UPM, mode d’emploi – Le Recteur Michèle Gendreau-Massaloux :
« Les projets de coopération universitaire
dans l’UPM se comptent par centaines ! »
Photo ci-dessus - Mme le Recteur Michèle Gendreau-Massaloux dans son bureau de la Mission interministérielle Union pour la Méditerranée. © leJMED.fr, 01-2010
leJMED.fr - Madame le Recteur, quelles sont les raisons qui vous ont conduit à rejoindre la mission interministérielle de l’Union pour la Méditerranée, que préside Henri Guaino ?
Michèle Gendreau-Massaloux - Un des éléments novateurs de l’Union pour la Méditerranée me semble être le respect, dans la définition des projets concrets, des conditions de développement historique des différents pays. Sans chercher à se substituer aux forces qui animent ces nations – où les sociétés civiles sont de grande culture et de fortes traditions – et en se fondant sur la légitimité des politiques nationales, il s’agit de contribuer à faire émerger des réalisations utiles et durables, qui seront plus qu’un dénominateur commun entre les pays sud-méditerranéens et les pays européens. Ces derniers sont eux-mêmes très divers, ce que l’on ne voit pas toujours assez, et qui selon moi constitue une chance et non une faiblesse…
C’est notamment parce qu’elle ne met pas en cause la légitimité des différentes politiques nationales – qu’il ne faut pas confondre avec les nationalismes – que la logique de l’Union pour la Méditerranée est intéressante. L’idée de co-propriété du processus de l’UPM, de ce point de vue, n’est pas seulement forte, elle est aussi nécessaire, indispensable.
Et pour nous, il s’agit donc de dire, de montrer et de démontrer par l’action que l’ensemble de la région UPM est une zone où l’on peut réussir un co-développement, jusqu’à présent problématique et présenté de façon fragmentaire : les programmes du processus de Barcelone sont reconnus comme insuffisants.
leJMED.fr – Chacun comprend bien que la démarche de l’UPM se situe aux antipodes des velléités d’ingérence nord-sud de naguère. Mais, pour développer une action partenariale, encore faut-il des référents communs… Quelles sont les bases consensuelles sur lesquelles vous fondez votre action ?
Michèle Gendreau-Massaloux – Ce sont d’une part la connaissance partagée des réalités du contexte méditerranéen, et d’autre part les textes de référence, à savoir les déclarations du Sommet fondateur de l’UPM du 13 juillet 2008, et aussi celles des réunions interministérielles qui ont suivi.
Pour fonder notre action sur les réalités du contexte, il nous fallait d’abord établir un état des lieux. Nous avons ainsi tenté de montrer que les pays de la Méditerranée ne sont ni sans énergie, ni sans volonté, ni sans ressources. Premier chapitre de notre constat : partout l’on assiste à une élévation générale spectaculaire du niveau de la connaissance et de la société du savoir. L’analphabétisme est en régression dans tous les pays, l’éducation primaire et secondaire sont accessibles à tous, et l’enseignement supérieur, qui apparaît comme une voie pour enrichir les métiers et pour accéder à des formations qualifiantes, est devenu un phénomène de masse, lui aussi.
En revanche, on constate un haut niveau de chômage, et en particulier celui des jeunes diplômés. C’est bien sûr un facteur de tensions, la population en âge d’être active étant toujours en forte croissance, ce qui rend d’autant plus difficile de faire baisser le taux de chômage, tandis que la productivité de la main d’œuvre et les salaires n’augmentent que lentement.
Autre facteur d’interrogations, même s’il a pu avoir un effet positif d’amortisseur de crise : l’importance du secteur informel. Inquiétant également, le fait que les diplômes délivrés par les universités sont souvent inadaptés au marché de l’emploi. Voilà pour le constat, brièvement résumé.
Quant aux textes de référence sur lesquels nous appuyons notre action, il y a tout d’abord la Déclaration du Sommet fondateur, dans laquelle est notamment affirmée « la volonté absolue » de réduire la pauvreté et de « favoriser le développement des ressources humaines et de l’emploi »
Depuis le Sommet, trois réunions portant sur ce thème ont été organisées, dont deux dans le cadre des conférences euro-méditerranéennes : celle des ministres du Travail et de l’Emploi de Marrakech, les 9-10 novembre 2008, et la Conférence ministérielle sur le rôle des femmes dans la société, également à Marrakech, les 10-11 novembre 2009. Le troisième événement est le Forum euro-méditerranéen de l’enseignement technique et de la formation professionnelle, organisé par nous à Marseille, le 18 décembre 2008.
