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Maroc Entrepreneurs fête ses 20 ans à Paris - Youssef Saadani (CDG) : « La transformation structurelle de l’économie ne peut être portée que par un dynamisme entrepreneurial accru »

29 janvier 2020
Maroc Entrepreneurs fête ses 20 ans à Paris - Youssef Saadani (CDG) : « La transformation structurelle de l'économie ne peut être portée que par un dynamisme entrepreneurial accru »
Alors que les élites marocaines planchent sur la refondation du modèle économique du royaume, l’association Maroc Entrepreneurs a fait débattre plusieurs personnalités venues tout spécialement à Paris lors d’une table ronde riche en idées. Par exemple, pour l’économiste Youssef Saadani, membre de la Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD), le Maroc ne s’en sortira pas sans une « accélération du dynamisme entrepreneurial privé ». Pour l’entrepreneure sociale Ghizlaine Maghnouj Elmanjar, il faut « mettre l’économie sociale au coeur » des nouvelles priorités, afin que le modèle soit « absolument redistributif » et « lutte contre les inégalités sociales ».

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Jean-Louis Alcaide, AfricaPresse.Paris
@jlalcaide1 | @PresseAfrica

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« Bâtissons ensemble le Maroc de demain ». Tel était le thème de la table ronde organisée samedi 20 janvier à Paris par l’association Maroc Entrepreneurs qui fêtait à cette occasion ses 20 ans d’existence. Cette réflexion est devenue cruciale depuis que Sa Majesté Mohammed VI a appelé en 2019 les Marocains à inventer un nouveau modèle de développement. Car après deux décennies de « développement à la coréenne », l’économie s’essouffle, la croissance reste insuffisante, le chômage se développe et les inégalités restent très nombreuses. Ce qui a conduit les responsables marocains à s’interroger sur la soutenabilité du modèle actuel et du contrat social qui lie les Marocains, voire menace la stabilité du pays. Or « si beaucoup de réformes ont été faites, le compte n’y est pas », a observé Fadira Moha, la journaliste indépendante qui modérait les débats.

Les banquiers allergiques aux risques

Premier intervenant, Taoufik Lahrach, secrétaire général de la Caisse centrale de Garantie (CCG). Pour favoriser la naissance du Maroc de demain, la CCG, a-t-il expliqué, intervient dans un marché du financement des entreprises « qui est tout sauf parfait », « notre mission est donc de corriger les failles grâce à différents outils », en apportant des garanties pour diminuer les risques auxquels les banquiers sont particulièrement allergiques. « La puissance publique prend à sa charge ce coût du risque pour permettre aux TPE, PME et start-ups d’accéder aux crédits : sur 100 entreprises garanties, 99 n’auraient jamais accès au crédit » sans l’intervention de la CCG, a précisé Taoufik Lahrach qui a parallèlement appelé à « faire émerger au Maroc un écosystème entrepreneurial innovant, plus dynamique ».

Faire évoluer « l’écosystème maroco-marocain »

Pour le fondateur et associé du fonds d’investissement en capital risque Azur Innovation, Khalil Azzouzi, le problème n’est pas tellement dans les outils de financements mais chez les banquiers qui « sont restés sur des procédures anciennes » : ils sont tellement spécialisés que chacun ne traite qu’une partie de la demande de financement d’une entreprise, a-t-il noté, si bien que celle-ci se perd « dans les méandres de la banque ». À son avis, il est aussi indispensable d’améliorer la formation des chefs d’entreprise de « l’écosystème maroco-marocain », très conservateur, et de faire évoluer leur culture entrepreneuriale.

À cet égard, Khalil Azzouzi a raconté plusieurs anecdotes éclairantes. Comme ce chef d’entreprise marocain chez qui il venait d’investir et qui... est parti en vacances sans le prévenir, demeurant injoignable pendant un mois, avec l’argent de l’investissement. Explication à son retour : « Depuis un an je l’avais promis à ma famille ». Autre anecdote : après avoir discuté pendant des mois avec un entrepreneur en quête de fonds, celui-ci peut brusquement mettre un terme aux négociations au prétexte que « sa grand-mère ou son épouse qui ne connaissent rien au business » lui ont dit : « Cette affaire je ne la sens pas » ou « il a le mauvais œil »… Éclats de rires dans la salle.

