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Daniel Prado

- « Les indispensables bonnes pratiques du multilinguisme à l’usage de l’UPM »

Tous pays EUROMED-AFRIQUE | 3 avril 2010 | src.leJMED.fr
- « Les indispensables bonnes pratiques du multilinguisme à l'usage de l'UPM »
Paris - Directeur de la Direction terminologie et industries de la langue (DTIL) de l’Union latine, Daniel Prado est un expert reconnu de ces questions. Observateur avisé tant des dysfonctionnements du multilinguisme des organismes internationaux, que de l’évolution encourageante des techniques de traduction assistée par ordinateur, il nous livre ici quelques « bonnes pratiques » à même d’assurer l’indispensable multilinguisme de l’Union pour la Méditerranée (UPM) dont les institutions commencent à se mettre en place. Entretien.

Photo ci-dessus - Daniel Prado, Directeur de la Direction terminologie et industries de la langue (DTIL) de l’Union latine, dont le siège est à Paris © leJMED.fr
- Première édition de cet article : 18 janvier 2010


leJMED.fr – Daniel Prado vous êtes un observateur avisé de la pratique réelle du multilinguisme par les institutions européennes. Quelle est votre appréciation de l’état des lieux ?

Daniel Prado – L’Union latine, comme vous le savez, est une organisation internationale rassemblant 37 États membres, fondée en 1954 pour mettre en valeur et diffuser l’héritage culturel et linguistique du monde latin. Dans ce contexte, elle n’a donc à gérer « que » ses six langues romanes officielles que sont l’italien, l’espagnol, le français, le catalan, le portugais et le roumain, même si dans la pratique, des actions se font pour d’autres langues parlées dans ses États membres. C’est beaucoup moins que les 23 langues officielles de l’Union européenne, mais cela lui confère tout de même une expertise réelle sur cette question importante du multilinguisme dans une institution multilatérale, et donc essentiellement sur les questions de traduction qui en sont le corollaire.

Alors, en m’appuyant sur une expérience acquise au cours de ces nombreuses années, je crois pouvoir dire que le travail accompli en Europe par la Direction générale de la traduction est globalement remarquable. Les institutions de l’Union européenne sont certainement celles qui traduisent le plus dans le monde, qui dépensent le plus pour le multilinguisme.

Cependant, il faut bien dire aussi que l’emprise de la langue anglaise est devenue excessive. Très souvent, les appels d’offres sont rédigés exclusivement en anglais, les enquêtes et sondages pour le compte de l’UE nous parviennent en anglais et les sites de certaines directions n’ont qu’un multilinguisme de façade. C’est ce que je peux constater, en tout cas, pour les directions proches des nouvelles technologies. J’ai eu à m’enquérir sur la mise à disposition dans d’autres langues de certains appels d’offres, et à chaque fois la réponse a été un embarrassé « bientôt »… Autant dire que cela n’a jamais été fait ! Et, de toute manière, le fait que l’appel d’offres demeure un certain temps rédigé dans une seule langue, confère un avantage indiscutable aux compétiteurs de cette langue maternelle, et c’est évidemment toujours en anglais qu’est rédigée la première, voire l’unique version…

leJMED.fr – L’argument récurrent des thuriféraires du « tout à l’anglais », ou quasiment, est que cela coûterait trop cher de traduire plus systématiquement…

Daniel Prado, Directeur de la Direction terminologie et industries de la langue (DTIL) de l’Union latine. © leJMED.fr

Daniel Prado – C’est une mauvaise plaisanterie, indigne de gens sérieux et respectueux de la culture des autres ! La Commission européenne le dit souvent, ses services linguistiques ne coûtent au contribuable européen que l’équivalent de… deux tasses de café par an et par habitant ! Pour ma part, je paierais bien trois, voire dix ou vingt tasses de café par an si cela mettait tous les citoyens, entreprises ou administrations des pays européens sur un pied d’égalité à l’heure de négocier, répondre à un appel, rédiger un projet, participer à des réunions techniques ou d’information, etc.. L’égalité des chances ne peut être garantie que par le respect de la diversité linguistique.

leJMED.fr – Quels enseignements pour l’Union pour la Méditerranée peut-on tirer de l’expérience européenne en matière de multilinguisme ?