Ces trois rencontres de niveau ministériel ont permis de partager les éléments de diagnostic, d’affirmer des valeurs communes, de se doter des cadres d’action.
Vers la constitution du pilier social de l’UPM
leJMED.fr – Justement, quelles sont ces « valeurs communes » auxquelles vous vous référez ?
Michèle Gendreau-Massaloux – Ce que nous souhaitons, c’est la constitution d’un véritable pilier social de l’UPM ! Il s’agit de promouvoir la formation, d’améliorer l’employabilité, la qualité des conditions de travail, la protection sociale, le renforcement du rôle des partenaires sociaux ainsi que la place de la femme dans le monde professionnel et au sein de la société, un mouvement vers l’égalité des chances, le déploiement d’une stratégie de transformation de l’emploi informel en emploi formel, la gestion de la migration professionnelle dans un objectif de développement durable… Vous voyez, c’est un très vaste chantier !
leJMED.fr – Quels sont les projets envisagés, ou en cours de réalisation ?
Michèle Gendreau-Massaloux – En accord avec la présidence espagnole de l’UE, la France a travaillé avec la Commission européenne pour la mise en place d’un Forum du dialogue social euro-méditerranéen. Celui-ci plaidera pour le renforcement des capacités des partenaires sociaux, et nous allons solliciter, pour cela, le Centre de formation du Bureau International du Travail de Turin.
Cette initiative ouvrira la possibilité, pour les partenaires sociaux des deux rives de la Méditerranée, de bénéficier de formations sur des thèmes tels que la réforme de la formation professionnelle, la protection sociale, l’égalité professionnelle, l’insertion des jeunes, le droit du travail…
La création d’un Observatoire euro-méditerranéen des conditions de travail est une seconde proposition concrète, qui s’appuiera sur réseau euro-méditerranéen d’“Entreprises socialement responsables”, qui pourraient se doter d’une Charte commune et favoriser la diffusion des bonnes pratiques , particulièrement les conventions fondamentales de l’OIT , dont le rôle de régulateur et d’équilibre en matière de gouvernance économique et sociale a été d’ailleurs réaffirmé lors du dernier G20, à Pittsburgh en septembre 2009…
Vers un « Erasmus méditerranéen »
leJMED.fr – Quels projets en matière d’enseignement supérieur ?
Michèle Gendreau-Massaloux – L’enseignement supérieur est souvent pensé comme une “pièce détachée”. Pour notre part, nous considérons que c’est plutôt l’élément médian d’un ensemble qui d’un côté tend vers la recherche, et de l’autre vers la formation et l’employabilité.
D’abord, il convient de créer au sud des mastères présentant le même niveau de qualité qu’en Europe, grâce à des professeurs qui circuleront entre les différents pays. Ce processus est en marche, avec un nombre important d’universités européennes et du sud qui en sont partenaires. Plus de 200 mastères sont actuellement en voie d’habilitation.
Il s’agit pour nous de favoriser l’émergence, pour chacun des projets concernés, d’un consortium des universités de tous les pays de l’UPM. Et il y a une vraie demande de la part des universités du sud quant à la formation de mastères. Les ministres ne connaissent d’ailleurs pas forcément ces échanges et ces projets car les universitaires essaient de se débrouiller entre eux…
leJMED.fr – Quelles sont les universités déjà actives de ce réseau UPM émergent ?
Michèle Gendreau-Massaloux – En même temps que le Président de la République Française annonçait l’initiative "Union pour la Méditerranée", se créait l’Université euro-méditerranéenne EMUNI de Piran-Portoroz, en Slovénie, tête de pont d’un réseau d’universités conventionnées.
Depuis, d’autres réalisations ont vu le jour : à Fès, au Maroc, une école d’ingénieurs en partenariat avec un réseau d’écoles d’ingénieurs français et potentiellement le réseau des écoles tunisiennes, s’appuiera sur un technoparc orienté vers les TIC.
