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« Les diasporas africaines, accélératrices des économies du Continent » : le livre qui regarde l’Afrique avec les yeux de l’avenir

29 janvier 2019
« Les diasporas africaines, accélératrices des économies du Continent » : le livre qui regarde l'Afrique avec les yeux de l'avenir
Il faut saluer la parution de ce troisième opus de la jeune collection « Les Cahiers du CIAN* », dont la thématique est tout entière contenue dans le titre : « Les diasporas africaines, accélératrices des économies du continent ». Le livre paraît en effet au bon moment, dans un contexte favorable à un nouveau regard porté tant sur l’Afrique que sur ses diasporas, celles-ci représentant, selon la Charte de l’Union africaine, la « sixième région du Continent », et surtout des hommes et des femmes capables de contribuer à relever les défis, nombreux et pressants, auxquels est confrontée l’Afrique.

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par Alfred Mignot, AfricaPresse.Paris (AP.P)
@alfredmignot | @PresseAfrica

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L’un des premiers mérites de l’ouvrage est d’esquisser le portrait d’ensemble, inédit, de la diaspora d’aujourd’hui. Car même si elle est loin d’être homogène, elle n’en partage pas moins quelques caractéristiques fortes : les Afro-descendants nés en France sont désormais plus nombreux que leurs parents venus d’Afrique ; les revendications politiques des associations de la diaspora des après-indépendances ont largement cédé le pas à l’ambition économique, marqueur fréquent la nouvelle génération ; le désir du retour, autrefois prégnant, est aujourd’hui contrebalancé par celui de la double appartenance, laquelle tend à se substituer à la « double absence » souvent ressentie par la génération des anciens.

Autre caractéristique significative : cette diaspora est devenue un contributeur de premier ordre aux économies du Continent où elle envoie de 55 à 70 milliards de dollars par an – selon les estimations officielles, et donc en réalité bien plus – dont 5,7 milliards venant de France.
Les transferts de fonds sont ainsi devenus une source de financement essentielle pour de nombreuses économies africaines, dépassant les montants de l’aide publique au développement et contribuant parfois jusqu’à 20 % du Produit intérieur brut des pays concernés. Multipliés par dix en trente ans, les envois de fonds de la diaspora africaine représentent aujourd’hui, selon la CNUED, 51 % des apports de capitaux privés sur le continent.

Les « diasporants » de France
de plus en plus entreprenants

Ces « diasporants » – comme les appellent les auteures du livre, les journalistes Bénédicte Châtel et Anne Guillaume-Gentil – parmi lesquels plusieurs fortes personnalités connues pour leur réussite d’entrepreneur (on n’en citera aucun, car ils sont trop nombreux pour être tous cités), sont ainsi devenus un sujet d’intérêt grandissant pour tous ceux qui militent pour une coopération économique refondée avec l’Afrique : fora et colloques où on les écoute témoigner de leur expérience se multiplient depuis la première initiative, la Journée nationale [annuelle] des diasporas africaines, créée et conduite en 2013 (année où la France commence à considérer la migration comme une composante de la politique de développement) par Pierre De Gaétan Njikam, l’adjoint au maire de Bordeaux Alain Juppé, chargé de la Coopération avec l’Afrique subsaharienne ; et jusqu’en juin 2018, avec le grand Forum des Diasporas, au Palais des Congrès de Paris (dont notre site a abondamment rendu compte ICI).

Cet environnement proactif est propice à encourager les nombreux diasporants de France qui prennent des initiatives en faveur de l’Afrique : « La spécificité en France par rapport au reste de l’Europe est d’avoir une diaspora nombreuse, structurée et active, en direction des pays d’origine. Nous sommes le seul pays à avoir autant d’associations », relève Olivier Kaba, chef de projet Migrations à l’Agence française de développement (AFD), cité par les auteures.

Plusieurs de ces initiatives, assez récentes, visent particulièrement à canaliser vers l’investissement productif africain le surplus de disponibilités de la diaspora, car les transferts actuels servent essentiellement aux besoins de subsistance des familles.

En effet, comme le signalent les auteures, des fonds spécifiquement destinés au financement des entreprises africaines ont été créés (les fonds IPAE 1 et 2 de I&P, dirigé par Jean-Michel Severino ; la plate-forme de financement participatif Afrikwity, créée par Thameur Hemdane…), ou leur création est en cours de finalisation (fonds EAF du Club Efficience que préside Élie Nkamgueu)…

Élie Nkamgueu, président du Club Efficience et initiateur du fonds EAF, une personnalité incontournable du « Gotha noir » de France. © AM/AP.P

Volonté politique présidentielle et mobilisation
des acteurs publics et privés

Tout ce foisonnement d’initiatives se trouve par ailleurs conforté, depuis 2017, par la volonté maintes fois affirmée du Président Emmanuel Macron de refonder une coopération plus « partenariale » avec le Continent, afin « d’arrimer l’Afrique à l’Europe à travers la Méditerranée » (cf. Discours d’Emmanuel Macron à Ouagadougou ; récent discours du « Monsieur Afrique » de l’Élysée Franck Paris, devant le Medef Afrique ; création du Conseil présidentiel pour l’Afrique, etc.).