Accompagnement des entrepreneurs

Pour développer l’écosystème entrepreneurial, a estimé pour sa part, Dounia Boumehdi, directrice générale de Maroc Numeric Fund, « ce n’est pas d’argent dont nous avons besoin, mais d’un accompagnement des entrepreneurs pour leur donner les outils nécessaires, avoir les bons projets et leur permettre d’être bancables ».

Regrettant qu’il n’y ait pas encore assez de structures d’accompagnement, elle a aussi jugé qu’« il y a un climat de confiance à rétablir » : « Les grands donneurs d’ordre ont du mal à accorder leur confiance aux start-ups marocaines », préférant « à compétences égales », « donner la préférence à des entreprises étrangères ». Pour Dounia Boumehdi, il est aussi urgent de réduire les délais de paiement – 120 jours en moyenne au Maroc : « Un petite start-up n’a pas les reins assez solides pour résister à un délai de paiement de six mois ! ».

Trois idées

Youssef Saadani, directeur des Études économiques de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG) et membre de la Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD), a lancé quant à lui un « message » à la diaspora sous forme de« trois idées ». Primo, « nous sommes convaincus aujourd’hui, a-t-il expliqué, que le moteur de la croissance économique, ce sera l’accélération du dynamisme entrepreneurial privé » ; deuxio, « ce dynamisme entrepreneurial ne pourra se mettre en place que si l’on arrive à attirer les talents marocains, du Maroc et de l’étranger, mais aussi des talents internationaux vers l’entrepreneuriat » ; tertio « il y a aujourd’hui un contexte extrêmement favorable pour que ces talents reviennent au Maroc et se lancent dans l’entrepreneuriat ».

200 brevets déposés en 2018 au Maroc, 10 000 en Turquie

Car le « diagnostic partagé » sur l’économie marocaine est clair, a précisé Youssef Saadani : la croissance économique s’est ralentie depuis 2010, à 3 ou 3,5 % par an, contre 5 % à 5,5 % dans les pays émergents ; la transformation structurelle de l’économie marocaine est « trop lente », avec peu d’innovations, peu d’industrialisation et peu d’entreprises exportatrices, leur nombre (5 000) étant le même depuis l’an 2000 (en Turquie leur nombre est passé de 20 000 à 40 000), tandis que le nombre de brevets d’innovations déposés est très faible (200 en 2018 par des résidents au Maroc, dont 20 par des entreprises marocaines, alors qu’il y en a 10 000 en Turquie et 160 000 en Corée, par an). « La transformation structurelle de l’économie ne peut être portée que par un dynamisme entrepreneurial accru », a martelé Youssef Saadani.

« L’économie sociale, c’est l’alternative nécessaire ! »

« Le Maroc de la croissance et la compétitivité oui, évidemment », a rebondi Ghizlaine Maghnouj Elmanjar. Mais pour cette entrepreneure sociale, fondatrice de l’initiative citoyenne « Maroc Impact », il faut aussi « le Maroc de la prospérité ». C’est pourquoi à ses yeux, aujourd’hui « l’économie sociale, c’est l’alternative nécessaire ! ». « On ne peut plus penser, a-t-elle affirmé, que notre pays continuera d’avancer en laissant pour compte toute une partie de la population marocaine », notamment rurale, et « des jeunes dans une situation de précarité ».
« En 2011, a rappelé Ghizlaine Maghnouj Elmanjar, Sa Majesté avait déjà dénoncé l’économie de la rente. Il faut absolument casser les préjugés et des schémas mentaux associant le social à de la charité. Il doit être considéré comme un élément de la refonte stratégique pour nos politiques publiques »

Il faut juste avoir un peu de bon sens

En Europe, l’économie sociale représenté 12 % du PIB et crée 25 % des emplois, alors qu’elle plafonne au Maroc à 1 % depuis des décennies. « Or notre modèle économique doit être absolument redistributif, lutter contre les inégalités sociales et mobiliser tout le génie humain » dont dispose le royaume. « Il faut juste avoir aujourd’hui un peu de bon sens et mettre l’économie sociale au cœur de la stratégie et de la création de richesse de notre pays (…). Car l’entrepreneur social est là pour apporter des solutions entrepreneuriales aux problèmes sociaux, sociétaux et environnementaux, et le profit n’est pas sa première finalité » », plaidé Ghizlaine Maghnouj Elmanjar. Longs applaudissements nourris de l’assistance.

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