Maître Thierry Lauriol (Cabinet Jeantet, Paris) : « L’Afrique changera encore
à une cadence très forte »
Globalement l’Afrique apparaît comme un continent en pleine croissance et nombreux sont ceux qui, souhaitant rester dans l’optimisme, s’arrêtent à cette vision idyllique. La réalité est toute autre et il convient de fortement nuancer tant les situations évoluent d’une zone à une autre, d’un pays à un autre ou même d’une région à une autre au sein d’un même pays.
Lorsque l’on va sur le terrain, il est aussi parfois très difficile d’appréhender cette croissance. Les villes africaines se sont pour la plupart développées de façon anarchique. La pauvreté de certains endroits est criante. L’électrification et l’accès à l’eau potable sont de véritables enjeux pour le Continent. D’autres problématiques constituent de véritables défis : le manque d’infrastructures, l’éducation, la lutte contre la pauvreté, la démographie, la lutte contre la corruption, la désertification et plus généralement l’évolution climatique, les migrations, la santé, la libre circulation des biens et des personnes.
Dirigeants de haute qualité et grands projets
L’Afrique se bat aussi pour la formation de sa population, de plus en plus jeune. Dix millions de jeunes entrent chaque année sur le marché du travail. La formation constitue un élément clé aujourd’hui pour l’Afrique et pour l’établissement de partenariats. L’émergence et la montée en puissance de dirigeants de haute qualité, tant en politique que dans l’entrepreneuriat, est un élément marquant et témoigne des premiers résultats de ces efforts de formation.
L’émergence et le développement de relations économiques intra-africaines constituent également une nouveauté significative.
L’Afrique est aussi le continent des grands projets. Grands projets extractifs, grands projets d’infrastructures. L’Afrique avec ses richesses minières, ses ressources hydrologiques, ses capacités énergétiques non seulement en matière fossile mais également en renouvelables, l’Afrique attire, l’Afrique séduit. Elle passionne et parfois envoûte. Mais, comme tous les initiés le savent, on ne s’improvise pas sur ce Continent.
Depuis que ma pratique m’a conduit à travailler sur le continent, l’Afrique a changé. Elle a même très rapidement changé au cours des dernières années. Elle changera encore et à une cadence très forte. Cette transition d’une tradition à une modernité ne se fait pas sans difficulté ; mais elle se fait, et à un rythme connu nulle part ailleurs dans le monde, s’efforçant de respecter les cadres traditionnels. Ainsi, les projets de microfinance côtoient les plus grands financements de projets d’infrastructures.
Une puissante avancée du droit
D’un point de vue juridique aussi, l’Afrique a changé. On observe un mouvement de yoyo. D’une unité héritée des puissances coloniales, elle est passée à une diversité après les indépendances politiques, pour revenir à partir des années 1990 à une nouvelle forme d’unité.
Les africains dans leur ensemble semblent appliquer le proverbe swahili « l’union fait la force, la division la faiblesse ».
Le droit africain n’est plus un droit purement national mais il se développe essentiellement au niveau régional. Les droits africains unifiés créent des normes de plus en plus abouties et modernes parmi lesquelles le droit OHADA, mais pas seulement lui, occupe une place de choix. Qui aurait pu imaginer il y a encore peu de temps, que 17 pays pourraient s’entendre pour avoir une cour suprême commune pour la plupart des matières commerciales ? Qui aurait pu prédire un tel développement du droit de l’arbitrage en Afrique ? Et l’existence d’une zone de libre-échange avec TFTA, de l’Egypte jusqu’en Afrique du Sud ?
« Tous les partenaires ne se valent pas… »
L’Afrique attire aussi de nouveaux partenaires. Les partenaires traditionnels ont été rejoints par d’autres. Bien sûr les Chinois depuis longtemps déjà, mais aussi les Turcs, les Russes, les Japonais, les Indiens. Et les européens dans leur ensemble. D’autres Africains aussi, les Sud-Africains, les Marocains, les Nigérians. Chacun a son approche, sa culture, ses modèles, ses contraintes et ses retours fortement différents les uns des autres pour l’Afrique. Ces différences sont marquantes et j’ai pu le constater à différentes reprises en accompagnant des sociétés chinoises notamment dans le cadre de leurs projets en Afrique. Cette situation a donné lieu à l’apparition de nouveaux partenariats dont la France et les autres pays européens ne sont plus nécessairement les protagonistes. Tous les partenaires ne se valent pas et les Africains, les premiers concernés, en sont de plus en plus conscients.
Alors, dans le cadre de cette construction de nouveaux partenariats avec l’Afrique, quelle est la place que joue aujourd’hui la France et quelle est la place qu’elle doit jouer ?
La prétention de cette première matinale Afrique de l’année était de donner quelques clés de lecture essentielles pour rendre la compréhension de ces évolutions plus facile, autour d’un panel d’africanistes*.
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*Sur la photo, on reconnaît notamment, de droite à gauche : Philippe Delleur, directeur international d’Alstom ; mme Dominique Laresche, journaliste modératrice ; Rémi Maréchaux, directeur de l’Afrique et de l’Océan Indien au Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères ; Benoît Chervalier, président et cofondateur de la banque d’affaires one2five Advisory ; Christophe de Chanterac, directeur marketing et communication Afrique de Bolloré Logistics ; Mme … ; Maître Thierry Lauriol, du Cabinet Jeantet.
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