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Le Sénégalais Mohamed Mbougar SARR, Prix Goncourt 2021, au Festival du Livre de Paris : « Ce qui m’intéresse dans l’écriture, c’est ce qui est caché, car c’est l’ombre d’une phrase qui en fait la beauté »

2 mai 2022
Le Sénégalais Mohamed Mbougar SARR, Prix Goncourt 2021, au Festival du Livre de Paris : « Ce qui m'intéresse dans l'écriture, c'est ce qui est caché, car c'est l'ombre d'une phrase qui en fait la beauté »
Au Festival du Livre de Paris, le retour du « Pavillon africain » initié par Aminata DIOP JOHNSON, a connu un grand succès avec la participation, notamment, du dernier Prix Goncourt, le Sénégalais Mohamed Mbougar SARR. Des débats passionnants sur la littérature africaine ont animé la soirée de gala organisée à l’Hôtel de l’Industrie.

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par Bruno FANUCCHI pour AfricaPresse.Paris (APP)
@africa_presse

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Pour tourner enfin la page – c’est le cas de le dire ! – du coronavirus, le Salon du Livre a rouvert ses portes, après deux ans d’absence sous l’appellation nouvelle de Festival du Livre de Paris.

Au sein de celui-ci, il faut se féliciter du retour du célèbre « Pavillon des Lettres d’Afrique » rebaptisé quant à lui « Pavillon africain ». Initié en 2017 par Aminata DIOP JOHNSON, fondatrice et directrice de l’Agence culturelle africaine (ACA), dont on connaît l’enthousiasme communicatif et l’efficacité inégalée pour faire venir à Paris les plus grands écrivains africains, ce Pavillon a connu un grand succès même si l’on nous répète bien souvent que « les Français ne lisent plus ». Le but étant toujours, comme elle ne cesse de le répéter, de « faire rayonner à l’international les auteurs du Continent ».

Une prouesse à saluer d’autant plus que les activités du Pavillon étaient exceptionnellement réparties cette année (du 22 au 24 avril) sur deux emplacements distincts et donc difficiles à gérer en simultané : le Palais éphémère (en marge du Grand Palais, toujours en travaux) pour le grand public et l’Hôtel de l’Industrie (à Saint Germain-des-Prés) pour des panels de haut niveau et des débats thématiques de qualité.
« C’était le bon moment pour revenir », souligne Aminata DIOP JOHNSON en remerciant le Président Macky SALL pour l’avoir soutenue dans cette belle aventure.

Vedette incontestée de ce retour en force des « belles lettres » et de la littérature africaine, le Sénégalais Mohamed Mbougar SARR, jeune lauréat du dernier Prix Goncourt qui lui fut attribué le 3 novembre 2021 pour « La plus secrète mémoire des hommes » (Philippe Rey Éditions et Jimsaan) participa aux deux, sans ménager ni sa peine ni son temps. C’est sans doute ce que l’on appelle la rançon de la gloire. L’homme, qui maîtrise avec talent, simplicité et humilité sa nouvelle célébrité, va à l’essentiel. Les débats l’intéressent et il y participe bien volontiers car c’est aussi une rencontre enrichissante avec ses propres lecteurs.

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« Pour nous la culture,
c’est une industrie »

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Président de la Société d’Encouragement pour l’Industrie nationale, chez elle en l’Hôtel de l’Industrie, Olivier MOUSSON se félicite d’ailleurs d’accueillir cette manifestation culturelle hors-norme et hors les murs. « Je suis fier d’être aujourd’hui avec vous dans cette salle des frères Lumière, où fut projeté en 1895 leur premier film avant d’être projeté ensuite à Dakar ! ». Un clin d’œil au Prix Goncourt qui était déjà sur la tribune.

« Pour nous la culture, c’est une industrie. C’est pourquoi vous recevoir ici pour ce genre d’événement, cela fait sens », devait-il encore souligner en rendant un hommage appuyé et mérité à « une startupeuse qui a pour nom Aminata DIOP JOHNSON » organisatrice de ces Journées, dont beaucoup aimeraient qu’elles puissent aussi se dérouler, ou avoir un jour leur équivalent, dans les grandes capitales africaines.

En marge de ce Festival, un dîner de gala a, de surcroît, réuni une centaine d’invités pour célébrer l’inscription du « thiébou djen », le plat national du Sénégal, au « patrimoine immatériel » de l’UNESCO.