L’insertion de l’École nationale d’ingénieurs de Bizerte, en Tunisie, dans le réseau méditerranéen des écoles d’ingénieurs, est un autre exemple de coopération, comme la création, par l’Association euro-méditerranéenne des formations sur les risques, d’un institut méditerranéen en sciences du risque, dont le comité de pilotage associe un grand nombre d’universités et d’administrations de la région.
Citons aussi l’Institut Méditerranéen Energie, Environnement et Développement durable (IMEEDD), initiative d’origine franco-marocaine visant dans un premier temps à développer la formation sur le développement durable et à mettre en place un centre de ressources documentaires. Cette courte liste est loin d’être exhaustive.
Cela dit, pour nous, l’objectif essentiel à ce jour est la création d’un programme « Erasmus méditerranéen ». Il s’agit de favoriser des mobilités de courte durée, permettant l’acquisition de diplômes professionnels, puis d’élargir le dispositif aux stages professionnels.
C’est un projet qui se verra naturellement soutenu par l’Office méditerranéen de la Jeunesse, et auquel nous apportons, d’ailleurs, notre contribution. Le ministre français Éric Besson a annoncé sa création en décembre dernier et il sera opérationnel dès 2011.
leJMED.fr – En quelles langues se feront les enseignements communs ?
Michèle Gendreau-Massaloux – Notre idée, c’est qu’une bonne formation pour l’accès à l’emploi, de niveau mastère, ou mastère plus thèse pour l’accès à la recherche, doit pouvoir se faire en trois langues : l’anglais, l’arabe ou le français – le français étant d’ailleurs beaucoup plus parlé qu’on ne le pense, même au-delà du Maghreb, y compris en Égypte, en Turquie, en Jordanie… Mais, surtout, il faut donner à l’arabe un statut dans les formations en Méditerranée, car il y va du respect de l’identité culturelle de nos partenaires du sud.
leJMED.fr – Et la coopération sur les questions de santé ? C’est aussi un domaine dont vous avez la charge…
Michèle Gendreau-Massaloux – En effet, nous avançons aussi en ce domaine. Là encore, les projets abondent, et nous comptons sur des organismes porteurs de grande qualité, comme le GID, le Groupe Inter-académique pour le développement, qui regroupe des Académies des Sciences, de Médecine, ou liées à d’autres champs disciplinaires, et qui ne se contente pas d’œuvrer pour la santé, puisqu’il traite également les questions de développement durable, de biodiversité, d’histoire et de culture… Il porte notamment le Projet d’Espace Scientifique Méditerranéen, ainsi que l’ambitieux programme inter-académique méditerranéen (PARMENIDES), qui réunit dans un objectif commun de développement et d’excellence 19 Académies des pays riverains de la Méditerranée et d’autres institutions de qualité scientifique reconnue.
Nous encourageons aussi la création ou le développement d’institutions portées par des pays méditerranéens : au Liban, une Fondation pour la recherche scientifique ; à Chypre, un Institut de recherche sur le changement climatique et le traitement de l’énergie solaire, dont les travaux sont diffusés dans toute la Méditerranée.
D’autres projets sont en cours de réalisation, comme dans le domaine de la santé l’observation satellitaire des migrations des épidémies dans le Bassin méditerranéen, projet qui bénéficie d’un engagement remarquable du CNES… Nous soutenons d’autre part d’excellentes initiatives en provenance de personnalités de la société civile.
Les règles du jeu d’une institution multilatérale
leJMED.fr – Et le financement des projets ? Dans l’entrevue que nous a accordée Julien Aubert, en charge de l’élaboration mécano financier de l’UPM, il explique bien comment chaque projet doit trouver son propre financement. Dans ce contexte, n’y a-t-il pas un risque que les projets d’enseignement ou de formation, jugés peu rentables par bien des investisseurs, ne peinent à trouver leur financement ?
Michèle Gendreau-Massaloux – Je pense, comme le dit Henri Guaino, chef de la Mission interministérielle, qu’un bon projet finit toujours par trouver son financement. Pour prendre un exemple, quand un gouvernement comprend qu’un centre de formation aux métiers de tissage dans une médina va renforcer son efficacité si l’on installe des machines à commande numérique et si l’on modernise l’appareil de formation, il entreprend les démarches utiles à l’allocation des ressources nécessaires.