Une vision qui trouve son expression concrète par l’engagement présidentiel de porter à 0,55 % du revenu national brut l’aide publique au développement, et l’allocation de lignes de crédit supplémentaires à l’Agence française de développement (AFD) dont la moitié des ressources (5,2 Md€ sur un total de 10,4 Md€ en 2017) est d’ores et déjà mobilisée pour l’Afrique, l’AFD étant aussi depuis 2016 le mandataire exécutif du Plan d’action 2018-2022 de soutien aux initiatives des diasporas.

Le secteur privé n’est pas en reste : investisseurs du CIAN, le Conseil français des investisseurs en Afrique (cf. notre entretien avec Étienne Giros, président délégué) et entrepreneurs du Medef Afrique (cf. le récent discours du président Patrice Fonlladosa) notamment, font montre d’un volontarisme grandissant envers le Continent, sans parler encore des diverses initiatives associatives : récentes, comme celle du RICE (Rassemblement international des Congolais de l’extérieur), qui veut faire baisser le coût des transferts d’argent vers l’Afrique en élaborant un service alternatif, moins cher, à celui de l’actuel duopole Western Union-MoneyGram… et d’autres initiatives encore, déjà inscrites dans le temps long de l’action, comme celles que développe l’association CADE (Coordination pour l’Afrique de demain) depuis quelque trente ans, et dont la prochaine rencontre, dédiée aux thèmes de l’eau et de l’assainissement en Afrique et Méditerranée, se tiendra à Paris, le 11 février prochain.

Ainsi évoqué, le contexte français – et non pas seulement parisien-francilien, c’est un autre mérite de l’ouvrage que de nous faire connaître les initiatives prises à Lyon, Bordeaux, Marseille et en Bretagne – dans lequel se meuvent les diasporants pourrait sembler très riche d’opportunités à saisir, en phase avec les immenses opportunités de croissance économique de l’Afrique depuis le début des années 2000.

Mais les pays d’origine ne sont pas si… accueillants ! « Mis à part le cas très original du Maroc, expliquent les auteures, qui très tôt, dès les années 1970, a mesuré l’importance de l’enjeu, faisant de ses « Marocains du Monde » la treizième province du Royaume, s’appuyant sur eux comme accélérateurs des changements en cours au Maroc, peu de pays africains développent des politiques, ou du moins un positionnement, par rapport à leurs diasporas. » (Sénégal, Cameroun, Ghana ; ou très récent, depuis seulement 2017 : Côte d’Ivoire, Nigeria, Burkina Faso, Congo, Algérie).

Le cas exemplaire du Maroc au regard de sa diaspora


La diaspora des « Marocains du Monde » (MDM), apprend-on dans ce troisième opus des Cahiers du CIAN, représente 10 % de la population du Royaume et, entre 2000 et 2011, a opéré des « transferts financiers représentant en moyenne 8 % du PIB, couvrant près de 50 % du déficit commercial, représentant 5 fois l’APD et 2,5 fois les IDE sur la période » (Sources IRES, Institut royal d’études stratégiques, 2013).

Ainsi le Maroc s’est-il attaché, dès les années 1990, à « renforcer ses liens avec sa diaspora » en créant trois entités dédiées : l’une pour maintenir des liens forts avec les résidents marocains à l’étranger (MRE de l’époque, appellation maintenant remplacée par MDM ) et les aider en cas de difficultés ; un Conseil consultatif pour suivre et évaluer les politiques ad hoc ; un ministère de tutelle s’assurant de la mise en œuvre de celles-ci.

Parallèlement, le déploiement des banques marocaines dans les pays d’accueil a été opéré, ainsi que « la structuration de réseaux d’affaires du secteur privé », à l’image de l’Association Maroc Entrepreneurs (actuellement dirigée par un duo très impliqué, la présidente Bouchra Bayed et le secrétaire général Karim Basrire), très active en France pour aider les jeunes Marocains à créer leur entreprise (le prochain événement de Maroc Entrepreneurs, « La Journée de la création d’entreprise », se tiendra à Paris, le 9 février).

Bouchra Bayed, présidente de Maroc Entrepreneurs, association établie à Paris et aidant les jeunes Marocains de la diaspora, ou étudiants en France, à créer leur entreprise. © DR

La philosophie qui inspire l’action du Maroc, explique Karim Basrire, cité dans l’ouvrage, est « l’idée que la diaspora peut être un accélérateur des changements en cours au Maroc [qui] a compris que le monde, c’est la mobilité. Le sujet “on retourne, on ne retourne pas” est dépassé. Aujourd’hui, où vous êtes, vous pouvez contribuer ».

