au Mali, à savoir qui est qui : le matin, on est devant des rebelles, et le soir ils arborent la bannière d’Aqmi, Al-Qaïda au Maghreb islamique (…) Pour combattre les terroristes avec efficacité, il faut qu’ils soient distingués des groupes armés rebelles… Et les États doivent s’inscrire dans la dynamique de récupérer les populations, de les sortir des griffes des groupes terroristes. Le contrôle des populations est plus important que le contrôle des territoires. » Car, relève Moussa Mara, « la force principale des groupes terroristes est leur dissimulation au sein de la population.

C’est pourquoi il convient de faire en sorte que les populations soient davantage rassurées, davantage partenaires, davantage protégées. Toute action militaire sans effort des États pour regagner la confiance des populations serait vouée à l’échec. Si l’on ne regagne pas la confiance des populations, on ne vaincra pas le terrorisme, on ne le réduira même pas ! »

Un nouveau contrat social

Reconquérir la confiance des populations n’est pas seulement indispensable à contrer le terrorisme, c’est aussi un préalable à la refondation d’États aujourd’hui défaillants, considère Moussa Mara. Cette ambition de moyen-long terme, il la voit centrée sur de « nouveaux contrats sociaux entre les populations du Sahel et leurs États. Car tant que nous ne reformulerons pas les projets étatiques, tant que nos États persisteront dans la mauvaise gouvernance, dans le nombrilisme d’une administration satisfaite d’elle-même et ne cherchant pas à servir les citoyens, nous aurons toujours, sous une forme ou une autre, des rébellions, des violences, des insurrections, comme nous sommes en train de l’observer. »

Religion et laïcité

Imaginer refonder les États, c’est aussi poser la question de la place de la religion, et particulièrement celle de l’Islam et de ses leaders religieux. Un débat que l’ancien PM a assumé d’évoquer. Tout en affirmant que la société malienne est fondamentalement laïque – « plus que la France ! » selon lui –, il considère que « nous [les Maliens, ndlr] ne sommes pas la même société, nous n’avons pas la même histoire, nous n’avons pas la même culture. Nous devons adopter des solutions qui correspondent aux attentes de nos populations. Nous ne devons pas faire de l’importation de textes français. Nous devons être imaginatifs. Les enjeux autour de la place de la religion dans nos sociétés sont aujourd’hui tellement importants qu’il nous faut la définir, et je pense que cela vaut pour l’ensemble de l’espace sahélien. Ce débat me semble être tout à fait indispensable. »

L’énergie solaire

Au-delà de la question institutionnelle, sur quelles bases économiques construire l’avenir du Sahel ? Moussa Mara fait d’abord observer qu’à cause des coupes de bois utilisé comme source d’énergie, le Mali a perdu les deux tiers de sa couverture végétale en vingt-cinq ans, entre 1990 et 2015. « Nous sommes passés de 16 millions d’hectares de forêts à 6 millions et demi. Et aujourd’hui, c’est bien sûr encore pire, relève-t-il, avant d’enchaîner : « l’énergie, et notamment l’énergie solaire, décidera de l’avenir du Sahel. Il faut que l’énergie solaire devienne accessible de manière significative sur l’ensemble de la région. C’est ainsi que le Sahel aura des chances d’être sauvé. »

Favoriser la Cedeao

L’ancien Premier ministre a conclu sa première allocution en déplorant clairement la « déperdition institutionnelle » : « Très sincèrement, je vous le dis, le G5 Sahel vient plus de la France que des pays membres. C’est une création ex nihilo. Deuxième chose : si l’on raisonne simplement… zéro plus zéro égale zéro ! On ne peut pas avoir une force quand on ajoute des faiblesses ! C’est ce qui se passe aujourd’hui avec le G5 Sahel. Et cette « force » n’est pas financée car les pays sont orientés sur leurs priorités nationales, pas sur celle du G5 Sahel. C’est pourquoi ils cherchent à financer le G5 Sahel par d’autres moyens que leurs moyens nationaux. »

Selon Moussa Mara, qui va jusqu’à affirmer frontalement « Moi, je ne crois pas au G5 Sahel ! », il convient de rationaliser la profusion et déperdition institutionnelles au profit de la Cedeao [La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, qui compte 15 pays membres plus le Maroc, en qualité d’observateur, ndlr], « organisation régionale reconnue comme telle par l’Union africaine et par l’ensemble de nos partenaires. Nous devons nous orienter vers une seule organisation institutionnelle qui aura plusieurs vocations », considère-t-il.

Pauvreté et injustice

Revenant au cours de la séance d’échanges avec les convives sur la question de la pauvreté, déjà rapidement évoquée au début de son intervention, l’ancien PM s’est appuyé sur les résultats d’enquêtes menées auprès de dizaines de jeunes terroristes arrêtés après l’opération Serval en 2013 pour affirmer que « les gens sont plus [devenus] terroristes par réaction à l’injustice et par frustration que par pauvreté ! Et je peux vous assurer que parmi les raisons pour lesquelles ils ont adhéré aux mouvements terroristes, les questions religieuses viennent loin derrière la volonté de se venger du juge qui les a spoliés, du policier qui a commis une exaction à leur encontre, de l’administration qui les a maltraités, et ainsi de suite… »

C’est pourquoi, insiste encore en substance Moussa Mara dans sa conclusion, la reconquête de la confiance des populations et la refondation de la légitimité des États imposent obligatoirement l’établissement d’un nouveau contrat social.

En clôture de la soirée, Loïc Tribot La Spiere et Patrice Fonlladosa ont souligné « l’excellence des interventions » et remercié les invités de leur présence à ce premier « Dîner Afrique » d’une série annuelle de quatre, qui constitue une novation du CEPS par son caractère « ouvert » aux médias. « Comprendre, Contester, Proposer, avec impertinence et respect toujours, voilà l’esprit et la raison d’être du CEPS », ont-ils rappelé.

Patrice Fonlladosa, Président Afrque du CEPS, durant son allocution de clôture. © AM/AP.P

◊ ◊ ◊

SUR LE MÊME THÈME

 Moussa MARA, ancien Premier ministre du Mali : « Négocier avec les terroristes, c’est une fausse bonne idée ! »

 Moussa MARA et Patrice FONLLADOSA : « L’eau, l’assainissement et l’électricité, outils prioritaires de la paix en Afrique »

LIENS UTILES

 Site du Centre d’Étude et de Prospective Stratégique

 Site officiel de Moussa MARA

◊ ◊ ◊

.

◊ ◊ ◊

.

>>> CLIQUEZ ICI et INSCRIVEZ-VOUS
pour recevoir gratuitement notre INFOLETTRE

◊ ◊ ◊

Articles récents recommandés