Daniel Prado – Sur le plan juridique, le dispositif européen n’est pas mauvais, c’est dans son application qu’il y a des échecs. Pour qu’il soit respecté dans le cadre de l’UPM, il faut que cette nouvelle institution bénéficie des moyens nécessaires à un multilinguisme opérationnel, et ce, dès le départ. Le budget pour les langues doit être inclus dans les charges usuelles de fonctionnement.

Au-delà de l’aspect budgétaire pour le financement des traductions, plusieurs mesures devraient être encouragées, comme la maîtrise effective d’au moins trois langues par tout candidat au poste de fonctionnaire de l’UPM, car si l’on n’en requiert que deux, nous aurons invariablement le binôme langue maternelle et anglais. Le trilinguisme et la compréhension passive des langues sont des moyens efficaces pour atténuer l’hégémonie du tout anglais, qui se nourrit d’ailleurs du mythe selon lequel « tout le monde parle anglais », alors qu’en réalité, 38 % des Européens déclarent parler « convenablement » l’anglais, et que seuls moins de 5 % des habitants des pays développés en ont une maîtrise suffisante pour pouvoir négocier en égalité de conditions avec un locuteur de langue maternelle anglaise…

leJMED.fr – Faudrait-il donc tout traduire systématiquement dans toutes les langues ?

Daniel Prado – Je dirais qu’il le faut pour toute information publique et « critique » – réglementaire, technique, contraignante, ou dont l’absence pourrait impliquer un désavantage compétitif ou moral, au regard de l’égal respect qu’une institution multilatérale doit à chacun de ses membres. Concernant la vie quotidienne de l’institution, il va falloir choisir des « langues de travail », de préférence les plus denses démographiquement de l’Union, et respecter les engagements de traduction « simultanée » de qualité.

leJMED.fr – Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC) peuvent-elles aider à optimiser le multilinguisme ?

Daniel Prado – Certainement ! Les évolutions récentes des TIC représentent un apport très positif et prometteur.
On constate aujourd’hui que les systèmes de traduction utilisant des corpus volumineux (dont Google nous montre sur Internet le cas le plus visible) offrent une qualité de plus en plus satisfaisante, du moins pour certains couples comprenant les grandes langues de communication (anglais, allemand, espagnol, français, russe, etc.). Cela peut surprendre, mais cela se comprend aisément : ces systèmes fonctionnent par accumulation de corpus et de traductions, affinant ainsi à chaque fois la pertinence de leur proposition, et les contresens sont de plus en plus rares. Google travaille ainsi ses traductions avec des probabilités de pertinence issues d’une forte base statistique.
Certes, cela n’est pas du niveau d’une traduction humaine, mais cela s’avère suffisant pour comprendre le sens d’un texte, et encore plus facilement, bien sûr, si l’on connaît déjà un minimum la langue dont il est issu. D’ailleurs, souvent, ce sont des traductions « automatiques » brutes qui sont fournies dans de nombreuses réunions techniques des institutions européennes…

leJMED.fr – Au-delà de ce que l’on peut trouver sur Internet, existe-t-il des travaux en ce sens dans le milieu universitaire ?

Daniel Prado – Oui, il y en a de nombreux, mais ce qui m’intéresse particulièrement ce sont les initiatives de développement de logiciel libre et à code ouvert, permettant un développement de l’application « par la communauté ». Parmi les expériences à retenir, l’université d’Alicante en Espagne a permis le développement de différentes applications « libres » de traduction automatique, au départ destinées au binôme catalan–castillan, et qui offrent aujourd’hui, grâce à la collaboration d’autres universités, des traductions très satisfaisantes pour de nombreux couples de langues d’Europe méridionale. Cela semble prometteur, et il faut noter aussi qu’en quelques années les coûts de développement des applications se sont effondrés, c’est donc très encourageant pour l’avenir !

Entretien réalisé par Alfred Mignot pour leJMED.fr

En savoir plus :

 Les travaux sur la traduction automatique de l’université d’Alicante

- La Direction terminologie et industries de la langue (DTIL) de l’Union latine

- L’Union latine

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