La Confédération patronale marocaine (CGEM) est sur la même ligne : elle a créé une plateforme (en test) pour que les entrepreneurs MDM puissent échanger, tout en devenant membres de la CGEM, où qu’ils se trouvent dans le monde.

Mieux encore, des fonds spécifiquement destinés à accompagner les candidats entrepreneurs de la diaspora marocaine ont été créés, à l’image du fonds MDM Invest, cité dans le livre et évoqué au Forum des Diasporas de Paris, le 22 juin juin 2018, par Hicham Zanati Serghini, directeur général de la Caisse Centrale de Garantie du Maroc (CCG) : « Notre fonds MDM Invest est un outil e cofinancement entre une banque et la CCG au profit des MDM souhaitant investir [et entreprendre] au Maroc. Ce fonds ouvre aussi les portes à plusieurs avantages, comme la prime à l’investissement, qui atteint 10 % du montant total. Le fonds investit jusqu’à 2 millions d’euros dans un projet – nous venons de placer 2 millions dans une start-up dentaire – mais les “petits” projets ne sont pas dédaignés [car] ils sont importants par leur impact sur l’emploi local. »

Étienne GIROS, président délégué du CIAN : « Sur le rôle
des diasporas, nous vivons une prise de conscience

Étienne Giros, Président délégué du CIAN, lors de son intervention en séance plénière des Rencontres d’Affaires francophones, jeudi 8 novembre au Palais de la Mutualité de Paris. © AM/AP.P

Président fondateur d’AfricSearch et grande figure de la diaspora des entrepreneurs, Didier Acouetey évoque cette question de « l’accueil dans les pays de retour » [ndlr] dans la conclusion de l’ouvrage. Certes, il reconnaît le succès de rares pays dans leurs politiques d’incitation au retour – Maroc, Ghana, Nigeria, selon lui –, mais il pointe surtout du doigt « la désorganisation des diasporas (…), l’échec de la plupart des États africains à créer les conditions de leur diaspora (…) les cadres structurants qui manquent ».

Pour pertinent qu’il soit, ce constat par l’énumération des manques, placé à la fin du livre, risque pourtant de laisser au lecteur un goût d’amertume. Peut-être – et ce sera la seule critique confraternelle adressée aux auteures de ce livre riche d’enseignements – eût-il mieux valu placer in fine les meilleurs exemples de bonnes pratiques d’accueil des diasporas au retour, et particulièrement celle du Maroc, qui paraît à ce jour la plus avancée. Tout simplement parce que le savoir-faire des uns peut inspirer l’action des autres, demain. Et parce que pour perdurer, pour s’enraciner et inspirer plus puissamment, l’afro-optimisme aussi a besoin d’être nourri avec constance.

Cela dit, ce troisième « Cahier du CIAN » a le grand mérite de présenter un panorama « en action » et jusqu’ici inédit des diasporas africaines de France, et de mettre en exergue l’importance qui est la leur : « Sur le rôle des diasporas, nous vivons une prise de conscience et une évolution profonde et définitive des états d’esprits, estime Étienne Giros, président délégué du CIAN, qui signe la préface de l’ouvrage. Il reste à les transformer en réalités et réalisations pratiques, en faveur du développement de l’Afrique. Le secteur privé français, et le CIAN en particulier, est prêt à y prendre sa part. Ce livre en est le témoignage. »

Un témoignage et une invitation forte, à quelques jours du Forum Afrique 2019 du MOCI et du CIAN (le 8 février, à la CCI de Paris) pour que nous soyons toujours plus nombreux à regarder l’Afrique avec les yeux de l’avenir. Car les destins de nos deux continents sont irréversiblement liés.

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« Les diasporas africaines,
accélératrices des économies du Continent »

Par Bénédicte Châtel et Anne Guillaume-Gentil

Collection Les Cahiers du CIAN
Eyrolles, 189 pages, 20 €, en librairie.
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*Les Cahiers du CIAN
Cette collection est créée par le Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN), qui compte plus de 160 entreprises membres investies sur le continent et réalisant 80 % du volume d’affaires français en Afrique (60 milliards d’euros).
Décrivant les grandes évolutions de l’Afrique, les Cahiers du CIAN visent à participer au débat public. Leur ambition est de renforcer la connaissance et la confiance en l’Afrique de demain.
Deux cahiers sont parus précédemment : « Le digital en Afrique, les cinq sauts numériques » (Jean-Michel Huet, Michel Lafon, 2017) et « Le nouveau pacte africain. Les défis du dialogue public-privé » (Jean-Luc Ricci et Patrick Sevaistre, Michel Lafon, 2017.

 

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