De gauche à droite, les panélistes du débat sur la langue et la littérature : les écrivains Boubacar Boris Diop, Racine Senghor (modérateur), Fatimata Ba et Mohamed Mbougar Sarr. © DR

L’événement fut aussi l’occasion d’un long et passionnant débat sur la langue. Pour les Africains de langue et de culture francophone, faut-il continuer d’écrire en français, dans la langue de Molière, au risque de passer pour un nostalgique de l’époque coloniale ou un « Malade imaginaire » ? ou bien faire vivre les langues et dialectes locaux, au risque cette fois-ci de se priver de nombreux lecteurs ? « This is the question », comme aurait pu dire Shakespeare…

D’où un débat particulièrement animé et modéré avec brio par Racine SENGHOR, administrateur du Monument de la Renaissance Africaine. Y participaient également l’écrivain togolais Sami TCHAK Le Continent du tout et du presque rien »), les Sénégalais Boubacar Boris DIOP, qui reçut en l’An 2000 le Grand prix littéraire d’Afrique noire pour l’ensemble de son œuvre, et Fatimata BA  Rouges silences »). Cette belle table ronde aura planché pendant plus de deux heures sur le thème : « Quel est le devenir de la littérature en Afrique et dans ses diasporas ? Regards croisés sur les engagements de l’écrivain africain ». Un véritable challenge.

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« Moi, je ne vais pas m’excuser
d’écrire en français »

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« Nous sommes la seule littérature à se poser encore cette question », observe non sans humour le Prix Goncourt en y voyant « sans doute des raisons anthropologiques et culturelles ». Car, explique-t-il, « cet adjectif africain est parfois un piège (…) Il n’y a que des écrivains qui écrivent et qu’il faut prendre comme tels » et non y voir « une vision post-coloniale ». Avant d’ajouter : « On fera un bilan dans un ou deux siècles »…

« La langue, c’est peut-être la question centrale. Chaque écrivain doit l’appréhender et y aller à son rythme et selon son travail en cours », observe-t-il encore. Avant d’enchaîner : « Dante se disait : j’écris (en italien) et je fonde (ainsi) un pays nouveau... Mais cela serait-il possible aujourd’hui ? »

Et Mohamed Mbougar SARR de conclure : « Aucune langue – même le français - n’est capable d’embrasser tout l’imaginaire d’un pays ». D’où sa stratégie des « petits pas » prônant « plus de diversité dans nos écritures » et pouvant se résumer ainsi : « Écrire en wolof, en pular (ou d’autres dialectes locaux), il faut le faire, mais en ayant toujours à l’esprit que ce que l’on écrit à ce moment là n’est qu’une partie de notre imaginaire ».

« Ce qui m’intéresse dans l’écriture, confie-t-il enfin, c’est ce qui est caché » entre les lignes pourrait-on dire, car « c’est l’ombre d’une phrase qui en fait la beauté ».

« J’ai enseigné la littérature africaine au Nigeria », un pays anglophone, mais « il est très difficile d’en cerner les contours et trop complexe d’en délimiter le champ », reconnaît Boubacar Boris DIOP, qui constate : « Depuis les indépendances il y a une littérature à deux vitesses. Les débats et les préoccupations ne sont pas les mêmes » et bien loin, pourrait-on dire, de ce qu’il nomme « la littérature afro-parisienne ». Une littérature qui pourrait se résumer en « un dialogue entre les élites colonisatrices et les élites colonisées. C’est le péché original de l’Afrique, au moins d’expression française, et c’est de cela qu’il faut sortir ». Vaste programme à une époque où, regrette-t-il, « les gens lisent de moins en moins ».

La Sénégalaise Fatimata BA, qui vient de publier « Rouges silences » (Chez L’Harmattan), met quant à elle les pieds dans le plat. « Moi, je ne vais pas m’excuser d’écrire en français », lâche-t-elle d’emblée. « J’enseigne le français et le latin dans un établissement de Dakar et j’en suis fière », précise-t-elle, « mais j’aimerai bien reformer un tel plateau à Dakar, où il y a une extraordinaire vitalité de notre littérature » car les auteurs doivent aller au-devant de leur public. Et de souligner fort à propos : « Que serait en effet l’écrivain sans ses lecteurs ? »

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