Il peut également trouver des financements auprès d’institutions internationales, pas seulement celles de l’Europe – avec ses programmes liés à la Politique européenne de voisinage, ou le PCRD, le Programme communautaire de recherche et de Développement, ou encore la BEI-Femip –, mais aussi la Banque mondiale, qui a maintenant une implantation à Marseille, l’OCDE, les fonds souverains des Émirats et d’autres encore.
Néanmoins il est vrai que pour certains l’éducation fait encore figure de tonneau des Danaïdes. Mais quand l’on forme des jeunes qui deviennent eux-mêmes des “créateurs de valeur”, quand l’investissement dans l’éducation aboutit à des formations professionnalisantes qui débouchent sur des emplois, comment penser sérieusement que l’effort éducatif et de formation n’est pas source de profit humain, démocratique et même économique ?
leJMED.fr – Mais, cette règle du jeu très multilatérale dont se prévaut l’UPM n’est-elle pas un handicap face aux habitudes de coopération bilatérale fortement ancrées, depuis des décennies, entre le sud et le nord méditerranéens ?
Michèle Gendreau-Massaloux – Oui, cette idée de coopération multilatérale est extrêmement neuve et même révolutionnaire. Personne n’y est vraiment habitué.
Certes, à la suite de la Seconde guerre mondiale, les grandes institutions issues des Accords de Bretton Woods ont été fondées sur l’idée que le multilatéral devait devenir une composante de la vie internationale. Mais les résultats n’ont pas été au rendez-vous et dans le contexte du partenariat bilatéral euro-méditerranéen, auquel ils sont habitués depuis des décennies, les différents protagonistes s’estiment plus assurés de retrouver leur mise, optimisée, tandis que les procédures multilatérales leur paraissent plus difficiles à mettre en place.
Je suis pourtant de ceux qui pensent, tant pour l’Europe que pour l’UPM, que ce mouvement, malgré les difficultés de mise en œuvre, est non seulement souhaitable, mais quasi inévitable. Et sûrement plus encore dans une période de crise profonde…
leJMED.fr – Après le piétinement institutionnel de 2009, il semble que soit quasiment acquise la nomination du Jordanien Ahmad Massa’deh au poste de Secrétaire général de l’UPM. Croyez-vous que cela justifie le renouveau d’optimisme sur l’avancée des institutions de l’UPM ?
Michèle Gendreau-Massaloux – Oui, je partage ce renouveau d’optimisme. Parce que les difficultés institutionnelles sont considérables – elles tiennent d’ailleurs en partie aux facteurs que l’on vient d’évoquer –, chaque avancée en est d’autant plus remarquable. La rénovation du palais Pedralbes, qui accueillera le Secrétariat général, à Barcelone, est de bon augure…
Un échec ne serait tolérable pour aucun des pays qui ont lancé et porté le processus. C’est vrai que parfois l’Histoire accélère, et que parfois elle piétine. Mais quand j’écoute nos partenaires méditerranéens, en particulier dans les universités que je parcours, où se tiennent conférences, séminaires et rencontres d’acteurs divers, je me rends compte que le mouvement des sociétés est puissant à tous les niveaux. L’UPM est une initiative qui me semble répondre à la fois à un besoin et à une aspiration des peuples.
leJMED.fr – Quels sont vos engagements prioritaires et échéances de court terme ?
Michèle Gendreau-Massaloux – Nous travaillons dans tous nos domaines de compétence et sur tous les projets en même temps.
Pour nous, l’aspect formation est indissociable de l’enseignement supérieur, de la recherche, du volet social et de la gouvernance d’entreprise. Plutôt que de “saucissonner” les secteurs, nous nous efforçons d’avancer en même temps sur tous les fronts.
Cela dit, pour l’équipe de la Mission interministérielle, les échéances intermédiaires utiles sont les réunions des Ministres des 43 pays membres de l’Union pour la Méditerranée. La prochaine, pour les secteurs dont j’ai la charge, se tiendra les 25-26 avril en Slovénie et rassemblera les ministres de l’enseignement supérieur et de la recherche. Elle proposera de nouvelles avancées…
Entretien exclusif réalisé par Alfred Mignot
DOCUMENTS ANNEXES :
- L’espace méditerranéen de la connaissance (Source : Mission UPM, janvier 2010)
- Les engagements des États (Source : Mission UPM, janvier 2010)
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